Val et ses 300 potes s’en vont en guerre : contre l’antisémitisme ou contre les musulmans ?

Dans une pétition diffusée par le Parisien, 300 personnalités françaises partent en guerre contre « le nouvel antisémitisme » : un manifeste dangereux. Dénoncer l’antisémitisme, comme tous les autres racismes, est une noble chose à laquelle personne ne peut s’opposer. Mais cibler les musulmans comme vecteurs de ce racisme et comme un danger pour la société, comme le fait cette pétition signée par nombre d’islamophobes, est un acte obscène, qui occulte à la fois les causes réelles de l’antisémitisme en France, en faisant porter sa responsabilité à une population entière ciblée par le racisme d’Etat, en même temps qu’il justifie les violences à venir contre cette dernière, et sa religion.

Si cette pétition avait comme objectif de dénoncer l’antisémitisme et les autres racismes, elle serait salutaire. Mais celle-ci, rédigée par un maître en islamophobie, fait le choix de se focaliser non seulement ce qu’elle nomme l’antisémitisme « musulman » mais en réalité l’ensemble des musulmans de France. Les angles morts et sous-entendus racistes de ce texte ne peuvent tromper que les esprits embués. Il s’agit bien d’un pamphlet islamophobe qui a du mal à masquer ses outrances nauséabondes au détour de chaque phrase. Qu’on en juge.

 

1) Le passage « une partie de la gauche radicale qui a trouvé dans l’antisionisme l’alibi pour transformer les bourreaux des Juifs en victimes de la société » est malhonneteté affligeante. En effet, qui sont les « bourreaux des Juifs » selon ce texte ? De toute évidence ce texte laisse planer une certaine ambiguïté. En effet, si les « bourreaux des juifs » sont les « islamistes radicaux », on imagine mal une « certaine gauche radicale » les présenter comme de simples « victimes de la société », sauf dans les fantasmes de la fachosphère. Par contre, cette phrase prend tout son sens raciste si par « bourreaux des juifs » on comprend les musulmans dans leur ensemble, qui effectivement sont souvent présentés à juste titre comme victimes de l’islamophobie d’Etat par une certaine gauche radicale. Ne pouvant, sous peine de se démasquer, stigmatiser explicitement les musulmans dans leur ensemble, le rédacteur de ce texte a recours à ce subterfuge qui ne trompe personne. On reconnaît bien là la sale signature islamophobe de Philippe Val.

 

La suite du texte confirme bien cette approche raciste : « Parce que la bassesse électorale calcule que le vote musulman est dix fois supérieur au vote juif ». Accompagnons le menteur jusqu’à la porte de sa maison. Si les musulmans dénoncés comme problématiques parce que « islamistes-radicaux-antisémites » ne sont qu’une infime fraction de ladite communauté, en quoi le fait que des hommes politiques français s’intéressent à un supposé vote musulman, comme d’autres s’intéressent déjà à un supposé vote juif, arménien ou turc poserait problème ? À moins de considérer qu’il y ait une collusion entre ces « radicaux » assassins de juifs et le reste de la communauté… Ce qu’évidemment cette tournure laisse entendre.

 

L’autre élément problématique de cette proposition consiste à affirmer que la-dite gauche radicale se servirait de l’antisionisme pour dissimuler un antisémitisme foncier, reprise d’une sortie soufflée à Macron, dont la stupidité n’a d’égale que l’infamie. Certains groupes politiques d’extrême droite sont en effet explicitement antisémites, et se camouflent derrière un label « antisioniste ». Mais qu’ont-ils à voir avec les idées de gauche, et plus encore avec une « certaine gauche radicale » qui n’a jamais perdu une occasion de dénoncer de la façon la plus ferme ces groupes fascistes, et leur racisme fondamental. Le camp décolonial, pour sa part, à commencer par le PIR, fut même l’un des premiers à le faire publiquement. Mais au moment où un nouveau bain de sang est commis à Gaza par l’armée la plus morale du monde, ces pétitionnaires dont certains sont des thuriféraires affichés de l’armée israélienne, ne pouvaient pas louper l’occasion de désigner encore une fois leur véritable cœur de cible, les antisionistes véritables et autres amis du peuple palestinien. Quant au confusionnisme de ce texte qui voue aux gémonies l’antisionisme, ce n’est pas parce que Marine Le Pen ou Finkielkraut se prétendent antiracistes qu’il faut les prendre au mot et que l’expression anti-raciste est à condamner !

