Lancé en grande pompe au mois de mai dernier lors d’une soirée organisée par le Ministère de la culture et animée par Anne Sinclair, le « Dictionnaire historique et critique du racisme (PUF) » s’assigne la noble tâche de « lutter contre les racismes en connaissance de cause et avec la lucidité requise. ». Un imposant ouvrage destiné à devenir une référence incontournable du journalisme et des études politiques, dont l’écriture a rassemblé pas moins de 250 contributeurs, sous la direction du politologue Pierre-André Taguieff.
Ce parrainage a semble-t-il irrité dans certains cercles : des différends assez virulents ont, à intervalles réguliers, opposé ces derniers à M. Taguieff, qui fut notamment engagé dans une retentissante polémique avec M. Tarik Ramadan.
Connu pour son approche originale à l’égard de l’extrême-droite et, plus particulièrement, de ses intellectuels — il a ainsi prôné le dialogue avec la « Nouvelle droite » —, théoricien emblématique d’un « islamo-totalitarisme » naissant, « nouveau réac », « déclinologue » et « ultra-sioniste » pour les uns, néanmoins soupçonné de trahison par certains « faucons » pro-israéliens… Pierre-André Taguieff ne fait donc pas franchement consensus dans l’univers, il faut le dire, fort peu ordonné, de l’antiracisme intellectuel.
À lire les quelques extraits reproduits sur le site de la chaîne publique « Outremer Première » par Philippe Triay, ce ne sont pas les passages que l’ouvrage consacre aux ultramarins qui apporteront des éléments d’apaisement.
Au vrai, l’ignorance crasse et les propos dignes du café du commerce qui tiennent lieu d’expertise à l’une des contributrices feraient même, au premier abord, douter du sérieux de cette somme de plus de 500 articles, si la table des matières ne révélait pas par ailleurs la participation de scientifiques réputés, dont Sophie Body-Gendrot et Laurent Mucchielli.
« La seule discrimination dont puissent aujourd’hui se plaindre les citoyens français d’outre-mer est une discrimination positive massive : majoration de salaires et de retraites, exonérations sociales et fiscales, subventions à perte de vue, primes de toutes sortes, y compris les voyages gratuits ou à prix réduit vers la métropole au nom de la « continuité territoriale » » écrit avec autorité Mme Anne Le Pourihet, constitutionnaliste et professeure de droit en Bretagne.
La distinguée juriste semble pourtant bien ne rien savoir du tout des économies et sociétés ultramarines.
Quelques lignes suffisent pour tartiner du sens commun et aligner des sottises ; les démonter dans le détail, en mettant en exergue les difficultés et les spécificités des contextes ultramarins, exigerait des pages.
Bornons-nous donc à rappeler à Mme Le Pourihet que la « majoration des salaires et des retraites » servie aux heureux — et inégaux— bénéficiaires des fonctions publiques et parapubliques outremer compense un coût de la vie nettement plus élevé qu’en France ; de sorte que les sur-rémunérés sont, en fait, correctement rémunérés…Et qu’en conséquence, les autres « salauds » d’ultramarins sont à ce point privilégiés qu’ils doivent, avec des minima sociaux et un salaire horaire minimal identiques à ceux de la métropole, affronter des prix qui, pour ne parler que de La Réunion, sont supérieurs de 50% en moyenne à ceux de l’Hexagone.
Ajoutons que la défiscalisation, à La Réunion, profite avant tout à la spéculation immobilière et que c’est à elle qu’il faut, entre autres joyeusetés, imputer l’augmentation paradoxale du nombre de créations d’entreprises alors que l’économie, elle, s’effondre, nonobstant les « subventions » pour lesquelles La Réunion est bien loin d’être la région la mieux dotée.
Disons encore que, si l’on s’en tient à la définition la plus restrictive de la discrimination positive, le Conseil interministériel de l’Outremer avait, il y a 5 ans, qualifié de « caricaturale » la sous-représentation des ultramarins dans les services de leurs Départements et Régions.
Concluons en égrenant une fois encore le chapelet des statistiques qui montrent l’étendue des bienfaits de la « discrimination positive » pratiquée sous nos cieux : 49% des Réunionnais en-dessous du seuil de pauvreté, 60% des jeunes au chômage et plus de 35% de la population sans emploi, une industrie laminée, une agriculture en déclin, une espérance de vie parmi les plus faibles des régions de la République…
Des réalités évacuées par l’ouvrage dont, à première vue, les lecteurs ultramarins retireront une fois encore l’impression qu’ils sont, selon la formule consacrée, des citoyens entièrement à part, et non à part entière.
Geoffroy Géraud Legros
Rédacteur en chef, Éditorialiste 7 Lames la Mer