Anders Behring Breivik est blond aux yeux bleus, il est chrétien. Philippe Val a eu beau éplucher précipitamment sa biographie, nulle trace d’ADN musulman ou de quelque gène arabe dans sa généalogie. Dans la représentation commune, on l’imaginerait davantage surfant sur les vagues de Malibu ou secouriste sur une plage en Australie. « Il est des nôtres ! » s’exclament, effarés, des Norvégiens, eux qui n’ont pas connu un tel drame depuis la seconde guerre mondiale. Cette perplexité est partagée dans l’hexagone. Comment un peuple si prospère, si raffiné, civilisé en un mot, a-t-il pu produire un tel « monstre » ?
Le traitement de l’affaire en France est plein d’enseignements.
C’est Libération qui se distingue le mieux dans la précipitation à incriminer les islamistes. Un article titré « Pas de revendication, mais trois pistes principales se dessinent« se lance dans plusieurs hypothèses mais n’explore que celle de « groupes jihadistes« . Réflexe pavlovien.
Le Figaro n’est pas mal non plus. A contrario du monde entier, il réussit l’exploit, dans son édition du 23 juillet, de consacrer sa Une aux nouvelles ambitions de Sarkozy (http://lequotidien.lefigaro.fr/epaper/viewer.aspx) accordant la portion congrue à la tragédie norvégienne. Inutile de rappeler ici la délectation avec laquelle le Figaro fait ses choux gras du moindre attentat supposé « islamiste ». Nous faisons confiance à la mémoire de nos lecteurs.
Par ailleurs, un mot est porté disparu : « terroriste ». Pourtant, comment l’éviter après un tel attentat ? Dans le cas de notre viking, on parlera plus volontiers d’un « déséquilibré », d’un « forcené ». Son acte est isolé, il aurait agit sous l’emprise d’un « délire psychopathologique » (BFM TV, édition du 24 juillet). La encore le contraste avec le traitement de crimes imputables à des musulmans est plus que flagrant. En l’occurrence, tout acte d’un individu ou d’un groupe isolé rejaillit immanquablement sur l’ensemble de la collectivité ou est lu à travers le prisme de l’islam, ou des traditions culturelles. Un constat s’impose : lorsqu’il s’agit d’un quidam blanc, ni sa collectivité religieuse, ni son appartenance culturelle ne sont mises en cause ou interrogées.
Pourtant, loin d’être l’acte d’un désespéré, l’auteur lui donne un sens politique. Selon ses propres dires, il se proclame volontiers proche de l’extrême droite, antimarxiste, antimusulman, admirateur des milices fascistes libanaises et de l’Etat d’Israël. Par cet acte « cruel mais nécessaire » son intention était d’alerter l’opinion sur le péril identitaire encouru par l’Europe. La police norvégienne déploie tous ses efforts pour retrouver d’éventuels complices. Pourtant, la véritable complicité, nous, nous la connaissons bien : c’est un cocktail idéologique promis à un bel avenir où l’on retrouve pêle-mêle la diabolisation de l’islam, les politiques anti-immigrations, l’anti-tiers-mondisme ou encore le renouveau nationaliste travesti (en France) en républicanisme.
Comment ne pas faire le lien avec cette autre terrible tuerie ayant fait 14 victimes féminines au Canada le 6 décembre 1989 ? Un homme se sentant assiégé par l’évolution sociale des femmes avait justifié ce crime par la menace que celles-ci auraient fait peser sur le pouvoir masculin. De la même façon, Anders Behring Breivik, redoutant le déclin de l’homme occidental, s’est senti investi de la mission d’alerter une opinion endormie. Dans les deux cas, ce qui est en arrière plan, c’est la tentative bien connue de la part des sphères les plus extrêmes des dominants de protéger par la violence aveugle leurs privilèges.
Finkielkraut nous enjoindra-t-il d’entendre ce cri de désespoir ?
Houria Bouteldja et Youssef Boussoumah