« Naan lara an sara »
(Si nous nous couchons, nous sommes morts)
Joseph Ki Zerbo
– Disons NON à la participation de nos armées au défilé du 14 juillet 2010 en France !
– NON aux accords de réadmission des expulsés !
– NON aux accords de pillage de l’Afrique dits de partenariat économique (APE) !
– Soutenons la marche de la dignité des sans-papiers de Paris à Nice !
Sens et enjeux de la Renaissance africaine
Un homme, une femme, un enfant, pétris dans des tonnes d’un bronze qui capte la lumière, se dressent vers l’Amérique et l’Europe, symbolisant une Afrique noire fière et debout, traitant d’égale à égale avec l’Occident.
Cet homme, cette femme et cet enfant, figés dans ce mouvement, ont assurément du sens en ce début de XXIe siècle où notre inhumanité nous est encore signifiée.
Un nombre considérable de défenseurs de la dignité humaine bafouée à travers l’esclavage, le colonialisme et le néolibéralisme, dont de nombreux artistes et intellectuels avisés auraient pu être présents à Dakar le 3 avril 2010, auraient pu être de cœur avec le Président sénégalais et les dix-neuf autres chefs d’État africains lors de l’inauguration du monument de la Renaissance africaine, si seulement l’exigence de la libération du continent de toutes ses chaînes, celles d’hier et d’aujourd’hui, avait été mise en avant.
La fête en aurait été fort belle !
Mais qui attire la lumière attire aussi la foudre.
Et nos dirigeants, tous pétris dans le bronze de leurs ambitions souvent démesurées, se ressemblent dans leur amour des infrastructures prestigieuses et coûteuses comme dans leur souci de rattraper les autres, nos anciens maîtres et à présent les émergents.
Ils s’exposent nécessairement à la colère de leurs peuples en désarroi parce qu’en danger de mort, faute de revenu décent, de nourriture saine et suffisante, de soins de santé, de logement et de perspectives d’avenir.
La taille visiblement monumentale de la statue de Dakar, son coût incontestablement trop élevé, les modalités forcément ambiguës de son financement, sa réalisation par des Nord-Coréens là où Ousmane Sow, l’une des fiertés de l’Afrique, aurait excellé, suscitent des questions légitimes et bien des inquiétudes quand on considère l’immensité des besoins non satisfaits des Africains, en l’occurrence, les femmes et les enfants, les jeunes diplômés et non diplômés souvent sans emploi, les élèves et les étudiants qui manquent de tout, les malades et les migrants.
En nous demandant de nous approprier cette statue, le Président Abdoulaye Wade nous facilite le travail de va-et-vient entre le local et le global, entre l’Afrique et le monde.
Un tel travail s’impose dans l’indispensable examen du bilan du cinquantenaire de nos indépendances.
La tournure actuelle du débat sur l’imposant monument, et d’une manière générale sur le cinquantenaire, tend à masquer des questions économiques, politiques, sociales et écologiques majeures.
Il en est ainsi du sens de l’Histoire tel qu’il se révèle, ici et maintenant, à la lumière de la crise du libre-échange que nos États ont endossée en camisole de force mais que la quasi-totalité de la classe politique revendique à présent.
À quel moment commencerons-nous à doter les citoyens, notamment les femmes et les jeunes, d’outils d’analyse, de telle sorte qu’ils puissent s’imprégner des enjeux des mutations en cours et défendre leurs intérêts ?
À quand le débat public de fond sur le lien entre le capitalisme mondialisé et le fardeau de la dette, la faim, le chômage massif et chronique, l’émigration forcée, le meurtre des innocents, les camps de réfugiés et le viol des femmes ?
La renaissance africaine est-elle crédible sans envisager la reconstruction de notre moi profond blessé, de nos économies laminées, de nos terroirs ravagés ?
Qui sommes-nous au terme de 50 ans de tentative de libération ?
L’érection, sur l’une des Mamelles de Dakar, d’un monument qui symbolise la renaissance africaine ravive nécessairement le débat sur la nature et l’évolution des relations entre nos pays et la France, cette puissance coloniale, dont nous avons voulu nous libérer de l’emprise.
Ravalement de façades et manifestations festives n’étanchent pas notre soif de vérité, d’humanité et de dignité.
A la question ontologique et légitime « Qui sommes-nous ? », question qui hante nécessairement les esprits dans un monde de plus en plus perturbé et violent, le Président français Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, avait cru devoir répondre en réaffirmant la supériorité blanche et la nécessité de la mission civilisatrice.
