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Syrie : Qui a raison, qui a tort ?

Cela fait maintenant des mois que la Syrie est tourmentée par une tragédie. Des civils ont été torturés et tués par les forces armées ; la répression du gouvernement a atteint des niveaux insupportables et semble ne plus pouvoir être jugulée. Le monde regarde et les puissances étrangères – Russie et Chine d’un côté ; Etats-Unis, pays arabes et européens de l’autre – sont incapables de trouver une solution ou de se mettre d’accord sur un moyen de mettre fin aux meurtres. Les Nations Unies sont impuissantes et le monde regarde passivement : des centaines de Syriens ont été tués et la répression continue.

Quiconque ose lever la voix ou écrire sur la question est certain d’essuyer des attaques émanant des deux côtés. Pour certains, appeler à la fin du régime de Bachar al-Assad équivaut à soutenir les Américains et Israël contre les musulmans (en particulier les chiites), les Iraniens et même les Palestiniens. Sur Internet, ainsi que sur les réseaux sociaux, les attaques sont extrêmement véhémentes et sévères : soutenir l’opposition divisée est au mieux considéré comme étant le signe d’une dangereuse naïveté politique, au pire comme étant un acte de haute trahison. “Nos ennemis soutiennent les manifestants”, affirment-ils, “nous devrions donc soutenir les ennemis de nos ennemis”. Il n’y a donc d’autre choix que de prendre le parti du régime. Mais en politique tout comme en matière de droits de l’homme, les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis.

Il est tout à fait flagrant que les Américains, les Européens et les Israéliens ont changé de position (au départ, ils voulaient une réforme au sein du régime) : à présent, ils réclament la démission de Bachar al-Assad. Il est tout aussi évident qu’ils sont en contact avec des groupes d’opposants et leurs dirigeants afin de tenter d’assurer leurs intérêts dans la région. Les pouvoirs occidentaux et Israël ne sont point des spectateurs passifs ; ils essaient de maintenir leur contrôle, tandis que les Russes et les Chinois travaillent à assurer une présence plus effective au Moyen Orient et ce sur de multiples fronts.

Tout cela est de notoriété publique ; la forme du nouveau Moyen Orient qui émerge est un sujet de grande inquiétude à la lumière des récents événements survenus en Libye, en Irak, au Yémen, au Liban, ainsi que des constantes pressions exercées sur l’Iran, où la probabilité d’une attaque est désormais assez élevée. Il serait dangereux et irréfléchi de prendre pour argent comptant les aimables intentions humanistes que professent les Etats-Unis ou la Chine, les pays européens, Israël et la Russie vis-à-vis des peuples arabes en général et des Syriens en particulier. Les vies de ceux-ci n’ont de valeur qu’en fonction des intérêts économiques et géostratégiques qu’ils représentent : rien de plus, rien de moins.

Cela étant dit, l’ultime solution est-elle de demeurer silencieux et de soutenir le régime de Bachar ? Lui et son père furent et sont des dictateurs qui ont donné l’ordre de tuer des milliers de civils tout en torturant impitoyablement leurs opposants. Il s’agit là de faits ; aucun cœur sensible, aucun esprit sensé n’est capable de soutenir de tels tyrans et d’aussi cruels despotes. La tyrannie devrait cesser ; Bachar al-Assad devrait être arrêté et jugé. Son bilan est terrible, l’œuvre d’un homme ayant perdu tout sens de la mesure.

Il n’est pas question d’appeler ici à une intervention étrangère ; peu de personnes ont été bernées par l’opération libyenne de protection du pétrole qui a primé sur celle des hommes. La soi-disant “communauté internationale” devrait adopter une position claire et exercer une pression sur le régime afin de faire cesser la répression – une prise de position qui a peu de chance d’être formulée, il est vrai. Il revient aux forces d’opposition de parvenir à un accord minimal et d’organiser un front solide et uni pouvant conduire le pays vers le pluralisme, la démocratie et la liberté : il s’agit assurément du défi le plus urgent et le plus difficile auquel les Syriens font face aujourd’hui. Cela demeure le seul moyen de convaincre le monde qu’il existe une véritable alternative démocratique au régime tyrannique actuel. Cela signifie travailler avec un large éventail de soutiens et de partenaires en Amérique, en Europe, dans le monde arabe, ainsi qu’en Asie. A long terme, il s’agira de leur capacité à tracer la voie dans notre ordre du monde multipolaire actuel leur assurant un solide soutien multilatéral en faveur de leur légitime résistance.

Aujourd’hui, une telle perspective semble lointaine. Les conseils d’opposition sont en concurrence, de même que la Ligue Arabe, l’Organisation de la |Conférence Islamique (OCI), a laquelle il faut ajouter la très volontariste politique étrangère turque : tous semblent agir selon les paramètres révolus contre lesquels on semble bien ne rien pouvoir faire. L’avenir est sombre.

A Homs, Hama, ainsi qu’à travers toute la Syrie, on tue quotidiennement des civils, on humilie et on torture des personnes. La culpabilité du régime est criante, ainsi que l’est notre silence. Nos larmes ne peuvent suffire si notre seul soutien consiste à regarder la télévision et à pleurer. Nos cœurs peuvent bien verser des larmes, mais le courage nous a bel et bien abandonné.

Tariq Ramadan

Source : tariqramadan.com

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