Vérité et Justice pour Ismael Azzedine Abdelkader

Ce ne sont plus que des ossements qui ont été découverts. Brûlés à l’acide. La dépouille d’Ismaël Azzedine Abdelkader a été retrouvée le 26 juillet 2012, enfouie dans le jardin d’un gendarme. Pour ajouter à l’horreur de la situation, la justice se contente d’une glaciale ordonnance de non-lieu à poursuivre.

« Vérité et justice pour Ismaël » sont les mots d’ordre pour lesquels luttent la famille Abdelkader et certains habitants de Morhange, d’où est originaire le défunt. La vérité, car des doutes sérieux planent toujours sur les conditions dans lesquelles Ismaël Azzedine a perdu la vie. La justice, car les autorités judiciaires refusent pour l’instant d’instruire convenablement le dossier pour retrouver les éventuels auteurs de faits délictueux ou criminels et les traduire en justice.

Ismaël, âgé de 26 ans, s’était rendu à un anniversaire en région alsacienne, un samedi de mai 2006. Il devait rentrer chez lui le lendemain, ce qu’il fait toujours lorsqu’il s’absente pour une nuit. Inquiets de ne pas voir Ismaël revenir, ses petits frères et sœurs tentent alors de le joindre. C’est un inconnu qui décrocha, pour annoncer de manière abrupte qu’Ismaël serait « en train de dormir », et qu’il « les rappellerait plus tard ». Il ne rappela jamais, et la famille d’Abdelkader ne pu jamais le revoir vivant.

Six années plus tard, à la suite d’une dénonciation des faits aux unités de gendarmerie, les ossements d’Ismaël Abdelkader sont retrouvés enfouis dans le jardin d’une maison de Pfetterhouse. Le propriétaire du terrain est un ancien gendarme de la localité. C’est le petit-fils de ce dernier qui délivrera les aveux suivant aux enquêteurs : Ismaël serait mort d’une overdose dans la chambre du jeune adulte. Ce dernier étant un consommateur régulier de drogues dures, il aurait « paniqué » (sic) et aurait décidé de cacher le corps… sous son lit. Pendant sept jours. Entre temps, il revendit le téléphone portable d’Ismaël et vola les vêtements de la dépouille pour les porter lui-même. Il aurait ensuite traîné le corps jusqu’à l’extérieur, pour dans un premier temps le cacher sous une bâche du jardin, avant de finalement l’enterrer sur place. De l’acide pour fosse septique recouvrira le corps en putréfaction, pour masquer les odeurs.

Devant la barbarie de ce récit, les pouvoirs publics renchérissent et dénient le droit, pour la famille Abdelkader, d’accéder à la justice. La procédure judiciaire est effectivement jalonnée d’appréciations contestables des faits, d’humiliations envers la famille, et in fine d’une décision de refus de traduire les mis en cause en justice.

Tout d’abord, dans les jours qui ont suivi le départ d’Ismaël, sa famille s’est rendue à la gendarmerie pour signaler que sa disparition était inquiétante. Celle-ci souligne alors que le gendarme en service refusa alors de diligenter une quelconque enquête, en lui signifiant qu’Ismaël étant majeur, il était libre de ne plus donner de nouvelles. Ce comportement méconnaît manifestement l’article 26 de la Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, qui dispose que « la disparition déclarée par un ascendant, un frère, une sœur doit immédiatement faire l’objet d’une enquête par les services de police et de gendarmerie ». Face aux autres négligences systématiques des autorités publiques, c’est la famille elle-même qui recherchera Ismaël, sans relâche. Elle fera notamment inscrire son nom, en préfecture, sur le fichier des personnes disparues.

Après la découverte du corps, le procureur de la République ouvrit une information judiciaire pour recel de cadavre. Dès lors, la famille rapporte qu’une autre décision entravera ses efforts : la gendarmerie refuse d’accueillir leur plainte contre X. Révoltant, car l’article 15-3 du Code de procédure pénale institue pourtant une obligation légale, qui pèse sur tout service de police et de gendarmerie, de recevoir les plaintes de toute personne qui s’estime victime d’une infraction à la loi pénale (comme la rappelait le ministre de l’Intérieur le 27 février 2014, en réponse à la question écrite d’un sénateur). Les services militaires chargés du « maintien de l’ordre » semblent donc fonctionner de manière à faire échouer toute mise en cause de l’un des leurs. La seule hypothèse dans laquelle le dépôt d’une plainte peut être refusé est celle où les faits déclarés par un justiciable ne peuvent manifestement pas être constitutifs d’une infraction, ce qui n’est raisonnablement pas le cas de la situation dans laquelle la disparition d’une personne est signalée aux services de gendarmerie et que son cadavre finit par être retrouvé au fond du jardin d’un individu. Le principe selon lequel « le policier ou le gendarme est au service de la population [et est] respectueux de la dignité des personnes » (CSI, article R. 434-14) ne semble pas s’appliquer à tous de la même manière. Aussi, il est ici utile de préciser que la gendarmerie en charge de l’affaire est celle-là même où a exercé le grand-père dans le jardin duquel le corps a été retrouvé. L’esprit de corps militaire semble plus fort que la recherche de la vérité. Cet esprit de corps semble d’ailleurs héréditaire, puisque le petit-fils du gendarme ne sera soumis qu’à une période de 10h de garde à vue, durée exceptionnellement courte au regard de la gravité des faits reprochés.

