Reflet

Un miroir français

« Ça fait bien longtemps que je ne prononce plus mon prénom quand je me présente…». C’est dans le journal Le Monde, un récit sobre, sans effets de plume, légèrement désabusé, mais gardant la distance de Mustapha Kessous qui sème l’émoi dans la blogosphère française. Ce sont racontées, des expériences ordinaires, banales, du quotidien d’un Français qui ne correspond pas à l’image d’Epinal du citoyen hexagonal.

En plus de son type physique, ce journaliste porte un prénom qui ne passe toujours pas auprès de nombre de Français de souche, les fameux «souchiens», selon le néologisme de la porte-parole du Mouvement des indigènes de la République, qui avait valu à Houria Bouteldja d’insincères et menaçantes remontrances du ministre Brice Hortefeux.

Mustapha Kessous raconte des avanies ordinaires qui ne surprennent pas de ce côté de la Méditerranée. On sait ce que vivent nos cousins français et il arrive que l’on vive les mêmes histoires lors d’un voyage, parfois dès l’aéroport. L’article a suscité un important «buzz» et un flot inhabituel de réactions de lecteurs où dominent la consternation et parfois la stupeur devant le racisme ordinaire, banalisé, «décomplexé» dirait-on aujourd’hui, de nombre de leurs concitoyens. L’indignation est sincère.

Pourtant, de l’humour douteux d’un ministre de la République jusqu’aux contrôles au faciès, en passant par des propos policiers obscènes, ces faits n’ont rien d’extraordinaire : ils sont le lot courant d’un Maghrébin en France. Il ne s’agit pas du tout de dévaloriser ce récit : raconter un vécu dur avec pudeur et distance, sans donner dans le larmoyant, n’est pas un exercice facile et Mustapha Kessous le fait remarquablement. Il est clair que son statut de journaliste du Monde, journal français de référence, explique en partie l’effet provoqué chez les lecteurs.

Du coup, les commentaires des lecteurs – consternés, voire horrifiés pour la plupart – deviennent aussi importants et révélateurs que l’article. Dans leur majorité, ces lecteurs semblent découvrir le vécu de leurs concitoyens d’origine nord-africaine. C’est d’autant plus frappant sans doute que le récit n’est pas la chronique d’un «jeune» de banlieue. En théorie, avec sa réussite – entrer au Monde n’est pas rien -, le journaliste ne correspond pas, pour reprendre un mot franchement détestable, au prototype de la «racaille» périphérique.

On peut passer dans le lot des commentateurs l’inévitable proportion de racistes aigris et d’arabophobes primaires. Ils ne méritent pas qu’on s’y attarde, sauf pour noter agréablement qu’ils sont très minoritaires. Le plus intéressant est de voir dans la majeure partie des réactions une France surprise de découvrir une image insoupçonnable d’elle-même. Ce qui peut sembler incompréhensible pour les Français d’origine maghrébine ou subsaharienne est que ces Français ne le découvrent qu’à la lecture du récit de Mustapha Kessous.

L’absence de mixité sociale en serait-elle l’explication ? Pourtant, la banalisation du racisme anti-arabe est une réalité indéniable. Elle n’est pas l’expression de politiciens de comptoir mais bien, sous des formes élaborées, ce que véhiculent les grands médias, les télévisions en particulier. L’islamophobie, licite depuis l’affligeante affaire du voile jusqu’à la non moins ridicule controverse autour de la burqa, est le vecteur politiquement correct du racisme revisité.

Le débat provoqué par l’article de Mustapha Kessous, qui intervient au lendemain d’une polémique sur des propos sibyllins d’un ministre décidément abonné à l’humour border-line, traduit un malaise de plus en plus difficile à masquer devant la montée, extrêmement lente mais réelle, d’une génération de Français d’origine maghrébine éduquée et formée et qui vit de plus en plus difficilement sa marginalisation. Les enjeux sont de taille. La diversité socioculturelle du pays des droits de l’homme est un fait indéniable, tout comme s’y superposent la pauvreté et l’origine ethnique.

La France d’en haut, qui admire le modèle américain, trouvera-t-elle, comme les Américains, les ressources pour se décoloniser de l’intérieur ?

K.Selim

SOURCE : Le quotidien d’Oran

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