1. L’organisation de colloques
Il est à noter que les colloques qui traitent des mariages forcés rassemblent énormément de participants, dont, et c’est très important, une majorité de personnes non issues de l’immigration, des hommes en particulier.
C’est un progrès considérable quand on sait à quel point on a du mal en France à mobiliser sur les questions plus générales de violences faites aux femmes, de violences conjugales, de viols… Etonnamment, les mariages forcés attirent beaucoup de monde. Cela prouve bien que les français, contrairement à ce qui est généralement véhiculé, se soucient tout particulièrement du sort des femmes immigrées.
A noter également que lors de ces colloques, dès le début, il y a toujours un homme (de type sub-saharien ou maghrébin, faut-il le préciser), qui pose la question de savoir si « la question des mariages forcés n’est pas instrumentalisée à des fins politiques pour stigmatiser les familles immigrées ».
Il s’agit de ne pas occulter cette question.
Nous pouvons en débattre.
Nous sommes d’ailleurs là pour ça.
Mais avant de débattre, écoutons le témoignage de Bougnoulette (on aurait pu demander aussi l’avis de Bamboulette, mais celle-ci est plutôt spécialisée dans tout ce qui est excision).
Pour ouvrir le débat donc, on écoute Bougnoulette.
A vous Bougnoulette.
« Bonjour à toutes et à tous. Voilà, mes parents voulaient me marier de force à un cousin du pays que je ne connaissais pas. Snif. Alors que j’étais en train de lire un livre de Victor Hugo, tout en écoutant du Mozart, tout à coup, mon père, ma mère et ma petite sœur m’ont tiré les cheveux, attaché les pieds et les mains et m’ont jetée dans le coffre de la camionnette pour me conduire en Algérie. Snif. Mais j’ai réussi à m’échapper grâce à l’aide de Monsieur Lamour, mon professeur de français au collège. Car oui, au moment des faits, j’étais collégienne. Snif. Je n’avais que 12 ans. Snif. Je n’oublierai jamais. Snif. Snif. Snif ».
Bien.
On remercie Bougnoulette.
Le débat est clos.
2. La prévention dans les collèges
Il s’agit pour une association (subventionnée à ce titre par les pouvoirs publics), de projeter au sein des collèges un film (subventionné par les pouvoirs publics), qui traite spécifiquement de la question des mariages forcés ; puis, sur cette base, d’échanger avec les élèves et l’équipe éducative du collège.
Mais attention aux amalgames : il est bien expliqué par l’association que la cause des mariages forcés, ce n’est pas l’islam. En effet, les imams éclairés de Drancy ont bien expliqué que dans le Coran ce n’était pas une obligation absolue de marier sa fille de force. En clair, le Coran laisse la possibilité aux musulmans de ne pas forcer leur fille à se marier. C’est important de pouvoir s’appuyer sur le vrai texte du Coran, pour contrecarrer les manipulateurs qui lui font dire n’importe quoi.
Non, ce qu’explique bien l’association, c’est que la cause des mariages forcés, ce n’est pas la religion, c’est la culture (les films diffusés montrent des protagonistes de « culture » maghrébine).
Et c’est cela qu’il s’agit d’expliquer aux élèves de 5ème (12ans).
Le milieu scolaire est d’autant plus propice à ce type de campagne de prévention que :
-* d’une part, le rapport d’autorité est tel que les élèves sont bien obligés d’écouter quand on leur explique que « mariage chez les immigrés » égal « mariage forcé »,
-* d’autre part, dans la mesure où les parents immigrés ne s’intéressent pas à ce que l’on peut projeter à leurs enfants à l’école, ils ne viendront pas se plaindre que l’on traumatise leurs enfants avec des films « racistes » (pourraient-ils dire), comme par exemple, « l’Eté de Noura » de Pascal Tessaud, largement diffusé dans les collèges.
Pour ce type de campagne, étant donnés le jeune âge du « public cible » et le manque d’intérêt des immigrés pour l’éducation de leurs enfants, l’école est un espace particulièrement pertinent.