Nulle part ailleurs au monde, jamais auparavant, un Président français ne s’était montré sous ce jour sombre qui dispute à la nuit coloniale, si arrogant, si condescendant, si méprisant.
Mots mâchés, crachés, par son nègre qui persiste et signe.
Le discours de Dakar est le fondement idéologique de la politique africaine de l’ancienne métropole qui, en 50 ans, a parfois changé de méthode mais pas de dessein.
Une politique faite d’ingérence, de mensonges et de violences politique, institutionnelle, policière et militaire.
La violence est bien entendu symbolique.
Elle vise sur ce plan à nous inculquer le sentiment de notre échec, un échec qui serait dû à nos institutions, à nos valeurs de société et de culture jugées rétrogrades.
Il nous est ainsi jeté au visage que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».
Le refus de toute repentance, afin de ne pas répondre des crimes d’hier et de justifier des ingérences et des prédations d’aujourd’hui, fait dire au Président français que « la colonisation fut une faute qui fut payée par l’amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait tant ».
À nos enfants, lui qui lie immigration et identité nationale n’omet pas de demander d’ouvrir les yeux, de ne plus regarder la civilisation mondiale comme une menace, comme l’ont trop souvent fait leurs aînés.
La mondialisation néolibérale, cette « merveilleuse » aventure dont le continent noir serait le grand perdant, est aujourd’hui l’incarnation de cette « Histoire », puisque « Jamais l’homme (africain) ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ».
Le libéralisme triomphant que le Président français avait en tête au moment où il s’adressait en ces termes aux Africains est aujourd’hui dans l’impasse.
Comme ici, là-bas la précarité, le chômage, la pauvreté s’aggravent.
Comme ici, là-bas un grand nombre de citoyens ne voient plus la nécessité de la démocratie représentative, puisque les élus transfèrent à d’autres instances les pouvoirs que les peuples leur confient.
Les 50 ans à venir seront de larmes, de feu et de sang si les dirigeants africains continuent de faire la part belle aux investisseurs étrangers en ignorant royalement l’appel au secours de leurs peuples en désarroi. Défaillant et mortifère là-bas où des garde-fous existent encore, le capitalisme prédateur est tout simplement calamiteux sous nos cieux.
La France de l’immigration choisie et le cinquantenaire
Tout aussi explicite que le discours de Dakar est la chasse à l’ennemi subsaharien.
Elle est à l’aune à laquelle les pays africains qui commémorent le cinquantenaire de leurs indépendances devraient évaluer le chemin parcouru tant à l’intérieur de nos frontières que dans nos relations avec la France.
En septembre et octobre 2005, traités « d’illégaux » et de « clandestins », des centaines de jeunes originaires du Mali, du Cameroun, de la République Démocratique du Congo (RDC)… erraient au Maroc, en quête d’Europe.
Ils ont fini par escalader les murs de barbelés des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Leur audace a été réprimée dans le sang. Les chiffres officiels font état de quatorze morts et de plusieurs centaines de blessés.
Les arrestations et les expulsions qui ont immédiatement suivi se sont déroulées avec la même violence et des centaines de jeunes ont été abandonnés dans le désert, sans eau ni nourriture.
La criminalisation des migrants originaires des anciennes colonies françaises venait de franchir un tournant grave et sans précédent.
« Personne ne veut de nous », relevait l’un des refoulés.
Leur quête d’Europe se nourrissait d’une certaine idée de la France, celle d’une alliée potentielle dans un monde incertain, injuste et violent.
Aujourd’hui, les refoulés, les expulsés et tous les assignés à résidence s’interrogent nécessairement sur le sens d’une indépendance qui, en 50 ans, ne garantit pas à tous la liberté de mouvement et qui continue de saigner à blanc l’Afrique.
Combien sont partis mais jamais arrivés ?
Combien, dont les familles et spécialement les mères attendent et espèrent ?
Sous les dunes de sable et les cailloux des déserts, ils se dessèchent ou dorment à jamais dans l’Atlantique et la Méditerranée.
Ces hommes, ces femmes et ces enfants, de chair et non de bronze, veulent circuler librement mais deviennent des sans-papiers quand ils parviennent à franchir les murs de barbelés de l’Europe rêvée.
Détention, rétention, expulsion, réadmission par la force sur le premier sol où ils ont posé le pied.
