Pierre Haski estime, à en croire sa prose à deux balles, que le sang versé des civils internationaux ne ferait pas « très joli », comme on dit, sur la photo. Alors plutôt que de gâcher la scène en éveillant ses neurones, il prend le chemin d’un lyrisme grotesque, dans la pure veine d’un autre analyste rigoureux de l’actualité – Bernard-Henri Lévy – dont le reportage mensonger en Géorgie (22/08/08) avait pourtant été vertement critiqué sur le même site de Pierre Haski.
Cette sorte de lyrisme, dont fait preuve Haski dans le petit article reproduit ci-dessous, est à la fois assez déplacé – au regard des circonstances tragiques – et franchement ridicule si on en croit les prétentions critiques du site Rue 89. Haski accumule sans problème une série de généralités crétines dépourvues du moindre sens historique. Ainsi, le Moyen-Orient – exactement comme l’Afrique éternelle chère à Sarkozy – est une région « où tragédie et bonheur cohabitent en permanence ». Ou encore, il existe une histoire avec un grand H et une histoire avec un petit h – mais sans la moindre date précise.
Le lecteur est bien avancé. En brouillant toute contextualisation de la colonisation et en évitant de visibiliser l’agression de l’armée d’occupation contre un convoi humanitaire de civils désarmés, Pierre Haski contribue à cette arrogante impunité qui risque bien d’être un jour fatale à l’Etat colonial d’Israël. Il court-circuite, de surcroît, l’intelligence des lecteurs – les incitant à la paresse morale et à se tourner vers un romantisme à la petite semaine au lieu de fournir l’effort d’analyse politique qui s’impose.
En dernière instance, ce petit papier l’air de rien – genre « anecdote sympathique » – porte en lui les germes d’un discours des plus dangereux ; il sape le travail qui incombe à chaque être doté de raison face à ce drame : celui d’une réflexion morale nourrie par l’analyse précise des faits et dont l’implication politique pourrait a minima se traduire concrètement par des sanctions de la « communauté internationale ».
Mais, quand on lit Pierre Haski, on se demande d’abord : pourquoi hélas Susan Sontag est morte? Cette brillante essayiste américaine qui a fourni des analyses de photographies d’Abu Ghraib ne se serait sûrement pas contentée d’admirer bêtement le contraste entre « tragédie et bonheur » mais aurait tâché de rendre l’image vraiment intelligible à la conscience de ceux qui la perçoivent – et non pas seulement sensible à leurs yeux et à leur fibre sentimentaliste.
L’autre question – beaucoup plus centrale – qui se pose est la suivante : pourquoi diable sanctionnerait-on « la vie »? Pourquoi sanctionner « la vie qui continue » malgré la situation d’oppression ininterrompue que le journaliste nomme – évidemment pour la banaliser : « la crise »?
La vie dont il est question, dans cet énoncé général et faussement neutre, ce n’est évidemment pas celle des Gazaouis sous blocus depuis trois ans. C’est la vie qui va de soi : c’est-à-dire celle des forts.
Leurs soldats peuvent donc tuer impunément des civils palestiniens désarmés. Leurs soldats peuvent donc tuer impunément des civils internationaux désarmés. On ne leur en tiendra pas rigueur car ils savent prendre de belles photos. On continuera, avec « la vie » et avec les journalistes comme Pierre Haski – qui nous la gâchent – à feuilleter plus ou moins passivement, entre deux manifestations, l’album des injustices et des torts subis par le peuple palestinien depuis plus de soixante-ans.
“ Pendant la crise, la vie continue. Cette photo est presque trop belle pour être vraie : un couple pose pour sa photo de mariage, le 31 mai à Ashdod, au bord de la Méditerranée, au moment où passe, en arrière-plan, le navire turc Mavi Marmara avec ses centaines de militants pro-palestiniens arraisonnés dans la nuit au prix d’une dizaine de morts et de dizaines de blessés.
Le navire turc est escorté par un bateau de guerre israélien invisible sur la photo.
Ce cliché est pourtant le reflet de la réalité de cette région, où tragédie et bonheur cohabitent en permanence, où l’histoire avec un grand H coexiste avec l’histoire avec un tout petit h, celle des hommes et des femmes qui continuent à vivre, à s’aimer de chaque côté des frontières et des antagonismes.”
Princesse de Clèves, membre du Parti des Indigènes de la République