son étude sur la IIIe République, dont il démontre la dimension intrinsèquement impériale. Il démarre sur la vigoureuse opposition parlementaire de Georges Clemenceau, en juillet 1885, hostile à l’expédition prévue contre Madagascar, qui répond au discours de Jules Ferry consacré à sa doctrine coloniale. Les partisans de la conquête l’emporteront le 24 décembre 1885 avec quatre voix d’avance.
C’est dire combien, à cette époque, les « anticolonistes » pouvaient encore tenir tête aux « colonistes », qui vont pourtant relancer la construction de l’Empire. L’idée impériale va dès lors l’emporter au point d’entraîner l’adhésion de la quasi-totalité de la nation. À côté d’autres ouvrages qui ont traité récemment un sujet similaire (Dino Costantini, Mission civilisatrice. Le Rôle de l’histoire coloniale dans la construction de l’identité politique française, (Éditions la Découverte, 2008). Jennifer Pitts, Naissance de la bonne conscience coloniale. Les libéraux français et britanniques et la question impériale (1770-1870), (Éditions de l’Atelier, 2008).), le livre convainc par sa méthode : la lecture approfondie d’une masse impressionnante d’écrits produits tout au long de la période, où l’on voit se déployer la construction idéologique et concrète de l’expansion. Le raisonnement se déploie en thèmes concentriques qui ne craignent pas, chaque fois, de revenir sur l’ensemble de l’évolution, et c’est un des grands mérites du travail d’éviter néanmoins les redites. Le premier thème est celui de l’impérialisation de la République, qui encourage la genèse d’une « science politique de la colonisation », justifiant la légitimité républicaine de l’Empire. Après la thèse de l’assimilation des premiers temps, qui aurait visé à faire des colonisés autant de citoyens français, ce qui s’avère rapidement aussi irréaliste que risqué, est justifiée une « politique d’association » destinée à préserver les privilèges de la métropole face aux « sujets ». Une trentaine de pages passionnantes sont consacrées à l’analyse en profondeur de l’« esprit colon », fondé, en territoire colonisé, sur la violence, la discrimination et le mépris qui sont au coeur des « moeurs coloniales », milieu pervers auquel il est presque impossible de résister individuellement.
La justification du système repose sur les convictions alors généralisées en Europe du « darwinisme social » qui, extrapolant à la sociologie les découvertes du naturaliste Darwin sur la force de la « sélection naturelle » animale, va fonder le « racisme scientifique » qui triomphe à la fin du XIXe et dans le premier tiers du XXe siècle. Au savoir supposé scientifique de l’« inégalité des races » justifiant la supériorité de la race blanche vont s’ajouter les mythes du péril « noir », « jaune » ou « rouge ». Des arguments territoriaux complètent l’ensemble, revendiquant la légitimité du droit européen à l’expansion de son « espace vital ». On trouve ainsi, dans la thèse de l’espace vital impérial et du devoir d’exploitation des terres neuves propres à absorber le trop-plein de la population, des accents qui annoncent la théorie de l’espace vital national-socialiste.
La conclusion souligne la puissance de ce passé colonial, révélé dans la rhétorique de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale. Un livre important, qui repose sur l’analyse approfondie des textes de l’époque, ceux des « colonialistes » comme ceux, plus rares, mais existants, des adversaires de cet impérialisme.
Catherine Coquery-Vidrovitch
La République impériale. Politique et racisme d’État, Éditions Fayard, 2009, 400 pages, 23 euros.
SOURCE : L’humanité