Coalition d’une Europe mondialisatrice mais frileuse, dont les pays rejettent ceux qu’ils privent de papiers, se les repassent comme des pierres brûlantes dont ils construisent un mur toujours plus haut, vingt ans après la chute de celui de Berlin.
La France abriterait ainsi quelques 122 zones d’attente où 98 % des demandeurs d’asile sont retenus et à partir desquelles les expulsions ont lieu.
Quel est le sens des indépendances africaines pour les migrants qui vivent dans l’ombre et la peur ou qui croupissent dans les camps de rétention externalisés ?
L’Europe ne les reconnaît pas, ne les respecte pas, et l’Afrique fait semblant de ne pas les connaître !
Le tête-à-tête franco-africain
Le Président français veut, semble-t-il, faire du cinquantenaire un levier et un tremplin en vue de resserrer avec les anciennes colonies d’Afrique le lien « historique », « spécifique », « unique », « privilégié » et « affectif » qu’elles entretiennent avec l’Hexagone.
Les deux temps forts de cette célébration de « la fidélité », de « l’amitié » et de « la solidarité » sont le prochain Sommet Afrique / France qui aura lieu à Nice les 31 mai et 1er juin 2010 et le défilé du 14 juillet 2010, auquel sont invités, en plus des chefs d’État, des détachements militaires des anciens territoires d’Afrique noire qui ont contribué à la libération de la France durant les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945.
Tam-tam, tambours et balafons résonneront dans l’Hexagone pour conforter l’illusion selon laquelle nos États sont souverains dès 1960 et, depuis, aidés par la France à se développer.
Les morts, – qui ne sont pas morts comme l’évoque Birago Diop – peuvent désespérer des vivants quand les causes pour lesquelles ils ont payé de leurs vies sont sacrifiées.
Faut-il rappeler que, malgré les faits d’armes des coloniaux, ce sont des troupes soigneusement blanchies qui, en 1945, ont défilé sur les Champs-Élysées pour célébrer la victoire de la France sur les Nazis.
Faut-il se souvenir de l’amertume des Tirailleurs quand ils découvrirent, après la démobilisation, qu’ils devraient se satisfaire au mieux de pensions inférieures à celles de leurs compagnons d’armes européens, au pire d’un silence humiliant, enterrant vivants ceux qui s’étaient engagés corps et âmes pour défendre une ingrate « mère patrie », inhumant une deuxième fois dans le linceul de l’oubli les nombreux morts tombés au champ d’horreur.
Allons-nous ajouter un insupportable fardeau moral à l’immense désespoir des jeunes générations victimes d’une mondialisation inégalitaire et violente, qui permet à l’Europe de s’octroyer le droit de trier, de refouler et d’expulser ceux dont elle estime ne pas avoir besoin ?
À la faveur du libéralisme mafieux et mortifère et avec l’aide de chefs d’État aux ordres, la France a réussi à s’emparer de bien des secteurs stratégiques des économies de ses anciennes colonies.
Les grands groupes français tirent des profits juteux des secteurs pétroliers (Total), minier (l’uranium avec Areva), du bâtiment, du transport ferroviaire (Bouygues) et aérien (Air France), de l’eau et l’électricité (Bouygues, Electricité de France, la Lyonnaise des Eaux, Vivendi), des télécommunications (Bouygues, Orange) et des banques (Banque Nationale de Paris, Société Générale, Crédit Lyonnais).
Loin d’être une survivance coloniale, le franc des « Colonies Françaises d’Afrique » (CFA), en devenant celui de la « Communauté Financière Africaine », traduit la continuité entre hier et aujourd’hui.
Nous ne confions pas seulement l’essentiel de nos réserves de change au Trésor français : nous persévérons dans l’extraversion économique et, en dépit des apparences, dans la subordination.
Avantagés par la parité fixe avec l’euro dans les pays de la zone franc ainsi que par les mécanismes de soutiens directs de l’État français, les grands groupes français ont la part belle dans le pré carré.
La garantie monétaire dont nous bénéficions n’est pas un atout dans la mesure où les exportations de la zone franc sont libellées en dollar.
Battre monnaie s’impose. Mais nous ne verrons pas pour autant le bout du tunnel aussi longtemps que nous caresserons l’illusion d’émerger et de prospérer durablement dans le cadre de l’échange inégal, corrupteur et destructeur du lien social et des écosystèmes.