Les projections et débats sont en direction de tous les élèves (même s’il est évident qu’on ira plutôt dans des collèges ZEP, étant donné le public ciblé) :
-* en direction des garçons issus de l’immigration : afin qu’ils comprennent bien qu’en France on ne marie pas ses sœurs de force
-* en direction des filles issues de l’immigration : afin qu’elles apprennent à être en continuelle alerte au sein de leur famille et qu’elles photocopient leurs papiers d’identité avant chaque séjour dans leur pays d’origine, lors des vacances d’été (si vraiment elles ne peuvent éviter ces séjours à risque)
-* mais la prévention s’adresse également aux élèves français issus de la France parce qu’il n’est pas question de ne cibler que les immigrés : l’école en France est une école républicaine, où tous les élèves sont concernés, sans distinction d’origine, de sexe… . Ainsi on apprend aux élèves français que ce n’est pas parce qu’ils vivent en France, qu’ils sont français issus de la France et qu’ils ont toujours grandi dans l’amour familial, le respect de leur choix de vie et dans un esprit d’égalité entre les sexes, que c’est pareil pour tout le monde. Il s’agit de les amener à se rendre compte que leurs petites camarades immigrées n’ont pas la même chance qu’eux, et qu’ils doivent être vigilants et alerter l’équipe pédagogique, l’assistante sociale ou l’infirmière s’ils détectent le moindre indice d’un mariage forcé qui se prépare. Exemple d’indice qui ne trompe pas : les vacances d’été qui approchent tout doucement. S’ils détectent cet indice, ils doivent en informer toute personne compétente au sein du collège.
3. L’accompagnement des victimes de mariages forcés
Il faut bien distinguer, car là aussi il s’agit d’être rigoureux, deux types de victimes de mariages forcés :
-* les victimes de mariages forcés au sens de victimes « incarnées », qui sont de chair et de sang
-* les victimes de mariages forcés au sens de victimes « symboliques », telles que recensées dans les statistiques des rapports d’activité des associations subventionnées par les pouvoirs publics (subventions directement conditionnées par le nombre de victimes de mariages forcés que ces associations disent accompagner).
Les victimes « symboliques » sont essentielles; en effet, ces victimes permettent aux pouvoirs publics de mesurer la réalité du phénomène « mariages forcés » et de communiquer sur la nécessité d’une prise de conscience de ce fléau.
Même s’il est entendu que pour atteindre les objectifs, il s’agit moins d’accompagner les victimes « incarnées », que de communiquer sur les victimes « symboliques », il s’agit d’être cohérents avec les enjeux généraux et d’accompagner, d’une certaine manière, ces victimes de chair et de sang.
L’accompagnement (social et juridique) est très compliqué, et il s’agit de ne pas gaspiller trop de temps et d’argent pour ces « incarnées », dans la mesure où elles sont beaucoup moins nombreuses que les « symboliques », et donc moins prioritaires.
Mais on peut les accompagner par exemple dans le 6ème chez Grasset pour que leur histoire poignante de vérité et d’horreur puisse être publiée, notamment dans la collection « je-témoigne-que-c’est-des-barbares-et-c’est-une-fille-de-barbare-qui-vous-le-dit ».
Cet accompagnement-là répond aux objectifs généraux.
Exigences préalables : mesurer, qualifier et répondre à des attentes réelles
Les enjeux, et le cadre politique dans lequel s’inscrit l’action publique de lutte contre les mariages forcés, n’apparaissent pas clairement, souvent noyés dans un jargon technique et institutionnel. Or cette action publique mérite amplement d’être connue de tous, tant elle met en perspective, de manière plus générale, les exigences fondamentales des pouvoirs publics quand il s’agit d’actions « en direction des femmes immigrées ou issues de l’immigration » :
-* une extrême rigueur dans les chiffres avancés pour mesurer les violences subies
-* une vigilance constante à qualifier avec précision ces violences
-* le souci de répondre aux besoins exprimés par les femmes immigrées elles-mêmes.
