Le premier résultat des révolutions du peuple arabe est la prise de conscience de l’étendue et la force de l’identité arabe. Il suffit de regarder Al Jazeera, ou d’observer la solidarité massive exprimée dans les pays arabes, en dépit des tentatives de certains médias et de gouvernements (arabes et occidentaux) de la minimiser.
Pendant plusieurs décennies, la notion de la « fin de l’identité arabe » a prévalu dans la pensée occidentale. Ce concept a été construit et colporté dans l’Empire, et a été seriné par les Arabes qui cherchent à s’attirer les bonnes grâces des dirigeants mondiaux. Inventée par les sionistes et les impérialistes qui l’ont utilisée à disséquer et à diviser pour mieux régner et conquérir, l’idée a rejoint le discours dominant et est devenue une partie de la culture populaire, dans la mesure où beaucoup d’Arabes qui voulaient cacher leur visage brun sous un masque blanc l’ont répétée comme un mantra. Au Liban, bien sûr, elle est au cœur des problèmes qui déchirent le pays et – comme me le disent mes enfants – la question de savoir si les Libanais sont des Phéniciens ou des Arabes fait toujours rage dans les classes d’école aujourd’hui.
Un autre enseignement des révolutions est le message clair que, malgré ce que les racistes-orientalistes voudraient nous faire croire, le peuple arabe N’EST PAS un peuple vaincu, il N’EST PAS pas génétiquement en faveur des dictatures, et être gouverné par la force N’EST PAS ce que les Arabes souhaitent par dessus tout. La raison pour laquelle les Arabes ont été battus par Israël, pour laquelle la Palestine est toujours occupée et pour laquelle les dictatures ont fleuri, est que l’Empire et ses hommes de main israéliens ont soutenu des régimes totalitaires arabes dont la seule fonction est la répression de leur propre peuple. Et ces régimes s’effondrent. Je crois que la résistance libanaise a joué un rôle énorme en relevant les esprits arabes : un petit groupe organisé, mais pauvrement équipé (comparé à ce à quoi les Israéliens ont accès), a réussi à battre les États-Unis et Israël par trois fois : ses membres ont mis fin à l’occupation du Liban en 2000, ils ont battu Israël et les États-Unis en 2006 et ils ont tranquillement, constitutionnellement et démocratiquement contrecarré les tentatives des États-Unis, d’Israël et de leurs marionnettes arabes d’isoler et de détruire la Résistance au travers d’un outil politique dénommé Tribunal international. En 2000 et 2006, la Résistance a rendu, sur le champ de bataille, les Arabes fiers d’être Arabes. Une partie de ceci s’exprime aujourd’hui. C’est précisément pourquoi l’Empire et ses chiens de garde ont si gravement besoin de détruire la Résistance. Il est maintenant trop tard.
Un troisième résultat a été d’exposer la réalité des « démocraties » impérialistes et leur partialité. Et je ne parle pas ici que des gouvernements. Les médias, ainsi que de nombreuses institutions culturelles et des intellectuels, participent à cela. Bien sûr, nous avons assisté à ce que Samir Amin appelle la triade de l’impérialisme collectif (les États-Unis, l’Europe occidentale et le Japon) qui a tenu un discours hypocrite sur la démocratie et l’a utilisé comme un outil de contrôle des populations du Sud et en particulier du monde arabe. Mais cette fois, les maladresses ont été flagrantes. C’est un peu comme le phénomène Wikileaks : il ne vous apprend rien que vous ne saviez déjà, mais il vous donne les arguments irréfutables pour l’exposer. Regardez les Français qui ont tenté de soutenir le régime de Ben Ali ! Regardez la presse occidentale et comment elle traite différemment les révolutions en Tunisie et en Égypte et la révolution verte en Iran. Oh je suis tellement fatigué de ces journalistes occidentaux incompétents qui pontifient sur des pays où ils n’ont jamais vécu ou qu’ils n’ont même pas visités, dont ils ne parlent pas dix mots de la langue et qui dépendent pour leurs analyses de quelques phrases entendues ici et là dans les bars haut de gamme ou dans des dîners – si vous lisez ceci, laissez-moi vous le dire : vous n’avez aucune crédibilité, vous n’êtes que des escrocs et vous le savez. Regardez les États-Unis qui ont envoyé Jeffrey Feltman en Tunisie pour tenter de reprendre le contrôle de la révolution de jasmin. Il en a été expulsé, bravo à nos camarades ! Voyez le discours d’Obama sur l’Égypte hier : alors que le peuple égyptien meure dans la rue pour réclamer la fin d’une dictature vieille de vingt années financée et protégée par les États-Unis, Obama veut maintenir le régime et encourager les « réformes ». Vous aurez bientôt des réformes, Monsieur le Président, après que le régime s’effondre, et la première réforme sera l’annulation du traité de paix avec Israël. Mais la lutte sera très longue, car les Israéliens, les États-Unis et leurs alliés, acolytes et marionnettes jouent gros ici : l’Égypte est la plus grande nation arabe, la plus puissante et elle a défini historiquement le rythme des révolutions arabes. L’Empire va se battre durement et salement.
Quatrièmement, je ne peux m’empêcher de remarquer l’inquiétude et la peur dans les yeux du parti de pouvoir et de l’argent dans le monde arabe. Je n’évoque pas ici uniquement les régimes : je parle de la minuscule classe de capitalistes mondialisés qui a saigné nos pays et a bâti sa richesse sur l’exploitation des pauvres. Celle-là est inquiète. Elle a soudain pris conscience qu’il y a d’autres habitants dans les pays arabes où elle vit, que ces gens sont plus nombreux qu’elle et qu’ils ne sont plus si dociles, en dépit des appareils répressifs qu’elle était heureuse de soutenir. Elle découvre qu’à l’extérieur de ses voitures climatisées, de ses communautés fermées et de ses centres commerciaux protégés, il y a des gens qui vivent et qui ne sont pas seulement des serveurs ou des valets de parking. Elle s’inquiète de perdre son style de vie luxueux, qu’elle ne peut se permettre que parce que l’argent qu’elle accumule n’est pas redistribué. Ce sont des gens qui se pensent eux-mêmes de la même manière les Blancs pro-apartheid en Afrique du Sud le faisaient, parce qu’ils vivent dans leur propre apartheid basé sur la classe. Dans leurs conversations privées et dans les journaux pas si privés, ils parlent de « différences culturelles » entre eux et les « autres ». Ils soulignent, chez « les autres » (qui sont généralement aussi les « arabes »), le manque de « civilisation » (de préférence en français dans le texte). Et ils disent : « ce pays cessera d’être habitable, si la racaille prend le dessus ». Eh bien, sachez le, c’est exactement ce que de nombreux Sud-Africains blancs avaient l’habitude de dire, et regardez où ils se sont retrouvés : dehors. Alors, faites nettoyer vos villas de Cannes, Nice, Marbella, vous pourriez bientôt avoir à déménager là-bas, et cela contre votre gré.
Rami Zurayk
Cet article est paru en anglais dans http://landandpeople.blogspot.com/2011/01/i-had-dream.html et traduit en français par http://seenthis.net/messages/7856