« Il vaut mieux être policier que simple citoyen. Ils sont couverts. »
Boubaker Ajimi, père d’Abdelhakim Ajimi
Les informations selon lesquelles des responsables de l’application des lois commettraient en France des violations des droits humains inspirent depuis longtemps des inquiétudes persistantes à Amnesty International, qui est également préoccupée par le faible taux de comparution en justice des responsables présumés, faute d’enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces. En 2005, l’organisation a publié à ce sujet un rapport intitulé France : pour une véritable justice, qui s’intéresse à plusieurs cas de graves violations présumées des droits humains commises par des responsables de l’application des lois depuis 1991. Ces violations incluaient des homicides, un usage excessif de la force, ainsi que des actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Des motivations racistes, se traduisant souvent par des injures, apparaissaient dans bien des cas.
L’examen des éléments qui lui étaient soumis a conduit Amnesty International à conclure que les agents de la force publique bénéficiaient couramment, en France, d’une impunité de fait. Dans le rapport, nous avions dégagé plusieurs facteurs qui favorisaient ce climat d’impunité : les lacunes ou les faiblesses de la législation ; l’incapacité ou le manque d’empressement de la police, du ministère public et des tribunaux dès qu’il s’agit de mener des enquêtes exhaustives sur des violations des droits humains impliquant des agents de la force publique et d’en poursuivre les auteurs présumés ; les peines, enfin, sans commune mesure avec la gravité de l’infraction.
Amnesty International admet que la tâche des responsables de l’application des lois en France est difficile et dangereuse, qu’elle les expose souvent à des risques importants et que la majorité de ces agents s’acquittent de leurs fonctions de manière professionnelle, dans le respect de la loi. Il n’en demeure pas moins que des erreurs et fautes sont parfois commises, et qu’il est nécessaire de le reconnaître. En cas d’allégation de violations des droits humains, les autorités doivent ouvrir promptement une enquête exhaustive, indépendante et impartiale. Les mesures disciplinaires qui s’imposent doivent être prises, et les agents de la force publique soupçonnés d’actes tombant sous le coup de la loi doivent comparaître en justice dans le cadre d’un procès équitable. Les autorités doivent veiller à ce que les auteurs d’infractions rendent compte de leurs actes et montrer à la population qu’elles y ont veillé.
Autrement, la crédibilité des organes chargés de faire respecter la loi en pâtit, à l’instar des relations de ces organes avec la population. Les violences qui ont éclaté à la suite de décès liés à des opérations policières (par exemple les émeutes de novembre 2005 qui se sont produites après la mort de deux adolescents poursuivis par des policiers à Clichy-sous-Bois) en témoignent très clairement. Lors de certaines manifestations pacifiques organisées pour demander justice, par exemple celles qui ont suivi la mort d’Abdelhakim Ajimi à Grasse en mai 2008, on a vu se faire jour des mouvements de colère et de défiance moins spectaculaires mais loin d’être négligeables.
Malheureusement, les autorités françaises n’ont appliqué aucune des recommandations essentielles qui visaient à lutter contre les violations des droits humains et le climat d’impunité évoqués dans le rapport publié en 2005 par Amnesty International. Par conséquent, quatre ans plus tard, les problèmes mentionnés en 2005 n’ont toujours pas été réglés. Au fil de ses recherches, Amnesty International a pris connaissance de nouvelles allégations de violations des droits humains commises en France par des agents de la force publique. Les méthodes utilisées pour enquêter sur ces allégations ne sont toujours pas à la hauteur des normes du droit international, et les habitants de la France s’attendent à mieux.
Par ailleurs, Amnesty International constate l’accentuation manifeste d’un phénomène inquiétant : les personnes qui protestent ou tentent d’intervenir lorsqu’elles sont témoins de mauvais traitements infligés par des responsables de l’application des lois sont elles-mêmes accusées d’outrage (insulte envers une personne dépositaire de l’autorité publique) ou de rébellion (résistance avec violence envers un représentant de l’autorité). Dans d’autres cas, des personnes qui se sont plaintes d’avoir subi des mauvais traitements sont accusées de diffamation par les agents concernés. Amnesty International pense que ces pratiques peuvent exercer une dissuasion très forte sur les personnes qui essaient d’obtenir justice après avoir été témoins ou victimes de violations des droits humains ; elles risquent donc d’aggraver encore le climat d’impunité actuel.
Au cours de ses recherches, Amnesty International a entendu à maintes reprises des victimes et des avocats indiquer qu’ils estimaient avoir des griefs légitimes à l’égard d’un agent de la force publique mais n’avaient pas l’intention de porter plainte, car ils considéraient que les dispositifs d’enquête sur les plaintes (tant au sein des organes chargés de faire respecter la loi que de la juridiction pénale) étaient inéquitables et, partant, inefficaces. Par ailleurs, de nombreuses personnes ne voient pas l’intérêt de faire des réclamations auprès de l’organe de contrôle indépendant, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), étant donné que cette dernière ne peut mettre en œuvre aucune forme de sanction.
Si la France veut réellement respecter les obligations découlant des traités internationaux qui lui imposent de prohiber la torture et les autres mauvais traitements et de respecter et protéger le droit à la vie, elle doit prendre des mesures pour réformer ses mécanismes d’enquête sur les allégations de violations des droits humains.
Ce texte est extrait du rapport d’Amnesty International : Des policiers au dessus des lois ?, dont nous recommandons la lecture intégrale. Le rapport est téléchargeable ici.