Dans le jeu de dupes dit gagnant – gagnant, les élites africaines se trompent d’enjeux, de défis et de priorités.
Le sommet Afrique / France de Nice aurait pu être l’heure de la vérité sur les choix macroéconomiques qui sont à l’origine du chômage massif et chronique, de l’hémorragie migratoire et de cette incompréhensible envie de la jeunesse africaine de fuir.
La France d’en haut, si tant est qu’elle l’ose, devrait être en mesure de comprendre aujourd’hui les sacrifices qui ont été exigés de nos pays au nom d’une efficacité et d’une compétitivité dont nous n’avions pas les moyens, à moins que nos États ne mettent leurs peuples au pain sec et à l’eau.
Des relations franco-africaines plus respectueuses de la dignité humaine sont possibles si un très grand nombre de femmes et d’hommes africains et français s’engagent à agir ensemble contre une logique économique qui ici, en Afrique comme ailleurs au Sud, broie et tue de faim, de maladie ou par balles et qui là-bas, en Occident, broie et tue à petit feu.
Ensemble, citoyens africains et français ont le droit de demander à leurs dirigeants réunis au Sommet de Nice : « Qu’avez-vous fait de nos économies et de nos vies ? »
Le rocher en feuilles
En Afrique, aujourd’hui en 2010, nous en sommes au même point qu’en 1960, à la recherche d’un monde différent, meilleur, parce que véritablement débarrassé des rapports de domination qui assujettissent et avilissent tout être humain.
Notre imaginaire politique qui veut que l’indépendance et le développement économique riment avec une existence de femmes et d’hommes libres, fiers et dignes, n’a pas pris une seule ride en 50 ans.
Il appartient aux peuples d’inventer et de s’imposer une nouvelle culture économique qui tranche avec celle, actuelle, des gadgets qui nous enchaînent et mettent en péril l’environnement.
La culture dont il s’agit est synonyme de rupture avec la logique du bien possédé et du tout, tout de suite, à tout prix.
Commençons par nous départir de l’idée de l’incontournabilité du néolibéralisme et du complexe d’infériorité des soi-disant perdants de la mondialisation, puisque celle-ci se révèle être un désastre.
Laissons passer le fameux train de la croissance sans limites qui, visiblement, va droit dans le mur.
Nous aurons comme compagnons de voyage un nombre considérable de citoyens du monde qui estiment que l’argent ne régit pas tout.
L’Afrique, riche de valeurs sociales, culturelles et écologiques qui ne sont pas à vendre, saura faire face, dans cette perspective, à l’immense besoin d’humanité, de paix et de justice de ses peuples.
« Le rocher en feuilles », symbole de la persévérance dans l’effort et de l’espérance, pourra être le socle de toutes les réalisations, dont celui de la renaissance et de la reconstruction de l’Afrique.
Bouna Boukary Dioura, poète malien, le décrit en ces termes :
« Vois ! Un jour l’on nous a dit
D’arroser un rocher
Jusqu’à ce qu’il verdisse
Car le rocher est dur.
Un rocher est éternel.
Les paresseux se sont retranchés
Disant à tout moment « C’est folie »
Nous, on a commencé le même jour,
Et durant cinq ans ce fut une corvée
Et quand le rocher fut couvert de mousse
Il était minuit, minuit de septembre
Et nous l’avons baptisé Mali. »
La posture fière de l’homme, de la femme et de l’enfant africains devient dès lors une exigence morale et politique,
une interpellation des dirigeants africains à penser et agir autrement, en commençant par décliner l’invitation de la France au défilé du 14 Juillet 2010 à Paris.
En France, une centaine de sans-papiers ont entrepris de marcher vers Nice, sur la côte d’Azur, où le Président français reçoit le 31 mai ses homologues africains.
Défiler, c’est parader, c’est marcher ensemble la tête haute, regardant en hommes libres et égaux dans la même direction.
Ces « illégaux », ces « sans-papiers », ces « clandestins », ces orphelins des États postcoloniaux sortent de l’ombre, se manifestent.
Alors…
– Soutenons la marche de la dignité des sans-papiers, de Paris vers Nice !
– Déclinons l’invitation de la France à défiler le 14 juillet 2010 à Paris !
– Non à la marche de l’humiliation de l’Afrique, ce jour-là sur les Champs-Élysées !
– Non aux accords de réadmission des expulsés !
– Non aux accords de pillage de l’Afrique dits de partenariat économique (APE) !