Sauf infléchissement ultérieur, un tel tri sélectif opéré en Mars 2009 – Rafic Hariri/Liban (1er mars) et Omar al-Bachir /Soudan (4 mars) – à l’exclusion de tout autre cas similaire, pourrait dénaturer la posture morale dont elle ambitionnait de se draper en une imposture, la négation même de la notion de justice.
Le ciblage du monde arabo africain, à l’exclusion de toute autre sphère géopolitique, à la notable exception de l’ex Yougoslavie et du Cambodge, séquelles du bloc communiste (Depuis la fin de la guerre froide soviéto-américaine, en 1989, l’ONU a crée plusieurs tribunaux ad hoc pour juger des crimes de guerre notamment dans l’ex Yougoslavie (1993) au Rwanda (1994) et en Sierra Leone (2009), ainsi que pour juger les Khmers Rouges du Cambodge, soit deux tribunaux concernant l’Afrique, sans compter le Soudan, un tribunal pour l’Asie et un tribunal pour l’Europe. La justice internationale ne s’est saisie d’aucune plainte concernant les pays de la sphère occidentale. Pour aller plus loin, Cf. «L’essentiel de la justice pénale internationale» par Stéphanie Maupas, Gualino Editeur (groupe Lextenso).), paraît ressortir d’un projet visant à maintenir sous pression la zone privilégiée d’expansion de la Chine et de la Russie, sur la flanc méridional du camp occidental, en désignant à la vindicte publique leurs traditionnels alliés régionaux, la Syrie, l’Iran et le Soudan. Plaide en faveur de cette thèse, le choix discriminatoire de traduire devant la justice internationale les assassins de Rafic Hariri et pas ceux de Benazir Bhutto, l’un et l’autre, pourtant, deux anciens premiers ministres musulmans pro-occidentaux, éliminés à deux ans d’intervalles, le libanais en 2005, la pakistanaise, en 2007….. de poursuivre le soudanais Omar El Bachir et non le tchadien Idris Deby au bilan sanguinairement comparable, voire même le libyen Mouammar Kadhafi, suspecté de l’élimination du chef spirituel de la communauté chiite libanaise l’Imam Moussa Sadr.
1- Le Darfour, un contre feu médiatique à Gaza-Palestine
Plaide également en faveur de cet argument le fait de privilégier le Darfour et non l’enclave palestinienne de Gaza, un cas de figure en tout point transposable à la province sécessionniste du sud Soudan. Le Darfour, il est vrai, fait office de contre feu médiatique au prurit belligène d’Israël contre le Liban et la Palestine. Une conférence sur le Darfour avait d’ailleurs été convoquée, en hâte, en juillet 20O6, à Paris, par l’écrivain Bernard Henry Lévy et Jacky Mamou, ancien dirigeant de «Médecins sans frontières», trois jours après le déclenchement de la guerre de destruction israélienne contre le Liban dans une tentative de détournement de l’opinion publique européenne sur les agissements israéliens à Beyrouth. Contrairement à Gaza, sous blocus israélien depuis quatre ans, le Darfour bénéficie de ce fait d’une sur médiatisation sans rapport avec la réalité du drame humain qui s’y joue en raison vraisemblablement de sa conformité avec la stratégie de balkanisation de l’Afrique et du Moyen Orient et des liens de proximité entre Israël et M. Abdel Wahed Nur, chef de la Sudan Liberation Army (SLA), un proche de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères (L’armée de libération du Soudan (SLA) de M. Abdel Wahed Nur a installé un bureau de représentation à Tel Aviv, le 25 février 2007. Cf. à ce propos «Le Monde selon K.» de Pierre Péan Editions Fayard février 2009, particulièrement le chapitre 8 «Urgence Darfour» dans lequel journaliste français fait le récit de la connivence de Bernard Kouchner avec l‘écrivain Bernard Henry et les manipulations de l’opinion publique internationale sur cette affaire, de même que les opérations de déstabilisation menées par les services américains afin de provoquer une balkanisation du Soudan en vue de pérenniser l’emprise occidentale sur les réserves énergétiques du continent africain.)]. Parangon du droit d’ingérence humanitaire, le tandem Kouchner Lévy a toujours prôné les interventions au Kurdistan, en Tchétchénie au Darfour, mais jamais en Palestine, particulièrement à Gaza où aucune aide gouvernementale française, humanitaire, médicale voire même alimentaire, n’y a été dépêchée après sa destruction par Israël, en janvier 2009, illustration caricaturale de l’instrumentalisation du Droit et de la Justice au service des visées hégémoniques du camp occidental.
