Au moment même où des droits démocratiques fondamentaux sont retiré aux uns, on en appelle à la « liberté d’expression » pour justifier les rengaines islamophobes des autres. En effet, tout l’arc politique et médiatique est récemment venu rappeler que Charlie Hebdo a le droit de produire des caricatures racistes. Aux critiques portées contre les choix éditoriaux et politiques du journal satirique, on oppose la défense du « droit au blasphème ». En vérité, de l’interdiction des rassemblements à la défense de Charlie Hebdo, il s’agit d’étouffer toute parole contestant l’islamophobie sur le territoire national.
Il y a quelques semaines, des militants antiracistes ont essuyé le même type d’attaque alors qu’ils tentaient d’apporter la contradiction à Caroline Fourest à l’occasion d’un débat organisé par la fête de l’Humanité. Il s’agissait de mettre en cause la participation active de l’invitée à la progression d’idées islamophobes dans éditoriaux, ses tribunes, ses articles de blogs et ses interventions publiques. Le Parti de gauche s’est fendu d’un communiqué pour apporter son soutien à Caroline Fourest, en précisant que « l’islamophobie ne fait pas partie de (son) vocabulaire ». Ce communiqué est un aveu. Il entérine une conception portée par une certaine gauche, qui refuse de dénoncer le racisme, pour préférer y voir l’exercice vertueux d’un « droit au blasphème ». Ainsi, les personnes ayant interrompu l’intervention de Caroline Fourest auraient « perdu tout repère politique » selon le Parti de gauche. Aujourd’hui, c’est pourtant bien au nom de la « critique des religions » qu’on retire leur droit de cité aux musulmans, non seulement de préserver et de développer leurs propres cultures et spiritualités, mais également de participer pleinement, sur la base des références qui sont les leurs, à la construction de la France d’aujourd’hui et de demain.
Cette absence de droit de cité de l’islam, sur le plan de la visibilité et de l’expression politique, dans la république et même auprès des forces à gauche de la gauche, relève d’une véritable amputation de droits politiques. L’islamophobie est un système qui vise à atteindre, bien au-delà des musulmans ou supposés tels, les droits politiques des populations originaires de l’ancien empire colonial. Les luttes antiracistes conséquentes sont donc prises entre le marteau et l’enclume : le marteau de la répression d’État, l’enclume de la gauche sociale et politique, incapable de se solidariser massivement, voire qui appuie d’arguments et de propositions le racisme d’État.
Le procès contre Houria Bouteldja est représentatif de cette offensive contre les luttes antiracistes conséquentes. L’Association générale pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF), organisation d’extrême droit présidée par Bernard Anthony, a porté plainte contre Houria Bouteldja pour racisme antiblanc. Après avoir gagné son procès en première instance, Houria Bouteldja comparaît en appel le 15 octobre prochain. Le racisme antiblanc est bel et bien en passe de devenir la nouvelle arme juridique contre les mouvements de l’immigration et des quartiers populaires. La stratégie consiste à mettre sur le même plan oppresseurs et opprimés : à partir du moment où depuis trente ans, l’antiracisme est envisagé de façon morale et non politique par la gauche, comme l’hostilité plus ou moins radicale d’un groupe pour un autre groupe , il est possible de considérer que n’importe qui, y compris les racisés, peuvent faire preuve de « racisme ». À nouveau pris entre le marteau fascisant et l’enclume de l’antiracisme moral, les mouvements de l’immigration et des quartiers populaires risquent désormais d’être attaqués pour « racisme contre les français de souche », « racisme antiblanc », pour avoir mis en cause les institutions et les pratiques discriminatoires de la république.
De l’islamophobie au « racisme antiblanc », l’offensive est la même. Il s’agit de réduire à la passivité politique les forces de l’immigration et des quartiers populaires. Des supposés « islamistes » aux antiracistes conséquents, des peines encourues pour « injures au drapeau » ou pour avoir sifflé la Marseillaise, ce qui est visé par les gouvernements, leur police et leur justice, ce sont bien les prétentions à changer la destinée nationale, à transformer en profondeur le pays et ses institutions. Tandis que la droite et l’extrême droite veulent étouffer ou écraser la présence des populations issues de la colonisation, la gauche et la gauche radicale sont prêtes à soutenir les Noirs, les Arabes et les Musulmans tant qu’ils sont des réservoirs de voix ou les victimes passives du racisme d’État.
Face à ce consensus inégalitaire, il faut riposter : renforcer les soutiens d’un antiracisme conséquent et travailler activement à la modification des rapports de forces politiques au sein de la société pour que nos priorités deviennent incontournables !
Réunion publique avec Houria Bouteldja et Saïd Bouamama
Le samedi 13 octobre à 16h
Au Lieu-dit
6 rue Sorbier, 75020 Paris
M° Ménilmontant ou Gambetta