Ce mercredi 11 Janvier 2012, je suis étonné et « gêné » par votre première page, avec une Femme Noire afro, arme à la main avec le slogan : « Oh Oui, exploite moi »…
Conscient qu’il s’agit sans doute pour vous, une façon de faire un clin d’œil et peut être rendre carrément un hommage à cette grande période des années 70, de la Blaxploitation, où des chefs d’œuvres cinématographique comme Shaft, Super Fly, Coffie (avec la sublime Pam Grier) ou Black Dynamite ont vu le jour.
Ce mouvement qui a révolutionné le cinéma américain en permettant d’avoir une image plus positive de la Femme et de l’Homme noirs américains contrairement à celles véhiculées par le cinéma hollywoodien bourrés de clichés et de préjugés racistes…
Cette grande époque des années 70 où James Brown, chantait insolemment, « I‘m Black and I’m Proud », ou Nina Simone ferait de son « To Be Young, Gifted and Black » l’hymne des Black Panthers, et où lors des jeux olympiques de Mexico en 1968, Tommie Smith et John Carlos levaient fièrement leur poing ganté de Noir sur le podium de la finale du 200m en hommage aux mouvements des Black Panthers….
Bref… Je pense que toute la dimension symbolique et même le message de votre première page de ce numéro du petit bulletin est mis en lumière si l’on est un minimum cinéphile (ce que vous êtes sans doute!!) et un minimum connaisseur de l’histoire du peuple afro- américain (ce que vous êtes peut être!!).
Par contre je me pose la question, qu’en est il pour ceux (la majorité je pense) qui résume les acteurs noirs américains à Huggy les bons tuyaux de Starsky et Hutch, et de façon assez simpliste, le combat pour l’égalité et la dignité des Noirs américains à un discours et à un homme: « I have a Dream » de Martin Luther King (avec tout le respect et l’admiration que j’ai pour ce grand leader.).
Bref… Un petit come back historique me semble indispensable pour comprendre où je veux en venir. Comme chacun le sait la plupart des Afro- américains sont originaires de la période esclavagiste des Etats Unis. Tout comme les afro- caraibéens sont issus de la période esclavagiste de l’Europe. Durant cette période l’Homme Noir est considéré comme un objet, agricole, un objet industriel, un objet domestique….
Pour la Femme Noire il en est de même avec une « fonction supplémentaire »: Objet sexuel…
La Femme Noire sera, pendant toute cette période historique, exploitée agricolement, exploitée industriellement, exploitée domestiquement…. Exploitée sexuellement!!
Bref… Vous pouvez imaginer comment il parait alors fortement violent de lire au dessus de l’image d’une Femme Noire; « Oh oui Exploite moi!! »
Bien entendu vous me direz: « Mon cher Monsieur il ne faut pas voir le mal de partout et tout cela est de l’histoire ancienne!! »
Ancienne?
Lorsqu’il ya 2 ans notre association, le Comité Traite Négrière/ Esclavage, a décidé de créer une exposition « Lumières Noires » en Hommage à la Femme Noire à travers l’histoire et les continents (Angela Davis, Mulatresse Solitude; La Reine Tiyé, Rosa Parks…) nous avons commencé à mettre en place un recueil d’information en utilisant un site de recherche internet bien connu….
Qu’elle n’a pas été notre désagréable surprise en tapant sur notre clavier « Femmes Noires » de tomber à 80% sur des sites à caractère pornographique et les autres 20% étaient à caractère esthétique… En résumé pour la Femme Noire c’est « Soit Sexy et tais toi ». D’autre part une étude datant de 2005 faite en France par Yann Le Bihan, chercheur au laboratoire de psychologie sociale de l’EHESS intitulée: « Quelle représentation se fait l’homme blanc de la femme noire ? » conclu:
« Après enquête le verdict tombe tranchant comme le coutelas. Une noire ne pèse sur la balance de la séduction que par les fantasmes qu’elle suscite, largement à cause des stéréotypes liés à sa couleur.
La femme noire se réduit aux yeux du blanc à un pur fantasme sexuel. Elle est réduite à une série de clichés aussi négatifs les uns que les autres. Elle en prend pour la couleur de sa peau. Une tendance qui s’est amorcée dès la phase des entretiens directs. A son évocation, la quasi-totalité des hommes interrogés avaient associé instantanément des mots « sexualité » « volupté » « sensualité » etc. à la femme noire. Toutes les descriptions données par les hommes blancs furent exclusivement centrées sur le corps de la femme noire.»(1)
Par conséquent il semblerait que certains clichés à caractère sexiste (la Femme) et raciste (Noire) aient la vie dure et longue même s’ils prennent leur origine dans une histoire qui peut paraître très éloignée.
Il semblerait donc qu’autour de la Femme Noire persiste une sorte de syndrome que l’on pourrait qualifier du « Syndrome de la Vénus Hottentote(2) »
Bien entendu je suis conscient que pour vous, en tant que rédacteur du Petit Bulletin, l’intention était seulement de rendre hommage à la « Blaxploitation ».
Mais « une image vaut parfois mille mots » et les images qu‘elles soient télévisuelles ou journalistiques, exposées à un public non averti, non connaisseur, peuvent confortées et renforcées les clichés et des préjugés sexistes et / ou racistes souvent inconscients.
Voilà… Je tenais juste à attirer l’attention mais surtout une réflexion autour d’une image, sans doute pleine de bonnes intentions, mais à double tranchant, pour un journal tiré à des milliers d’exemplaires, adressé à un public large et non averti!!!
Avec mes remerciements.
Michel Raynaud, membre du PIR Grenoble
(1) Etude visible sur angzamag.com site afro- européen et afro-caraibéen.
(2) La Vénus Hottentote: Originaire du peuple Khoïkhoï ( en Afrique du Sud ) , Swatche , surnommée « La Vénus Hottentote » , serait née vers 1789. En 1810, réduite en esclavage et rebaptisée Saartje Baartman , elle est envoyée à Londres où son maître la vend afin d’en faire une vulgaire bête de foire. Il faut dire que Saartje a une morphologie toute particulière : elle présente une hypertrophie des hanches et des fesses et possède des organes génitaux protubérants. Pour cette raison, elle sera exposée aux yeux de tous dans toute l’Angleterre , en Hollande mais aussi en France. Dans le même temps, elle sert d’objet sexuel pour les Européens en recherche d’exotisme : on la prostitue et on offre son corps dans des « soirées privées ».