Les chefs d’accusations retenus contre Omar Al Bachir, premier président en exercice à être poursuivi par la justice pénale internationale, sont d’ailleurs applicables point par point aux dirigeants israéliens particulièrement les crimes de guerre, le déplacement des populations, les assassinats extrajudiciaires, ainsi que l’usage prohibé de mines anti-personnels et d’armes chimiques, des bombes au phosphore blanc, aux projectiles DIME (dense inert metal explosive). Les témoignages des militaires israéliens de l’académie Itzhak Rabin viennent en confirmation des accusations lancées sur ce sujet par les organisations non gouvernementales et des observateurs occidentaux sur place à Gaza ([De soldats israéliens accusent Tsahal de crimes de guerre le Monde.fr AFP/ 19.03.09 )]. La «lutte contre le terrorisme» n’autorise pas tous les abus. Elle n’autorise pas non plus l’usage de procédés terroristes à l’égard de la population civile, ni l’élimination des témoins gênants des propres turpitudes de leurs auteurs, notamment les installations de l’ONU, comme ce fut répétitivement le cas à Cana, au sud Liban, en 2004, et à Gaza, en 2009.
2- La France, une suspicion légitime
La justice pénale internationale, dont l’avènement avait été salué comme annonciateur d’une ère nouvelle est ainsi, d’emblée, obérée par sa sélectivité et ses immunités, en un mot par sa partialité. Les Etats-Unis, un des tortionnaires majeurs de l’époque contemporaine, le maître d’œuvre des tortures de la base américaine de Guantanamo (Cuba), de Bagram (Afghanistan) et d’Abou Ghraib (Irak), de même qu’Israël, considéré par une fraction importante de l’opinion publique mondiale comme «l’Etat voyou N°1» de la scène internationale, n’ont pas souscrit au traité fondateur de la Cour pénale internationale. Ils disposent de ce fait d’un privilège de juridiction qui leur confère une sorte d’immunité impériale les plaçant à l’abri des poursuites, héritage de l’ancien «régime des capitulations» de l’empire ottoman.
Il en est de même des autres pays du champ occidental, notamment la France, qui compte à son actif l’élimination des principaux opposants du tiers monde hostiles à son hégémonie, Félix Mounier (Cameroun-1958), Mehdi Ben Barka (Maroc 1965), de même que les chefs de file du mouvement indépendantiste Kanak Jean Marie Tjibaou et Yéwéné Yéwéné, tous deux assassinés en 1989 en Nouvelle Calédonie sur un territoire dont la France a la charge de sa sécurité, ou enfin le chef de l’opposition tchadienne Ibn Omar Mahmat Saleh (2008), le «tchadien disparu qui embarrasse la France», arrêté à la suite d’informations émanant des services d’écoute de l’armée française ([Le Tchadien disparu qui embarrasse la France», Jean François Julliard, Cf. Le Canard Enchaîné », mercredi 4 mars 2009.)]. Une «suspicion légitime» frappe d’ailleurs la France tant en ce qui concerne le Darfour que le Liban, en raison de son rôle présumé dans l’élimination de l’opposant tchadien et de son activisme à «internationaliser» l’assassinat de Rafic Hariri, un crime relevant en principe du droit pénal libanais, que le président français de l’époque, Jacques Chirac, un obligé notoire de l’ancien premier ministre libanais dont il est le pensionnaire posthume, s’est appliqué à porter devant la justice pénale internationale. La reconnaissance du ventre ne saurait donner lieu à des excès, ni manipuler de faux témoins, tel Zouheir Siddiq, pour accuser à tort de présumés coupables pour les besoins de sa propre cause.
Rafic Hariri n’est pas l’unique «martyr» du Liban, qui compte une quarantaine de personnalités de premier plan assassinée, dont deux présidents de la République assassinés (Bachir Gemayel et René Mouawad), trois anciens premiers ministres (Riad el-Solh, Rachid Karamé et Hariri), un chef d’état major (le Général François el-Hajj), le chef spirituel de la communauté chiite l’Imam Moussa Sadr et le Mufti sunnite de la république Cheikh Hassan Khaled, deux dirigeants du parti communiste libanais Rizckallah Hélou et Georges Hawi, le chef du Parti socialiste progressiste, le druze Kamal Joumblatt, les députés Maarouf Saad, Tony Frangieh et Pierre Gemayel, l’ancien chef milicien chrétien Elie Hobeika, ainsi que des journalistes Toufic Metni, Kamel Mroueh, Riad Taha, Salim Laouzi, Samir Kassir et Gibrane Tuéni.