Mesurer : des chiffres particulièrement alarmants
Le GAMS, particulièrement neutre et objectif (puisque les financements des pouvoirs publics dont l’association bénéficie dépendent notamment du nombre « alarmant » de mariages forcés qu’il aura déploré), estime qu’il y a 70 000 cas de mariages forcés. C’est alarmant.
La politique publique en la matière, car il s’agit d’être rigoureux, s’appuie sur cet état des lieux précis du nombre de mariages forcés. Pour une réelle prise de conscience dans la société, il faut faire connaître ce chiffre de 70 000 cas par an en France, et le fait que ce chiffre ne cesse d’augmenter.
Une petite rectification quand même : il ne s’agit pas de 70000 cas par an, mais de 70000 personnes mariées de force. En tout. Pas par an.
Ce qui n’est pas exactement la même chose.
Plus précisément, il ne s’agit pas de 70000 personnes mariées de force, mais de 70000 personnes « concernées » par un mariage forcé.
Ce qui rend la mesure un peu plus floue.
Et puis ces mariages n’ont pas forcément étaient contractés en France.
Ce qui vient compliquer la donne…
Bref
Peu importe
Il y en a plein.
Quand bien même d’autres chiffres diraient qu’il y en a beaucoup moins, on peut toujours l’expliquer par le fait que les victimes ne se plaignent pas. L’équation est de toute façon gagnante :
-* Si les chiffres concernant les mariages forcés sont élevés : c’est alarmant, il faut lutter contre.
-* Si les chiffres concernant les mariages forcés sont faibles : c’est alarmant, il faut encore plus lutter contre, notamment en communicant davantage pour que les victimes osent en parler, et que les chiffres soient conformes à la réalité (c’est-à-dire élevés).
Forts ou faibles, les chiffres sont alarmants.
Nul besoin de toute façon d’une prise de tête sociologico-scientifique : il suffit de faire preuve de bon sens et d’être observateur de la société dans laquelle on vit.
En effet, qui ne connait pas, parmi les 70000 victimes, Samia (qu’on a vu se débattre contre un mariage forcé dans « Plus belle la vie »), Noura (qu’on voit, la pauvre, dans « l’Eté de Noura » de Pascal Tessaud) ou Fatou (filmée par Daniel Vigne dans « Fatou la Malienne »)… ?
Les exemples de victimes, hélas, ne manquent pas. Il suffit d’allumer la télévision pour mesurer l’ampleur du phénomène.
Inutile donc de mesurer tout ça scientifiquement.
Retenir simplement que, de manière générale, c’est un phénomène alarmant, et qui s’aggrave.
Qualifier : une définition précise de la notion de « mariage forcé »
Les pouvoirs publics attachent une attention particulière au fait de nommer et de qualifier avec précision les concepts. En effet, sur des sujets aussi complexes, les acteurs institutionnels et associatifs qui participent à la lutte contre les mariages forcés se doivent d’être dans l’expertise.
Ainsi notamment, il faut bien distinguer la notion de « mariage arrangé » de la notion de « mariage forcé ». Une approche intégrée pluridisciplinaire permet de donner une définition claire et synthétique de ces deux notions :
-* Un mariage arrangé, c’est quand une maghrébine épouse un maghrébin.
-* Un mariage forcé, c’est quand une maghrébine, amoureuse d’un français, épouse un maghrébin.
La distinction est primordiale car elle a des implications juridiques fortes. Sur ces sujets sensibles et complexes, les acteurs institutionnels et associatifs ont suivi des formations internationales; ils sont très rigoureux au niveau sémantique. La rigueur, c’est important.
Qualifier : le mariage forcé est une violence spécifiquement sexiste
La lutte contre les mariages forcés ne s’intègre pas dans la lutte contre les violences faites aux femmes de manière générale. Crédits spécifiques, actions spécifiques, communication spécifique.
Pourquoi une action spécifique pour lutter contre les mariages forcés ?
Parce qu’on ne peut pas tout mélanger.
D’un côté, on a les violences sexistes : mariages forcés et excisions.
De l’autre, on a les autres violences faites aux femmes, qui ne sont pas sexistes, puisque, l’Enveff l’a bien montré, elles concernent toutes les classes sociales, y compris donc les classes non-sexistes (non-habitantes des quartiers défavorisés).
Ainsi, par exemple, tout porte à croire que les violences conjugales sont de moins en moins sexistes, du moins en France, et du moins quand elles concernent les milieux d’origine républicaine et laïque.
En effet, preuve que les violences conjugales, ne sont pas sexistes : les hommes sont aussi fortement touchés. Si le nombre de plaintes déposées par des hommes est plus faible que le nombre de plaintes déposées par des femmes, c’est parce que les hommes ont davantage honte d’en parler. Le phénomène « hommes battus » est malheureusement largement sous-estimé (des études sont en cours pour faire la lumière sur ce sujet tabou).
Mais même quand les hommes sont les « auteurs » des violences conjugales, ils n’agissent pas par volonté de pouvoir et de domination. Au contraire, la violence dont ils sont les « auteurs » est le produit du mal-être des hommes, de plus en plus angoissés, insécurisés et dévirilisés face aux femmes. Ils expriment, maladroitement, la peur que les femmes suscitent en eux. Ils expriment, par le mode de communication « violences conjugales », leur angoisse de petit garçon. Les pouvoirs publics soutiennent d’ailleurs de plus en plus, pour soigner les « auteurs » de violences conjugales, des groupes de parole thérapeutiques. Pour soigner ces victimes de la peur suscitée par les femmes.
A l’inverse, des études sociologiques et anthropologiques poussées montrent que les mariages forcés renvoient à des traditions ultra-sexistes, irrationnelles, animalières, moyenâgeuses et obscurantistes, à un instinct de mort, à des pulsions de destruction massive, à une volonté extrême de réduire la femme à un état primaire animal.
Cette spécificité dans la barbarie, dans l’horreur, dans l’irrationnel explique que la lutte contre les mariages forcés constitue une priorité spécifique dont il faut assurer une communication à part, car elle cible un public à part, public qui se reconnaît ainsi plus facilement quand on parle de lui.
Une priorité pour les femmes immigrées elles-mêmes
Dans les différents espaces de démocratie participative mis en place dans les quartiers populaires (comités de quartier, conseils des étrangers, groupes parentalité…), les acteurs (élus, travailleurs sociaux, associatifs…) autorisent les femmes immigrées à exprimer ce qu’elles attendent des pouvoirs publics.
Les acteurs aimeraient les faire s’exprimer de manière claire, mais ils sont confrontés au fait que ces femmes ont des problèmes de maîtrise de la langue française, de repli sur soi, de manque d’estime de soi et de posture de soumission.
Malgré les difficultés que les femmes immigrées ont à s’exprimer clairement, les professionnels savent deviner leurs besoins à travers notamment leur regard, leur sourire et leur démarche.
Ainsi, lorsque les femmes immigrées exigent explicitement des actions pour lutter contre le chômage, le déclassement, les écoles de seconde zone, les discriminations, les violences institutionnelles, l’insécurité quand elles n’ont pas de papiers, le manque de logement…, c’est-à-dire les violences et les inégalités qu’elles subissent spécifiquement dans l’espace public, les acteurs savent deviner qu’implicitement, au plus profond d’elles-mêmes, elles veulent que l’on communique exclusivement sur les mariages forcés, c’est-à-dire sur les violences dans l’espace privé, dont les responsables désignés sont les seules familles immigrées.
C’est un travail d’interprétation subtil pour les professionnels chargés de recueillir les besoins des premières concernées (dans la mesure où il oblige à aller au-delà de ce qu’expriment les immigrées de manière claire et nette), mais ces professionnels ont du métier.
Les pouvoirs publics s’appuient sur ces besoins et attentes des premières concernées, ainsi recueillis, pour penser leur action en direction des femmes immigrées.
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Fatouche Ouassak, membre du Parti des Indigènes de la République