Ecrits Politiques de Dhoruba Bin Wahad, Introduction par Greg Thomas


Avec l’aimable autorisation des Éditions Terrasses, nous publions de larges extraits de l’introduction proposée par l’universitaire afro-américain Greg Thomas aux Ecrits politiques de Dhoruba Al Mujahid Bin-Wahad. Cette préface est éclairante sur la pensée révolutionnaire de ce vétéran du Black Panther Party et de la Black Liberation Army, pensée qui ne cesse de se confronter aux enjeux présents de la lutte contre l’impérialisme et la suprématie blanche tout en traçant des chemins pour la libération des peuples. C’est précisément à la rencontre de cette pensée que nous vous invitons le 25 septembre prochain, lors de la conférence que Dhoruba viendra nous offrir à Paris
, à 14h au CICP (21 ter rue Voltaire 75011). Il pourra y dédicacer cet ouvrage qui doit maintenant figurer en bonne place dans nos bibliothèques politiques.


Écrivain, orateur et penseur extraordinaire, Dhoruba Bin Wahad était un membre dirigeant du Black Panther Party et de la Black Liberation Army. Ses origines personnelles font se recouper autant les Caraïbes que les territoires noirs du sud du continent nord-américain. Mais en ce XXIème siècle il représente la figure vivante du panafricanisme. Certains se souviennent surtout de lui comme ayant fait partie du procès des Panther 21 de New-York, au début des années 1970, lorsque le gouvernement américain chercha à enfermer une grande partie de la section new-yorkaise du Black Panther Party – une liste qui comprenait d’autres noms et visages familiers tels que Afeni Shakur, Joan Bird, Sundiata Acoli, Jamal Joseph et Assata Shakur. On sait maintenant que le nom choisi par celui qui se nommait alors Richard Moore, « Dhoruba », est un mot swahili qui signifie, de manière appropriée, « celui qui est né dans la tempête ». L’autobiographie collective des Panther 21 était intitulée : Cherchez- moi dans la tempête (« Look for me in the Whirlwind »). Dhoruba al-Mujahid Bin Wahad est né dans la tempête et on peut être sûr qu’il sera toujours prêt à se retrouver au centre des tourbillons des luttes de libération mondiale.

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Il n’existe aucune autre littérature comme la sienne, nulle part ailleurs, comme si son corpus en constante expansion ne cessait de la révéler encore et encore. Le Black Panther Party fut une sorte de comète, et cette littérature en représente la seconde vie.

Par exemple, aux États-Unis personne n’a écrit sur la répression d’État comme a pu le faire Dhoruba. COINTELPRO est l’acronyme du tristement célèbre «programme de contre-espionnage» du FBI de J. Edgar Hoover. Pourtant, dans le langage courant, il peut souvent servir de référence générique et de raccourci pour décrire la violence d’État dissimulée sous toutes ses formes. Agissant dans l’ombre, il existe de nombreuses institutions américaines spécialisées dans la répression et de nombreux programmes de contre-insurrection ou de contre-révolution, secrets ou opérant en plein jour. Intellectuel révolutionnaire forgé par la pratique, Dhoruba les traque par l’analyse critique, comme ils l’ont traqué, lui, les Panthers et la Black Liberation Army, comme ils nous traquent, qu’il s’agisse du COINTELPRO, du FBI, de l’opération « NEWKILL », de « l’Opération Chaos » de la CIA ou d’innombrables autres qui composent ce que Dhoruba nomme « l’État national sécuritaire »[1] de l’empire: « Je crois que l’on ne comprend pas vraiment que le COINTELPRO a représenté un stade particulier du développement de l’État national sécuritaire et de son évolution vers ce que l’on connaît aujourd’hui en termes d’utilisation des dispositifs de maintien de l’ordre public à des fins politiques » [2].

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Ce livre traduit la voix qui continue à se faire entendre en traquant « l’ascension d’une colonie de colons britanniques vers un empire ayant atteint le sommet de la puissance mondiale» soutenue par les deux piliers que sont l’accumulation des richesses et l’idéologie des colons blancs, la « suprématie blanche ». C’est ainsi que Dhoruba Bin Wahad s’exprimait en tant que co-président de la Coalition nationale de lutte contre le terrorisme policier (NCCPT[3]) dans l’article «White Fear of Black Rebellion, Criminalization of Protest and the Militarization of U.S. Police ». Pourtant, certains « continuent de chercher le salut, et l’estime de soi, auprès du système même qui leur a infligé un mépris total, hier comme aujourd’hui ». L’ironie extrême est que, depuis l’esclavage et le colonialisme de peuplement, depuis le génocide et l’apartheid sous toutes ses formes – et d’un siècle à l’autre – tous les sujets américains sont « maintenant considérés comme des terroristes potentiels, des criminels, des sympathisants du terrorisme, des djihadistes auto-radicalisés, des sans-abri enclins à la violence, des fanatiques anti-américains ou des socio-psychopathes» par la même élite dirigeante et le même appareil d’État.