 

2) Le passage suivant, « l’antisémitisme musulman est la plus grande menace qui pèse sur l’islam du XXIème siècle et sur le monde de paix et de liberté dans lequel ils ont choisi de vivre », là encore, révèle le soubassement raciste de ce texte. En effet, dire que l’antisémitisme musulman serait la plus grande menace pour l’Islam du XXIe siècle occulte les menaces réelles et nombreuses que doit affronter l’Islam, et auxquelles ce texte participe. L’affirmation selon laquelle il serait la plus grande menace sur « ce monde de liberté dans lequel les musulmans ont choisi de vivre », qui se trouve être l’Occident puisqu’il s’agit des musulmans de France, signifie d’une part que les musulmans sont considérés comme un groupe étranger, et d’autre part que l’antisémitisme dit « musulman » constituerait la plus grande menace pour la société occidentale, et non pas le racisme d’Etat, l’islamophobie, la négrophobie, le chômage, la destruction du cadre écologique, les guerres impérialistes… Foin de tout cela, « l’antisémitisme musulman » pour les rédacteurs de ce texte constituerait la plus grande des menaces actuelles pour la société occidentale. Une affirmation qui n’a rien à envier aux pires pamphlets du fascisme montant.

 

3) « Nous demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques »…

Laisser entendre  que la majorité des actes antisémites commis en France aient pu être commis par des « islamistes radicaux » inspirés du Coran, en occultant l’antisémitisme français et ses multiples manifestations contemporaines, non seulement est démenti par les études sur ces actes, mais est aussi stupide que d’affirmer que les crimes de l’armée et des colons israéliens, qui pourtant se réfèrent souvent aux livres saints juifs, seraient commis par des gens inspirés par la Thorah, ou que les monstrueux crimes de Bush en Irak auraient été dictés par la Bible. Si ce que cette pétition affirme était vrai concernant le Coran, comment expliquer que c’est sous l’éclairage de ce même Coran qu’à plusieurs occasions à travers les siècles les musulmans, Etat et société, ont massivement protégé les Juifs, y compris sous l’occupation coloniale et même l’occupation nazie pendant la seconde guerre mondiale ?

 

4) Enfin, sans sous-estimer la terrible tragédie que constituent les crimes antisémites, à combattre de la façon la plus ferme comme toutes les autres manifestations du racisme, parler « d’épuration ethnique des juifs » dans la France d’aujourd’hui, n’est-ce pas galvauder ce que sont ou ont été les véritables épurations ethniques historiques ? À qui profite cette confusion, si ce n’est aux révisionnistes qui justement veulent relativiser ou sous-estimer le génocide juif européen, et les multiples crimes contre l’Humanité commis par cette civilisation prétendument sous la menace d’un antisémitisme « musulman » ?

 

Loin de mettre du baume sur des plaies, sous des atours charitables, cette pétition constitue au contraire un palier supplémentaire dans l’affirmation de la vague islamophobe actuelle. Et l’on doit dénoncer la complicité d’une certaine presse qui accepte de servir de support à celle-ci, et de lui donner une caisse de résonnance nationale. On peut aussi affirmer que celle-ci permettra à l’extrême-droite française islamophobe, négrophobe et romophobe qui progresse à grands pas sans avoir abandonné le moins du monde son antisémitisme congénital, de se refaire une belle virginité.

 

Youssef Boussoumah membre du PIR

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