Le tribunal spécial sur le Liban, institué par un accord conclu entre le Liban et les Nations Unies, le 5 juin 2005, confère des privilèges exorbitants à la commission d’enquête de l’ONU en ce qu’elle permet à cette instance d’exercer une tutelle de fait sur les autorités locales libanaises, en l’habilitant à enquêter sur un fait qui ne constitue pas un «crime international» juridiquement parlant ([«Douteuse instrumentalisation de la justice internationale au Liban» par Geouffre de la Pradelle, Antoine Korkmaz et Raphaëlle Maison, Cf. Le Monde diplomatique Août 2007)]. Mais le fait de privilégier le cas du chef du clan saoudo américain au Moyen orient, au détriment d’autres personnalités éminentes de la scène internationale (Benazir Bhutto Pakistan 2007, Salvador Allende Chili 1973, Patrice Lumumba Congo Kinshasa 1961), au détriment des dizaines de personnalités libanaises , au détriment des milliers des victimes civiles de la guerre libanaise, au détriment des dizaines de dirigeants palestiniens et des milliers de civils palestiniens tués par les Israéliens, donne à penser que les ides de Mars ont voulu sonner le branle bas des grandes manoeuvres diplomatiques américaines régionales en vue d’insuffler une bouffée d’oxygène à la coalition occidentale libanaise en mauvaise posture dans la compétition électorale, à trois mois des élections législatives libanaises prévues en juin 2009, en plaçant sur la défensive les principaux contestataires de l’ordre hégémonique américain dans la zone, la Syrie, via le procès Hariri, et l’Iran, via le dossier nucléaire, de même que le Soudan au prétexte du Darfour.
Via l’Iran, le Soudan et l’Arabie saoudite, la Chine vise à sécuriser son ravitaillement énergétique de l’ordre de dix millions de barils/jour en 2010, en vue de soutenir sa croissance et de réussir l’enjeu majeur de sa diplomatie attractive, le développement sud sud. Mais la croissance exponentielle de ses besoins pourrait exacerber la tension sur les cours du brut et les marchés pétroliers fragilisant davantage les économies occidentales déjà déstabilisées par l’effondrement du système bancaire. Le commerce bilatéral Chine Afrique a été multiplié par 50 entre 1980 et 2005, quintuplant entre 2000 et 2006 («La Chine Afrique, Pékin à la conquête du continent noir». Michel Beuret, Serge Michel et Paolo Wood- Grasset 2008). Avec 1.995 milliards de dollars de réserve de change, une main d’œuvre bon marché exportable, une absence de passif colonial, la Chine, qui a déjà supplanté la France en Afrique, se pose en puissance mondiale. Premier détenteur de bons de trésor américain, de l’ordre de 727 milliards de dollars, devant le Japon (626 milliards de dollars), la Chine y a déjà adopté le ton, invitant, le 13 mars, les Etats-Unis à «honorer ses engagements, à se comporter en une nation en qui on peut avoir confiance et à garantir la sécurité des liquidités chinoises », dans une admonestation jamais subie par la puissance américaine («Pékin s’inquiète pour ses placements aux Etats-Unis» par Bruno Philip, Cf. Le Monde 14 mars 2009). Dans cette perspective, des stratèges occidentaux n’hésitent pas à prédire un affrontement majeur entre la Chine et les Etats-Unis pour le leadership mondial, à l’horizon de l’an 2030.
La saisine de la justice internationale, en mars 2009, simultanément à propos du Liban et du Soudan, a coïncidé avec le ralliement de la France à l’Otan, après un demi siècle de bouderie, en vue de créer une structure de substitution au Conseil de sécurité de l’Onu et de contourner les veto tant de la Chine que de la Russie dans la gestion hégémonique des affaires du monde, hors de tout multilatéralisme. Face à une telle distorsion de comportement, la justice pénale internationale est attendue au tournant. Le véritable test de sa crédibilité résidera dans son traitement du dossier israélien. Faute de s’autosaisir, en cas de classement sans suite, elle apparaîtra alors comme une justice politique «aux ordres», un outil de répression des récalcitrants à l’ordre occidental, un habillage juridique de l’appareil répressif du militarisme atlantiste.
René Naba
SOURCE : [renenaba.blog.fr