Pichenette sur la pseudo universalité française

Les accommodements sont-ils toujours nécessaires ? – L’histoire du Québec est une histoire de cohabitation

« Le dialogue ouvre la voie d’une meilleure compréhension des différentes logiques de croyance »

Si la notion d’accommodements raisonnables existe depuis plus de vingt ans, quelques cas largement médiatisés ont fait réagir l’opinion et ont mis de l’avant la question de leur importance et de leur pertinence dans la société québécoise. Offrent-ils la bonne solution aux divergences de points de vue entre les différentes communautés vivant au Québec?

Décrite pour la première fois par la Cour suprême du Canada en 1985, la notion d’accommodements raisonnables vise l’adoption de mesures pour concilier vie professionnelle, sociale ou étudiante et minorités culturelles, religieuses ou autres. Dans la foulée des débats qui ont eu lieu autour de quelques cas médiatisés, le terme «accommodement» a dépassé son sens juridique pour renvoyer à un questionnement sur les valeurs de la société québécoise en tant que société pluraliste, démocratique et égalitaire.

Après le rapport qu’a déposé la commission Bouchard-Taylor, mise sur pied pour étudier les pratiques liées aux différences culturelles, il en résulte que la pratique des accommodements ne pose pas vraiment de problème, mais qu’elle induit, en partie à cause de l’emballement médiatique, une crise des perceptions et un sentiment de malaise identitaire chez certains Québécois, qui se sentent menacés comme une minorité par les valeurs étrangères.

Une réponse partielle

Le professeur Pierre Noël, doyen de la faculté de théologie, d’éthique et de philosophie de l’Université de Sherbrooke et spécialiste du droit des religions et des questions d’intégration des différentes religions dans la société canadienne, considère que les accommodements peuvent résoudre certains cas précis mais ne peuvent répondre que très partiellement aux divergences culturelles et religieuses présentes dans notre société.

Cette notion juridique a ainsi eu un effet bénéfique depuis sa création et a toujours une utilité indéniable si on prend des cas de figure isolés, comme celui du jeune sikh qui avait souhaité porter un kirpan dans une école secondaire en 2002. «Il faut comprendre que, pour ce groupe religieux, la représentation symbolique du kirpan n’est pas négociable. Lui demander de renoncer à quelque chose qu’il estime être fondamental ne contribue pas à favoriser son intégration dans la société», souligne le professeur.

Mais, dans la majorité des cas, nul besoin de faire appel aux accommodements. La meilleure manière de résoudre les différends et de préserver la cohabitation harmonieuse des communautés religieuses et culturelles reste le dialogue: «Si on est capable d’entrer en discussion avec les différents systèmes de croyance, on peut les faire évoluer», soutient Pierre Noël. Inutile donc de voir, comme l’ont fait certains, une véritable menace derrière ces événements avant de partir dans des croisades sans commune mesure avec les intentions des nouveaux arrivants. «Les habitudes religieuses et culturelles qu’ils perpétuent ne signifient pas qu’ils sont mal intentionnés, rappelle le professeur, mais simplement que c’est leur manière de croire et de fonctionner.»

Cette voie permettrait à la fois de connaître et de mieux accepter certaines habitudes divergentes. Selon le spécialiste, «le dialogue ouvre la voie d’une meilleure compréhension des différentes logiques de croyance, des différentes manières de voir et permet de faire tomber un paquet de préjugés».

Il ne faut cependant pas appliquer la notion des accommodements à la moindre occasion, et «quand un Arabe en tenue traditionnelle entre dans un magasin, par exemple, parler d’accommodements raisonnables est un abus de langage». Les accommodements ont eu et ont toujours une utilité indéniable mais restreinte, et c’est au dialogue d’intervenir et de répondre aux questions essentielles soulevées par les différences culturelles et religieuses fondamentales. C’est également la meilleure manière de faire bouger les choses. En effet, Pierre Noël estime que, contrairement aux idées reçues, «les religions évoluent. Les médias ne parlent souvent que des fondamentalistes et des intégristes, mais la majorité des croyants sont capables d’évoluer par le dialogue.»

Effet bénéfique

Mais si les accommodements ne peuvent résoudre toutes les questions soulevées par les différences culturelles essentielles, il reste à souligner l’effet bénéfique que cette notion a eu dans la société québécoise depuis sa création. Pour le professeur, les accommodements ont été positifs aussi bien pour les Québécois que pour les nouveaux arrivants. En effet, la notion d’accommodements raisonnables a suscité dans la société québécoise une véritable prise de conscience et une interrogation sur son pluralisme: «Au Québec, on continuait de réfléchir comme si le pluralisme n’existait pas. Aujourd’hui, les gens se rendent compte que cette réalité est bien présente et qu’elle fait partie de leur quotidien.»

De leur côté, les nouveaux arrivants ont eu l’occasion de prendre la parole devant la société. Et, selon Pierre Noël, toute prise de parole est bénéfique car, «par la prise de parole, les communautés culturelles expriment le désir d’entrer en dialogue et de faire un pas vers la société québécoise», dans une perspective d’ouverture et non de rejet.

Les facultés de théologie travaillent ainsi à l’ouverture d’espaces de dialogue constructifs à cet égard, notamment à travers des séminaires. Regroupant des ressortissants de confessions diverses, aussi bien musulmanes que catholiques ou évangélistes, venant de tous les continents, ces séminaires permettent de confronter les points de vue et les discours: «On se rend compte des différences qui existent, mais aussi des points communs et des choses qui se ressemblent.»

Coexistence

Ce dialogue culturel permettrait de maintenir ce qui correspond, selon le professeur, à «l’essence de l’âme du Québec»: une société qui est et qui a toujours été fondée sur la coexistence de plusieurs communautés et donc d’horizons culturels différents.

Selon lui, «la société canadienne n’est pas une société laïque dans le sens français» du terme. Le rapport Stasi sur le port du voile en France, par exemple, qui interdit le port de tout signe religieux à l’école, ne saurait répondre aux besoins de la société québécoise, qui a toujours vu la «cohabitation pacifique de différentes tendances religieuses». Il rappelle ainsi que l’histoire du Québec est une histoire de cohabitation et que, dès l’origine, plusieurs communautés assez différentes se sont côtoyées.

Plus proche d’une société civile qui laisse un domaine d’intervention assez large au discours religieux, la laïcité québécoise aurait donc tout intérêt à ouvrir la porte à une dynamique de discussion autour de valeurs éthiques communes, au-delà des divergences ponctuelles.

Assia Kettani

SOURCE : Le Devoir

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