Pour autant, l’accès à la justice ne sera pas seulement mis à mal par les forces de l’ordre, mais également pour les autorités judiciaires elles-mêmes.

Tout d’abord, le ministère public refuse de qualifier les faits d’ « homicide volontaire », comme le demande pourtant la famille. En se bornant à enquêter pour un « recel de cadavre », qui n’est qu’un délit (CP, article 434-7), le procureur de la République élude sciemment l’aspect criminel de l’affaire, ce qui a notamment pour conséquence de plafonner à six années le délai de prescription de l’action publique. Pourtant, le délit de recel de cadavre ne peut être constitué qu’en cas d’ « homicide » ou de « décès des suites de violences ». Dès lors, on remarque que le refus du ministère public d’ouvrir une information pour « meurtre » (CP, article 221-1), « homicide involontaire » (CP, article 221-6) ou « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » (CP, article 222-7) fait écho aux résistances opposées par la gendarmerie pour enquêter sur le potentiel assassinat d’Ismaël Abdelkader par un agent de l’État.

Le juge d’instruction n’est ensuite pas en reste, puisque son attitude révèle qu’il se complaît dans l’approche du ministère public et l’entrave à la recherche de la vérité par la famille Abdelkader. En ce sens, le juge d’instruction plaça les personnes impliquées dans la dissimulation du cadavre sous le statut de témoin assisté, et pas sous celui de mis en examen ; c’est-à-dire que le magistrat estime qu’il n’existe pas « d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable que [les intéressés] aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi » (CPC, article 80-1). Cela est évident, la découverte d’un cadavre dans un jardin, à laquelle s’ajoute les aveux de l’auteur du recel, ne constituent pas des « indices graves ou concordants »… Myriam Abdelkader note d’ailleurs sur ce sujet, de manière lumineuse : « Pensez-vous que si on avait retrouvé le corps du petit-fils d’un gendarme dans le jardin d’une famille dénommée Abdelkader, personne ne serait poursuivi ? ». En outre, par une ordonnance de 2013, le juge refusera de diligenter une instruction complémentaire. On est loin de l’esprit du Code de procédure pénale qui fonde et encadre l’action du juge d’instruction dans la recherche de « la manifestation de la vérité » (CPP, article 81), mais on se rapproche davantage des dispositions du Code de l’indigénat selon lesquelles la République est composée de « sujets français » réduits dans leurs droits personnels. Sans doute, l’obstruction judiciaire la plus révélatrice reste l’ordonnance de non-lieu à poursuivre, rendue le 4 novembre 2014. Celle-ci se fonde sur les deux motifs selon lesquels 1) « la thèse du décès par overdose est plausible au regard des témoignages concordants des trois témoins assistés » et 2) le délit de recel de cadavre n’est pas matérialisé. Au surplus, aucune autre infraction pénale susceptible d’être poursuivie ne serait constituée dans la présente affaire.

Ce raisonnement manifeste le peu de considérations que portent les magistrats à la présente affaire. Dans un premier temps, il est notable que la décision retienne la plausibilité du décès par overdose en se fiant exclusivement sur les témoignages des mis en cause. Il est pourtant de bon sens de prédire que jamais un mis en cause dans une affaire délictuelle ou criminelle ne cherchera à s’auto-incriminer. Dans un second temps, l’ordonnance rejette comme non-matérialisés les faits de recel de cadavre alors qu’aucune enquête digne de ce nom n’a été entreprise, comme le soutient l’avocat de la famille. Là encore, tous les dispositifs juridiques sont mobilisés pour entraver la recherche de la vérité. Pourtant, la Cour d’appel de Colmar confirmera l’ordonnance dans un arrêt du 23 avril 2015.

 

Ismaël Abdelkader est enterré une seconde fois, par la justice.

 

En dépit de tous ces éléments, la famille Abdelkader ne parvient toujours pas à faire entendre ses arguments en justice. Elle ne se décourage pas pour autant, et poursuit sa lutte pour la vérité judiciaire. À l’heure actuelle, une plainte pour meurtre a été déposée par la mère d’Ismaël auprès du doyen des juges d’instruction près la juridiction dont l’affaire relève.

À cette fin, les événements en soutien à Ismaël et à sa famille se sont multipliés : une « marche blanche » organisée le 28 avril 2018 soutenue par les habitants de Morhange et son maire, un « couscous solidaire » le 28 juillet suivant pour récolter des fonds, ainsi qu’un meeting le 03 novembre de la même année.

En dépit du silence des grands journaux papiers et télévisés, il est de notre devoir de soutenir et de médiatiser l’affaire Abdelkader. L’histoire de cette famille est emblématique de centaines d’autres que connaissent nos propres familles : des drames impliquant des agents publics, des instructions bâclées, un silence médiatique, et une mobilisation par l’État de tout son arsenal juridique pour masquer ses actes inavouables. C’est à ce titre que nous appelons à soutenir inconditionnellement la famille Abdelkader, qui, par son action, agit pour la recherche de la vérité et de la justice pour Ismaël ainsi que pour notre dignité à tous.

 

ANIS DJAMEL, membre du PIR

 

 

 

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