Les violences islamophobes et racistes françaises ne sont pas anecdotiques. Elles sont le résultat d’une gouvernance et d’une culture spécifiques

Rayan Freschi est chercheur à CAGE, organisation de défense des droits basée à Londres. Il est l’auteur du rapport “We are Beginning to Spread Terror”: The State-Sponsored Persecution of Muslims in France qui couvre en détail la répression sans précédent de l’islam et des musulmans en France sous le gouvernement d’Emmanuel Macron.

À la veille de la proposition d’un plan de réforme des retraites accueilli par des soulèvements sociaux, la violence raciale et religieuse s’est introduite avec fermeté au sein d’une réalité sociale française instable. Au cours des dernières semaines, trois événements troublants ont secoué le quotidien des musulmans et des minorités vivant en France.

Quelques instants après la demi-finale de la Coupe du monde France-Maroc, des groupes d’extrême droite ont mené une série de raids dans plusieurs villes pour intimider les musulmans. En conséquence, un jeune musulman a été tué après avoir été renversé par une voiture conduite par des supporters blancs. Le 23 décembre, un homme blanc a assassiné trois Kurdes en plein cœur de Paris. Trois jours plus tard, un autre homme blanc – qui aurait déclaré à la police que l’attaque précédente lui avait donné de la « force » – a tiré sur une jeune musulmane de 13 ans laquelle a heureusement survécu à l’attaque.

Comment la violence islamophobe et raciste a-t-elle émergé au cœur de l’Europe, un continent décrit par certains comme un « jardin » dont les valeurs « intimident les régimes autoritaires » ? Pour comprendre ces événements tragiques, il est nécessaire d’explorer les mécanismes du désordre structurel dont ils sont le symptôme.

Un paysage culturel suprémaciste

Si l’islamophobie et la xénophobie d’État semblent évidentes – fondées sur une méthode de gouvernance d’origine coloniale- nous devons également considérer les racines culturelles qui sous-tendent ces attitudes, des questions trop souvent relativisées et incomprises dans la sphère internationale.

En novembre 2022, le romancier Michel Houellebecq et le philosophe Michel Onfray ont publié le contenu d’une discussion truffée d’observations grossièrement islamophobes et racistes. Les deux penseurs ont explicitement validé leur croyance dans la « théorie du grand remplacement », Houellebecq prévoyant des « actes de résistance » – faits d' »attentats » et de « fusillades dans les mosquées” – une fois que des « territoires entiers” seront soumis au « contrôle islamiste ». Les combattants musulmans algériens de la guerre d’indépendance y sont qualifiés de « terroristes » et la “conclusion désolante” à laquelle Houellebecq parvient est la suivante : « notre seule chance de survie serait que le suprémacisme blanc devienne trendy aux USA »

L’influence de ces perspectives sur le paysage politique français est indéniable. Houellebecq – qui a dépeint à plusieurs reprises l’Islâm et les musulmans comme une menace civilisationnelle mortelle pour l’Occident au cours des deux dernières décennies – a acquis une réputation prophétique en France. Son roman Plateforme – narrant l’histoire d’un homme perdant son amour dans un attentat commis par des musulmans – a été publié quelques jours avant le 11 septembre et est depuis considéré depuis comme une brillante prémonition littéraire et politique. Soumission – satire narrant la prise de pouvoir politique de la France par un parti musulman – a été publié le jour même où Charlie Hebdo fût pris pour cible par Al-Qaïda. Des personnalités politiques de premier plan – de l’actuel ministre de l’économie Le Maire à l’ancien président Nicolas Sarkozy – soutiennent, partagent et cooptent les perspectives de ces intellectuels reconnus.

La publication de cette conversation trahit une réalité profonde. Elle est le symbole d’une culture islamophobe tout à la fois insécure et profondément influente, qui considère la liberté des musulmans comme une menace et la violence suprémaciste comme une voie nécessaire à la survie.

Dissimuler les motifs honteux afin de protéger la réputation mondiale de la France

L’approbation tacite de la violence ne peut se matérialiser qu’avec la complicité des médias et, bien sûr, de l’État. Les uns et les autres traitent les événements de la même manière. Ils en atténuent systématiquement la gravité et en obscurcissent les motifs. Le résultat concret est le récit islamophobe et suprémaciste que des figures culturelles ont élaboré au fil du temps, récit repris, à des degrés divers, par les médias et l’État français.

La mort d’un garçon due aux raids de l’extrême droite qui ont suivi le match de la Coupe du monde a été traitée comme une simple anecdote – une anomalie à ignorer alors même que la France est le pays européen le plus menacé par la violence d’extrême droite.

L’agresseur anti-kurde a été transféré dans un asile psychiatrique, certains médias grand public allant jusqu’à suggérer que l’attaque était commanditée par la Turquie – et ce malgré les aveux explicites de l’assassin.

Les autorités judiciaires ont refusé de reconnaître les motifs islamophobes et racistes qui ont conduit à l’attaque de la jeune fille musulmane, une fois de plus malgré des preuves claires et indéniables. La couverture médiatique a été minimale, les médias nationaux publiant de courts articles quelques jours après l’agression potentiellement mortelle.

Jamais, il faut le remarquer, les médias n’ont utilisé les termes « terroriste » et « terrorisme » pour décrire les agresseurs et les attaques – lexique de référence exclusivement réservé aux musulmans auteurs d’actions similaires. L’Etat et les médias ont systématiquement pris en compte les aspects psychologiques de l’affaire, afin d’expliquer et contextualiser les intentions supposées des auteurs – un traitement qu’ils refusent d’octroyer lorsque les accusés sont de religion musulmane. En raison de cet effort concerté dissimulant le lien direct entre le discours islamophobe, raciste et la violence, le risque pour les populations musulmanes augmente.

Il est temps de réaffirmer clairement les raisons pour lesquelles les violences raciales et religieuses ont cours en France. Loin d’être des événements isolés à la signification marginale, ils doivent être considérés comme faisant partie d’une toile complexe plus large dont les fils piègent la nation toute entière. En partageant cette compréhension plus honnête sur la scène internationale, nous avons une chance de protéger les musulmans et les autres minorités vivant en France. La France s’efforce de dissimuler son islamophobie et son discours raciste dans le but de préserver sa réputation internationale de défenseur et promoteur des droits de l’homme – une réputation parfaitement imméritée, sur le point de connaître un véritable déclassement.

Rayan Freschi

Traduction d’un article publié en anglais sur The New Arab, le 7 février 2023






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