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D’un point de vue critique, les écrits de Dhoruba s’inscrivent dans la tradition d’une praxis radicale, noire et panafricaine. Une praxis qui vient menacer les traditions bourgeoises occidentales hégémoniques à leurs racines. Une praxis qui ne fait rien de moins que continuer à exposer et à condamner les limites permanentes de tous les paradigmes propres à la gauche blanche – que ce soit en Europe, en Amérique du Nord anglophone ou dans leurs colonies et née-colonies officielles ou officieuses. Simultanément, ce sont les écrits d’une tradition radicale noire et panafricaine qui, jusqu’aux dernières évolutions de la praxis révolutionnaire noire, mène une bataille idéologique systémique contre la lumpen-bourgeoisie noire et ses pratiques politiques et intellectuelles de conformité, de dépendance, de soumission et de complicité.

Lorsqu’il a été libéré de la prison «intérieure» en 1990, Dhoruba a réclamé des indemnités au gouvernement américain et à la ville de New York, respectivement en 1995 et en 2000. Il a ensuite fondé, en toute conscience, la Campagne pour la libération des prisonniers politiques noirs et new-africans ainsi que l’Institut pour le développement de la politique panafricaine, après s’être installé au Ghana pendant plus d’une décennie et demie. Depuis des années il plaide en faveur d’une Fondation panafricaine d’aide pour les réfugiés. Que rajouter d’autre sinon sa récente participation en tant que co-dirigeant dans la Coalition nationale de lutte contre le terrorisme policier ? Il est difficile de garder trace de l’action de Dhoruba Bin Wahad. Il n’y a sans doute aucun moyen de rassembler tous ses écrits essentiels – certains rédigés sur des téléphones et sur Facebook, d’autres sur de quelconques ordinateurs. Et, fait révélateur, on ne sait jamais où ce panafricaniste sera demain: à Atlanta ou au Ghana … en Guinée … ou quelque part en Europe en train de plaider pour les prisonniers et pour une juste appréhension de la politique … ou même de nouveau détenu au pont Allenby en train d’essayer de rejoindre la Palestine pour une autre conférence sur ces mêmes enjeux … ou peut-être bien en train de préparer quelque chose à New York ou en Géorgie?

La camarade de Dhoruba, feu Safiya Bukhari, s’était avérée être la personne du Jericho Movement to Free All Political Prisoners qui nous a mis en contact pour la première fois avec Dhoruba Bin Wahad, peu de temps avant sa mort prématurée. C’est elle qui écrivit dans ses mémoires : « Certaines personnes se déclarent révolutionnaires, membres d’une organisation ou d’une autre, en disant : « J’étais l’une des premières Panthers » ou « J’étais une Panther ». Ils et elles se manifestent seulement quand il y a événement important où les Panthers sont mises sous les projecteurs et se remémorent leur ancienne gloire, sans comprendre que l’important n’est pas de savoir ce que vous étiez, mais ce que vous faites maintenant ». Dhoruba est l’antithèse exacte de ce problème. Il est toujours dans le moment de l’action, avec l’endurance, la cohérence et l’audace qui doivent être la marque de la véritable révolution.

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Greg Thomas


[1] Voir notamment les articles présentés dans cet ouvrage «  Repenser l’autodéfense dans une culture raciste, la survie noire dans des États-Unis en transition » et l’interview de l’auteur de 2003, dans lesquels Dhoruba Bin Wahad revient sur ce concept à la lumière des différents programmes contre-révolutionnaires et répressifs menés par le gouvernement américain depuis siècle dernier.

[2] Citation extraite de l’interview de Dhoruba Bin Wahad publiée initialement dans Proud Flesh et présentée dans cet ouvrage.

[3] NdT : La National Coalition to Combat Police Terrorism (NCCPT) créée en 2015 après les révoltes ayant embrasé la ville de Ferguson à la suite de la non-condamnation du policer ayant tué le jeune Michael Brown.

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