Rassemblement #StopLoiSéparatisme du 14 février : synthèse des interventions de la @CoordinationCLS

Le rassemblement appelé à Paris dimanche 14 février par la Coordination contre la loi Séparatisme a constitué assurément la première opposition organisée des musulmans et de leurs soutiens contre la nouvelle offensive islamophobe de l’Etat français, en plein débat parlementaire et médiatique. Les enjeux de cette initiative sont de multiples natures. Par sa tenue préparée avec si peu de moyens et de temps, il atteste de la détermination et de l’énergie de cette toute jeune Coordination. Et à partir de ces modestes forces apparentes, la Coordination et les manifestants ont témoigné qu’il était possible d’asséner un coup à la machine islamophobe qui bénéficie soit d’un consensus ou bien d’un silence complice. Ils ont adressé un message d’encouragement aux musulmans à manifester publiquement et de manière organisée leur opposition à la loi et à la charte des imams. La presse nationale mais aussi internationale ont jugé cet événement suffisamment important pour lui consacrer de nombreux articles et reportages. En attendant les autres initiatives prévues jusqu’au vote final de la loi, il nous semblait intéressant de proposer une synthèse des prises de parole qui se sont succédées et ont eu le mérite de poser les bases de la lutte contre le projet de loi séparatisme, en faisant entendre les différentes raisons de s’opposer à la loi et à l’islamophobie d’Etat.

La première à prendre la parole est Hanane Loukili qui dirige l’établissement scolaire MHS Paris (Meo High School) fermé de manière arbitraire en novembre 2020. Son intervention a placé les autres prises de parole dans un rapport direct à la réalité tangible de la répression que subissent les musulmans. La question de la sécurité était l’une des raisons invoquées à la fermeture de cet établissement avant que ne soient invoqués des pratiques visant au « séparatisme ». L’inanité et l’arbitraire des motifs de sécurité éclatent en rappelant que l’immeuble où se trouvait l’école abrite également un service de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, une association accueillant des autistes ainsi qu’un centre médico-psychologique qui reçoivent tous trois des enfants et des jeunes. Quant à l’allégation de séparatisme, elle vise l’accueil de collégiennes et de lycéennes voilées en plein Paris, chose insupportable pour les autorités. Ces élèves ont subi à la fois la fermeture de leur établissement en pleine année scolaire, et toute possibilité d’étudier en étant épanouies puisqu’elles n’avaient pas à abandonner leur voile, ni leur personnalité et leur bien-être, avant de rentrer étudier. Hanane Loukili finit par un appel tout particulier à la jeunesse d’aller voter alors que les lois discutées les concernent directement.

En lisant le nom de ses signataires, personnes et organisations, Elias d’Imzalene d’Islam et Info rappelle que la Coordination contre la loi Séparatisme vise à combattre l’islamophobie d’État qui se radicalise de nouveau en procédant par l’exclusion des musulmans. C’est pour cette raison que le titre de « séparatiste » sied tellement au gouvernement. Il attire également l’attention sur le soutien émanant de militants et d’universitaires du monde entier qui a pour fonction de dévoiler le fossé entre les principes que déclare l’État français et ceux de sa vraie politique, ici, à l’égard des musulmans. Elias rappelle les attaques déjà subies comme les nombreuses dissolutions d’associations, perquisitions et fermeture d’écoles par des policiers armés et cela sous les yeux des enfants. Il évoque par ailleurs les dangers que constitue la Charte des imams qui ferait de Darmanin « le pape des mosquées ». La bataille en cours est menée au nom de la liberté et de la dignité ainsi que de la possibilité de proclamer la fierté d’être musulman. Elle ne fait que commencer.

Pierre Stambul, un des porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix rappelle la course à l’échalote raciste qui reprend les discours antisémites des années 1930 en utilisant aujourd’hui le  « musulman » en lieu et place de celui du  « juif ».  Il proclame l’existence d’un seul racisme qui vise musulmans, noirs, rroms, juifs, et en appelle à l’unité de la lutte. Cette lutte ne peut avoir comme seule issue que de vivre à égalité de droits.

Olivia Zemor du CAPJPO-Europalestine pointe les dangers de la loi « séparatisme » qui ne menace pas seulement pour les musulmans mais l’ensemble de la société. Son premier danger vient du contrôle généralisé qui invite au soupçon et à la délation, méthodes par ailleurs éprouvées en Israël. Il s’agit de mettre en coupe réglée toute la société en désignant les musulmans comme bouc-émissaire. Simplement cette opération présente des menaces inquiétantes dans un contexte aussi grave que celui d’une crise économique inédite. L’interdiction du CCIF est motivée par la détermination et l’efficacité dont l’association a su faire preuve ; elle serait le prélude de ce qui attend tout mouvement cherchant à structurer une quelconque opposition peu importe le secteur. Au nom de son organisation soutenant les droits des Palestiniens et le boycott d’Israël et à ce titre ciblée par des attaques et des procès, elle termine par un appel à la résistance dans l’unité.

Adrien Nicolas du Collectif Ni Guerres Ni Etat de Guerre affirme que la loi Séparatisme est incontestablement raciste et liberticide, et qu’elle s’inscrit clairement dans l’état de guerre entré en vigueur depuis au moins 2001. Il s’agit d’une nouvelle loi d’exception visant les musulmans, après celle de 2004 interdisant le foulard à l’école. Le collectif refuse que la minorité musulmane soit ainsi stigmatisée et provoquée par le biais d’une mise sous tutelle de la religion musulmane, au mépris de la laïcité et des libertés publiques. Par ailleurs, la loi séparatisme prolonge la loi Sécurité globale. C’est à tous ces titres qu’il appelle tous les mouvements attachés au progrès à combattre cette loi. La restriction des droits que subissent les musulmans touchera à leur tour les syndicalistes, les militants, selon un principe déjà éprouvé : la mise en place d’une loi d’exception visant un ennemi ne peut que s’étendre à l’ensemble du mouvement social. Adrien ajoute que cette loi s’inscrit dans l’état de guerre islamophobe contre le « terrorisme », marqué par l’intensification actuelle de la participation de la France à la guerre dans les pays du Sahel. Cette même France qui a aussi participé à la destruction de l’Irak et de la Syrie. C’est une politique d’écrasement de peuples.

Najib Azergui de l’Union des Démocrates Musulmans Français insiste tout particulièrement sur l’enjeu électoral qu’est devenu le musulman depuis plusieurs décennies, servant d’alibi pour camoufler les enjeux les plus importants. Face à l’islamophobie politique, il s’agit d’y répondre politiquement sur le plan électoral. Il évoque alors le parti UDMF qui est devenu un épouvantail aux yeux du monde politique et médiatique. L’UDMF présente des candidats aux élections régionales dans 8 régions. L’enjeu pour le parti est d’une alternative au piège de l’abstentionnisme ou celui du vote pour le moins pire.

Mehdi Meftah du Parti des Indigènes de la République attire l’attention sur les enjeux de civilisation de la loi Séparatisme. En effet, tandis que l’Occident s’est donné comme miroir inversé les musulmans, la République française repose dans ses fondements sur l’infériorisation de l’islam. C’est pour cette raison que les musulmans ne sont ni un épouvantail ni un bouc-émissaire : la présence musulmane est combattue car elle décolonise la France. Face au consensus islamophobe, les musulmans n’ont d’autre choix que d’organiser un pouvoir autonome. La construction d’une puissance musulmane doit être menée avec et séparément d’autres puissances décoloniales – comme celle des rroms, des noirs –  et pensée au service de la dignité et de la justice pour tous.

Mireille Fanon Mendès-France de la Fondation Frantz Fanon commence par s’offusquer de l’interdit préfectoral du parvis des droits de l’homme à des défenseurs de droits constitutionnels menacés par la loi Séparatisme. Elle préfère parler de racisme d’État et non de simples discriminations, et en appelle à sanctionner électoralement les élus ayant voté cette loi raciste. Les sources de ce racisme qui vise arabes et musulmans puisent dans l’inconscient français, et cela depuis la blessure de l’orgueil français lors de la libération du peuple algérien. La colonialité du pouvoir qui prend la main sur les esprits, les corps et les espaces de vie doit être combattue. Ainsi, les violences policières tuent dans une impunité organisée quand la religion devient un espace combattu. Elle ajoute que la France est un agresseur qui mène une guerre contre les peuples, participe à des guerres contre des pays qui ne lui ont pourtant pas déclaré la guerre.

Issa Diarra de la Brigade Anti Négrophobie explique toute l’importance de leur présence au rassemblement, car ils luttent également contre le racisme d’État. Face à cette loi Séparatisme, rebaptisée « Loi confortant les principes républicains », il est légitime de se demander si cette République a bien des principes alors qu’elle pratique contrôles au faciès, discriminations face à l’emploi, au logement. Issa rappelle que ce pays s’est bâti historiquement sur l’impérialisme, l’esclavage négrier occidentalo-chrétien, sur le colonialisme, sur le sang africain et qu’il continue à exploiter l’Afrique via le néocolonialisme et l’instrumentalisation de guerres comme au Mali et au Niger. Il alerte sur le fait que si l’État s’attaque aujourd’hui aux musulmans, il poursuivra contre les autres. C’est précisément pour cette raison que la lutte ne concerne pas que les musulmans. Le maître mot est la dignité dans la solidarité et dans la lutte contre le racisme de l’État français.

Taymour Ahmad, membre du Collectif des étudiants musulmans dont la création est récente, alerte sur la centralité du courage dans cette lutte ; celui dont sont pourvus les premiers manifestants, musulmans ou non, et qui manque pour l’instant à d’autres. Il faut bien avoir en tête trois éléments : toute mobilisation commence par peu de moyens et peu de personnes. Le climat est tel qu’il peut instiller la peur de manifester contre l’islamophobie. Or tout engagement entraîne des conséquences et un prix à payer. Taymour tient à appeler avec insistance les associations de mosquées et les imams à prendre leur courage pour prendre la parole et s’opposer à la loi et à la charte des imams. Il salue la tribune dite de la Dignité signée par 500 imams, savants et étudiants en science religieuse. Si cette loi vise directement les musulmans, il est tout à fait envisageable qu’elle soit réutilisée contre tout autre religion ou idéologie contraire à la doxa admise. Il faut proclamer le droit pour tout le monde d’avoir ses convictions qui peuvent remettre en cause la République et l’ordre social et politique existant. Par ailleurs, les musulmans ont le droit de contribuer, comme tous les autres, au débat public et proposer leurs propres idées. Il conclut sur le fait que la mobilisation ne peut attendre d’enrayer toutes les divisions qui sont inhérentes à toute lutte et sur la fécondité des initiatives qui ne cessent de se multiplier contre la loi Séparatisme.

Nadir de Banlieue plus apporte son éclairage de militant associatif dans les quartiers populaires où vit la majorité des musulmans. Il partage une première colère visant les responsables politiques et les médias qui défendent des politiques inégalitaires au détriment des musulmans. Sa deuxième colère concerne les habitants des quartiers eux-mêmes, sans doute pas assez conscients des dangers actuels, et peu investis dans la citoyenneté. Ils doivent commencer par régler les problèmes qui les concernent et s’organiser localement pour s’opposer aux politiques. Il en appelle à une autocritique pour renforcer leur position. Pour être forts face à l’État, il s’agit d’abord de régler les problèmes et les divisions et s’organiser. Il rend hommage à la génération des parents dont l’héritage de luttes doit être honoré et actualisé.

Zouhair, responsable associatif et délégué de l’UDMF attire l’attention sur l’impérieuse nécessité de s’engager dans l’action politique. Il nie l’existence de séparatisme attribué aux musulmans et prédit que l’islamophobie va monter en crescendo. La loi Séparatisme vise à priver les musulmans de leurs droits fondamentaux. C’est pour cette raison qu’il déplore l’absence de la communauté musulmane dans la politique, absence préjudiciable aussi bien pour les générations présentes que futures, et cela au niveau local et national.

Omar Slaouti d’Argenteuil Terre de Solidarité considère que la multiplication des soutiens des deux initiatives récemment nées contre l’islamophobie, le Front contre l’islamophobie et la Coordination contre la loi Séparatisme, signale le refus de divisions. Il prédit que l’unité sera au rendez-vous lors des mobilisations à venir dans toute la France. Omar attire l’attention sur un paradoxe savoureux : quand l’État accuse les musulmans de remettre en cause la République, c’est lui-même qui déconstruit un certain nombre de fondements de la République : les lois de la presse, de la liberté d’enseignement, de la liberté d’association et de la laïcité. À toutes les crises existantes, sociale, économique, institutionnelle, politique et sanitaire, les gouvernants veulent ajouter une crise mystique. Il faut refuser l’idée d’une crise de l’islam ainsi que la centralité de ce sujet dans les débats politiques dans une perspective électorale. Par ailleurs, il récuse la mise au même niveau des lois de la République avec ce qui relève de la transcendance et d’une foi intime, intérieure et individuelle. Omar tient à saluer le courage des 500 imams guidés par la dignité et la préservation de l’islam. L’universalisme ne se fera pas sur le dos de l’intime des musulmans : la dimension mystique et religieuse doit être préservée grâce à l’héritage des combats des générations précédentes contre le colonialisme. Il en appelle à la défense des libertés de conscience, de croyance, de parole, d’expression politique et d’organisation, menacées durement par l’arbitraire qu’ouvre la loi. C’est précisément sa non clarté qui en fait une loi raciste et islamophobe. