Notre envoyé spécial dans les Territoires d’Outre-Tombe (bientôt départementalisés pour leur permettre de bénéficier de tous les avantages de la République Une et Indivisible) a rencontré deux grandes figures de la lutte contre les inégalités raciales aux Etats-Unis, Malcolm X et l’écrivain James Baldwin. Il leur a posé une seule question : « Aimez-vous l’Amérique ? ». Leurs réponses nous intéressent.
Malcolm X :
« Je ne suis pas démocrate, je ne suis pas républicain et je ne me tiens pas même pour un Américain. (…) Ces Hongrois qui viennent de débarquer, ils sont déjà des Américains ; les Polonais sont déjà des Américains ; les émigrants italiens sont déjà des Américains. Tout ce qui est venu d’Europe, tout ce qui a les yeux bleus, est déjà américain. Et depuis le temps que nous sommes dans ce pays, vous et moi, nous ne sommes pas encore des Américains. » « L’« homme » (blanc) lui dit et lui répète : « Vous êtes américain ». Mais mon vieux, comment pouvez-vous vous prendre pour un Américain, alors que jamais vous n’avez été traité en Américain dans ce pays ? (…) Supposons que dix hommes soient à table, en train de dîner, et que j’entre et aille m’asseoir à leur table. Ils mangent ; mais devant moi il y a une assiette vide. Le fait que nous soyons tous assis à la même table suffit-il à faire de nous tous des dîneurs ? Je ne dîne pas tant qu’on ne me laisse pas prendre ma part du repas. Il ne suffit pas d’être assis à la même table que les dîneurs pour dîner. » (Malcolm X, Le Pouvoir noir, éd. La Découverte, p. 60 et 208)
James Baldwin :
« Nous pensions en ce temps, qu’il nous suffirait de prouver notre valeur pour que plus personne ne songe à nier notre droit de vivre dans notre pays, libres comme tous les autres citoyens (…). Et puis, prouver quoi, au juste ? A qui ? Et, finalement, en admettant même qu’il soit possible de prouver quoi que ce soit aux Blancs d’Amérique, pourquoi ? (…) Lorsque j’étais jeune, dans la partie du ghetto où je vivais – la Vallée -, nous nous préparions à l’avènement de l’ère nouvelle. Nous nous savonnions et nous frottions énergiquement avec des brosses dures, nous nous passions de la vaseline sur le visage, les coudes, les mains, les genoux et les cheveux. Nos habits, improvisés avec ce que nous trouvions, étaient d’une propreté parfaite. (…) Mais rien de tout cela ne modifiait en quoi que ce soit notre situation. Quand nous descendions en ville, hors du ghetto, nous étions des sales nègres.»(James Baldwin, Meurtres à Alabama, Stock, 1985, p.100)
Entretien conduit par Walou, décembre 2007