La fin du mois d’août marque la rentrée politique française. Les responsables gouvernementaux, de retour de leur pause estivale, révèlent les plans de la nouvelle saison politique. Dans ce contexte, le nouveau ministre de l’éducation Gabriel Attal a annoncé l’interdiction des abayas – longue robe traditionnelle portée par les femmes musulmanes – au sein de l’école publique. M. Attal, bras droit ambitieux du président Macron, a justifié cette interdiction en qualifiant les abayas d’ « atteintes à la laïcité ». Selon des responsables de l’éducation nationale, un nombre croissant de jeunes filles musulmanes porte ce vêtement. Cette pratique, expression naturelle d’islamité et d’attachement à un héritage culturel, a déclenché une panique morale de grande ampleur. Une série de sondages a révélé une écrasante opposition au port de vêtements traditionnels dans les écoles. Un professeur a qualifié le vêtement de phénomène « extrêmement inquiétant et menaçant ». La secrétaire d’État Sonia Backès a accusé les « réseaux d’islam radical » de « prendre la République à défaut ».
Panique morale et islamophobie systémique ont conduit à une mise à jour juridique. En effet, l’interdiction ne nécessitera pas l’adoption d’un nouveau texte législatif. La loi de 2004 a été identifiée comme le bâton à employer afin de discipliner les jeunes musulmanes. La loi – qui célébrera son 20e anniversaire en mars 2024 – fût utilisée à l’origine pour cibler le hijab. Son champ d’application est désormais élargi, incluant l’abaya et le qamis.
Pour un regard étranger, cette énième controverse islamophobe française peut sembler grotesque, incompréhensible. Les musulmans, eux, n’ont pas été surpris. Il ne fait aucun doute que la peur irrationnelle et généralisée de toute expression d’islamité, en particulier provenant d’enfants, est un attribut organique de la gouvernance et de la psyché françaises.
Criminaliser l’enfance musulmane
Au cours des 30 dernières années, l’école est devenue un espace de conflit politique. Le renouveau de la pratique de l’islam, un intérêt grandissant pour l’éducation islamique conjugué à l’avènement des récits sécuritaires islamophobes de la « guerre contre la terreur », ont encouragé une répression républicaine sévère. L’État français a identifié les enfants musulmans comme des cibles prioritaires. L’islâm étant dépeint comme une menace civilisationnelle existentielle, il est devenu urgent pour l’État d’assimiler les nouvelles générations musulmanes en les forçant à abandonner leur identité. Comme indiqué précédemment, le hijab a été prohibé des établissements scolaires. Cette interdiction n’a toutefois pas mis fin à la pratique : les jeunes filles ont continué à le porter à l’extérieur le retirant une fois à l’intérieur – des scènes humiliantes remémorant les « dévoilements » coloniaux. La persécution ne s’est donc pas arrêtée là.
Des militants musulmans ont recueilli de nombreux témoignages de musulmanes interrogées par leur principal au sujet de robes qu’ils jugeaient d’une longueur suspecte. A la demande du ministère de l’Intérieur, des écoles publiques du sud de la France ont fiché les enfants s’absentant pour l’Aïd-El-Fitr. Depuis la mise en œuvre de l’ « entrave systématique » et l’adoption de la loi séparatisme, les écoles musulmanes sont soit fermées, soit harcelées par un État employant des moyens juridiques indirects et artificiels pour les cibler.
Les enfants musulmans, tout comme leurs parents, sont considérés comme des menaces sécuritaires en devenir. Les propos de Macron associant l’interdiction de l’abaya au meurtre de Samuel Paty démontrent clairement ce constat. L’enfance musulmane est criminalisée par une nation décrivant identité et émancipation musulmanes comme catalyseurs de son propre déclin.
Transmettre la suprématie républicaine
Cette approche n’est pas nouvelle : les autorités coloniales utilisaient des tactiques similaires. En Algérie, l’enseignement de l’islâm et de la langue arabe fût sévèrement réduit. Les indépendantistes musulmans se sont constamment opposés à cette politique et ont établi les fondements de leur lutte de libération à travers la diffusion du savoir religieux et linguistique. Cette connaissance devint la source principale du succès musulman. La stratégie éducative assimilatrice n’était rien d’autre qu’une voie menant à la servilité, au quiétisme politique. Incarnant ce dessein asservissant, le code de l’indigénat interdisait d’ailleurs aux musulmans les « propos tenus en public contre la France et son gouvernement ». L’État colonial a maintenu un regard suspicieux à l’égard de l’autonomie musulmane : sa croissance révélait son propre recul stratégique, et son instabilité.
Aujourd’hui, le système éducatif demeure le pivot de la survie et du succès de la République, un terrain fertile où les graines des ambitions politiques peuvent être plantées. Pour les enfants français, l’école est l’environnement où la suprématie républicaine s’enracine. L’État cherche à instaurer un climat éducatif atrophiant la capacité musulmane à exprimer une parole politique souveraine ancrée dans sa Tradition. Il s’agit de couper le lien avec notre ascendance et notre pratique spirituelles. L’interdiction de l’abaya participe de cette entreprise de destruction islamophobe.
Un État insécure
La nation française traverse actuellement une crise stratégique profonde. Sa perte d’influence continue, notamment dans le monde musulman, suscite l’inquiétude et le doute. Pour protéger un statut déclinant, les décideurs ont souligné la nécessité d’une France plus unie, plus résiliente et, en fin de compte, plus républicaine. Afin d’atteindre cet objectif, l’islamophobie est nécessaire pour étouffer la croissance politique d’une minorité dissidente.
Nonobstant les efforts étatiques, les résultats sont extrêmement médiocres. Au cours des trois dernières années, la France a perdu une influence significative sur ses anciennes colonies musulmanes comme le Mali, le Niger ou le Gabon. Malgré l’islamophobie systémique, les enfants musulmans demeurent attachés à leur islâm. Certains d’entre eux ont prié dans leurs écoles, défiant la haine alentour. Ils ont observé une minute de silence commémorant la mémoire du Prophète Muhammad, -que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui ! – s’opposant aux fréquentes caricatures blasphématoires le visant.
Il est peu probable que l’interdiction fasse disparaître le fil que l’enfance musulmane tisse avec sa Tradition. Au contraire, l’injustice de l’État ne fera qu’engendrer son futur plus grand rival.
Rayan Freschi
Rayan Freschi est chercheur pour CAGE, organisation de défense des droits basée à Londres. Il est l’auteur du rapport “We are Beginning to Spread Terror”: The State-Sponsored Persecution of Muslims in France qui couvre en détail la répression de l’islam et des musulmans en France sous le régime d’Emmanuel Macron.