Non-réciprocité

Le « racisme anti-blanc » des Indigènes de la République

Intervention d’Houria Bouteldja, porte-parole du PIR au colloque : « Foucault et la colonialité du pouvoir ». Du 25 au 27 mai 2011, organisé par l’université de la Coruña (Oficina de Igualdad de Genero), université Invisible et Université Nomada.

« Vous, les Indigènes, vous essentialisez les Blancs. Vous les réduisez à leur couleur de peau. Finalement, vous ne valez pas mieux que le Front National. Vous faites du racisme anti-blanc. »

En substance, c’est un reproche qu’on nous fait souvent lorsqu’on désigne ceux, qui dans la hiérarchie raciale, bénéficient du privilège d’être blancs ou considérés comme tels dans la société française.

Lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Sauf que là l’idiot est tout sauf idiot. Il est de mauvaise foi ou plutôt, il préfère ne pas comprendre pour préserver ses intérêts de race.

Dans la tête de nos détracteurs, parler de la race et en faire un enjeu politique a un pouvoir performatif en soi. En d’autres termes, on crée la race en même temps qu’on en parle. Constater, expliciter, analyser un phénomène équivaut à créer le phénomène. A partir de là, on peut extrapoler et dire : Parler de la notion de classe, c’est la créer ou encore parler du genre, c’est le créer. Or, la plupart, de celles et ceux qui résistent au concept de race, acceptent largement celui de classe et dans une moindre mesure, celui de genre. Pourtant, toutes ces réalités sont le fruit de processus sociaux, historiques et politiques.

Pour le PIR, la race existe, les races sociales existent. La preuve, c’est qu’elles luttent. En France, les indigènes ont pris l’arme de la race pour combattre une rhétorique redoutable : l’universalisme. Un universalisme blanc qui masque et nie les hiérarchies structurelles qui constituent la république française. C’est pourquoi, nous avons élaboré un certain nombre de concepts politiques pour structurer notre pensée et notre action. Entre autres, les concepts d’ « Indigène », de « Blanc », de « races sociales », de « champ politique blanc » (cf Sadri Khiari, « Pour une politique de la racaille », éditions Textuelle, « La contre-révolution coloniale, de de Gaulle à Sarkozy, éditions La Fabrique) qui n’ont de pertinence que dans la cadre du clivage racial ou postcolonial.

Nous refusons de dire que nous sommes des « êtres universels ». Ou plus exactement, nous refusons de jouer à un jeu dans lequel nous sommes les perdants. Ceux qui nous ont précédés dans la lutte se sont inlassablement revendiqués de l’universel souvent pour tenter d’échapper à leur incarcération raciale. Ils ont décliné pendant plusieurs décennies leurs identités complexes et multiples. « Nous ne sommes pas Arabes. Nous sommes Berbères, descendants de la Kahina, juive en plus ! Notre musique a des origines celtes. Les Kabyles ne sont-ils pas blonds aux yeux bleus ?? Certes nous apprécions Avicenne et Averroès, mais attention, nous adorons Molière et surtout Voltaire. Et puis, n’oublions pas que les Arabes ont inventé le zéro, et l’algèbre aussi ». « Et nous les Noirs, ne sommes-nous pas les dignes héritiers d’une des plus grandes civilisations reconnues (par l’Occident) : l’Égypte pharaonique ? Et Jésus, il était Noir non ?! »

Pour quel résultat, cet étalage d’universalisme ? Quand on observe la vie politique française, je n’ai pas l’impression que Guéant, ministre de l’intérieur sous Sarkozy, soit très convaincu de notre « universalisme ». Pas plus d’ailleurs que les dirigeants de la FFF qui, redoutant notre universalisme ostentatoire, ont suggéré de le réduire à 30 %. Idem pour les partis politiques ou les patrons d’entreprises tant publiques que privées.

Dans la lutte que nous menons, nous prenons le risque de ce que nous pourrions appeler comme Gayatri Chakravorty Spivak un « essentialisme stratégique », à travers les catégories de « Blanc » et d’ « Indigène ». Bien entendu, nous savons très bien que ni les Blancs, ni les Indigènes ne sont réductibles à ce statut, qu’ils sont les uns et les autres infiniment complexes et, pour utiliser ce mot tant chéri par les intellectuels de gauche, « universels ». Mais pour nous, l’« essentialisme stratégique » est un instrument, notamment pour construire une identité collective indigène et une conscience politique de soi. De plus, ce sont des concepts qui font écho à la perception intuitive du clivage racial et qui sont par conséquent efficaces. Car comment comprendre la condition des prolétaires si on ne comprend pas la classe, comment comprendre la condition des femmes si on ne comprend pas le genre et comment comprendre la condition de l’indigène si on ne comprend pas la race sociale. Pourtant, on nous accuse souvent d’essentialiser et de faire du racisme à l’envers. (Au passage, je trouve l’expression « racisme à l’envers » intéressante car elle sonne comme un aveu. Cela signifie que le racisme à l’endroit, c’est à dire « normal » c’est bien le racisme des Blancs envers les Indigènes). Or, je voudrais m’arrêter sur cette notion d’ « essentialisme ». Je ne crois pas que le fait d’essentialiser un groupe soit problématique en soi, dans l’absolu. Ce qu’il faut identifier c’est l’auteur de l’essentialisation et surtout sa position de pouvoir. Un groupe en bas de la hiérarchie raciale a comme tout le monde beaucoup de préjugés. Je peux vous dire que les Maghrébins, par exemple, en ont des tonnes sur tout le monde et même sur eux-mêmes. Sauf que leurs préjugés sont sans conséquence sur le plan du système, car les Indigènes en France ne sont pas une communauté de pouvoir. Leurs préjugés sur les Blancs par exemple ne sont pas soutenus par des structures institutionnelles, de l’Etat, des médias, des politiques. On pourrait dire comme Albert Memmi qu’ils pratiquent un « racisme édenté ». (C’est une expression qu’il convient toutefois de relativiser car ce « racisme édenté », produit de l’accumulation des tensions, des frustrations et des violences, peut faire des victimes blanches sur le plan individuel, moralement et/ou physiquement). En revanche, les préjugés des Blancs ont forcément une force implacable car ils sont adossés au pouvoir de l’Etat. Ces préjugés sont par conséquent du racisme car seules les personnes dans une situation de domination peuvent être racistes. En conclusion, il ne faut pas confondre la forme et le fond. Un Noir ou un Arabe qui dit « sale Blanc » exprime au pire un sentiment d’intolérance ou de haine en réaction aux humiliations qu’il subit, un Blanc qui dit « sale Noir » ou sale Arabe » exprime forcément un sentiment raciste.

Houria Bouteldja

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