Dans le marasme et la désolation politique de la France de la fin des années 70, puis des années Mitterrand, face à la trahison des uns, au désespoir et au renoncement de beaucoup, face à la répression et aux crimes racistes, pour nous, les rescapés des ghettos de banlieue, la Palestine a été l’exemple d’une magnifique résistance. En effet, un peuple qui depuis plus d’un siècle, refusait dans une impressionnante dignité, d’abdiquer de ses droits sur sa terre, malgré tous les massacres, toutes les trahisons, le nombre impressionnant de ses ennemis. Evidemment, ça forçait le respect. A un point tel que la lutte palestinienne prenait valeur de thermomètre politique. Ainsi, pour juger d’un groupe politique ou d’un individu, on commençait par lui demander sa position sur le conflit, on disait « faire la preuve par la Palestine ». En un mot pour nous, la Palestine a été une boussole, un révélateur. C’est elle qui nous a offert l’asile politique.
Je me souviens, c’était un jour de septembre 82, nous venions juste d’apprendre l’horrible massacre de 3000 Palestiniens à Sabra et Chatila, par l’armée israélienne et ses alliés fascistes libanais. Un ami, un ancien du Mouvement des Travailleurs Arabes, venait juste le jour même de devenir papa, une petite fille. Il lui choisit sur le champ le prénom de Amal Filastine, Espoir de la Palestine. Nous étions de tous les combats. Dénonciations des meurtres racistes et des taudis pour travailleurs immigrés ici, contre l’imposture SOS racisme, pour le soutien à la Kanaky, aux militants guadeloupéens emprisonnés, contre les exécutions en Turquie, pour le Kurdistan ou pour le Tamil Elam, contre l’apartheid d’Afrique du sud, ou contre les agressions états-uniennes. Partout, nous allions, brandissant en guise de profession de foi, l’étendard palestinien.
Pendant 35 ans, cette question m’a habité. Comment faire avancer en France, cette cause qui nous est si chère mais aussi comment m’acquitter de ma dette morale. Nous nous sommes dépensé sans compter. On a tout connu. Tout essayé. A Paris et dans toute la France, dans les années 80, pour la Palestine, c’est manif sur manif. La plupart son interdites. Les combats contre les milices sionistes sont fréquents.
Comme ce jour de septembre 82 où on se retrouve, à une poignée de militants, à défendre le siège de l’OLP de Paris, face à plusieurs centaines de nervis pro israéliens, armés de barres de fer et casqués, sous le regard attendri des forces de police complices. C’est l’époque où certains des nôtres, exaspérés par la collusion du gouvernement P.S. avec Israël, iront plus loin encore. C’est à ce moment que je fis la connaissance d’un militant dont la compagne partie deux ans plus tôt comme infirmière au Liban, finit par s’enrôler dans une organisation palestinienne et tomba martyre dans une opération commando contre Israël. Elle s’appelait Françoise Kesteman.
Plus tard, surviennent la guerre des camps, l’attaque et le siège des camps palestiniens du Liban par des milices libanaises. On ne savait que faire. C’est le moment où on expérimente pêle-mêle les jeûnes de solidarité à la grande mosquée de Paris, les occupations pendant plusieurs jours du siège de la ligue arabe, des sittings dans des bureaux dépendant de l’ONU. Précisons que manifester pour la Palestine en ces années 80 peut coûter cher. C’est ainsi que j’ai connu de l’intérieur tous les commissariats de Paris. En vérité de 1988, la première Intifada jusqu’à l’agression contre Gaza l’hiver dernier, il est clair que les manifs, marches, colloques, séminaires, pétitions, occupations de locaux, concerts de solidarité et autres « 6 heures pour la Palestine », pour moi, n’ont jamais cessé. Jusqu’en en 2001 où je participe avec enthousiasme au lancement des premières misions civiles vers la Palestine.
En bref, depuis 35 ans, des militants pour la Palestine, j’en ai connu des centaines. Certains n’ont fait que passer, ont tenu plusieurs années avant de s’évaporer. Exaspérés par l’inertie du dossier et le sentiment d’impuissance face à des autorités françaises, droite et gauche, indécrottablement sionistes, ils ont abandonné la lutte. Il y en a même qui sont morts désespérés. Il y a pour finir la catégorie, de celle et ceux qui, partagés entre la nécessité de faire avancer de concert les questions sociales et celle de la Palestine ont intégré des partis politiques français, pensant ainsi lutter pour l’une et pour l’autre de ces causes. Il faut reconnaître que tributaires de l’opportunisme politique de ces mêmes partis français, pour qui l’anti racisme et la Palestine n’ont jamais été qu’un fond de commerce électoral, l’occasion de rafler les voix des bronzés, ceux-ci ont souvent fini à quelques exceptions près, par oublier leurs engagements premiers. Ils ont oublié que les questions qui nous préoccupent, celle de Palestine comme celle de l’égalité entre souchiens et bronzés, ne sont ni des causes humanitaires pas plus qu’elles ne sont réductibles à une simple lutte de classes. Sans parler de tous ceux pour qui la Palestine et les Palestiniens n’ont jamais été que l’occasion de surenchères aussi stériles que nauséabondes, objet de marchandages honteux avec une extrême droite décomplexée.
Alors bien sûr, il reste des centaines et des centaines de militants sincères et actifs, manifestant, organisant le boycott des produits israéliens, allant en Palestine, agissant à leur niveau pour conscientiser la société française. Je tiens ici à saluer leur action courageuse et pleine d’abnégation. Mais est ce suffisant ? La société française sera-t-elle conscientisée avant que les sionistes aient fini par coloniser la dernière parcelle de Palestine ? En ce qui me concerne, j’en suis arrivé à la conclusion que, dans ce monde cynique, seul un parti qui prendrait enfin en charge les questions qui nous taraudent depuis toujours : le racisme, l’égalité, la dignité, le respect pour nos parents, pour notre foi, pour nos martyrs mais aussi l’indispensable et inconditionnel soutien à la Palestine résistante pourrait répondre à mon attente. Un parti pour nous et par nous. Sans craindre de déplaire, ni d’être politiquement incorrect. Sans être obligé de donner des gages de respectabilité ou de faire patte blanche à chaque instant. Je me suis souvent dit au cours de ma vie militante, que si c’était un colonialisme qui avait jeté mes parents sur les rives de la seine et qui avait ôté leurs vies à des centaines de nos frères ici, c’en est un aussi qui, depuis 60 ans, étrangle nos sœurs et frères de Palestine, entre Jourdain et Méditerranée. Un parti anti colonial et anti raciste est indispensable. Pour que l’on soit fort et efficace, si l’on veut imposer des changements à la politique française, notre parti peut faire ce qu’aucun parti français ne pourra jamais faire. Tout simplement parce qu’il sera nous. C’est dans sa construction que j’ai eu l’honneur de m’engager il y a déjà 5 ans. En participant à la fondation du MIR, puis très bientôt du PIR (Parti des Indigènes de la République). Le Parti de nous-mêmes.
Youssef Boussoumah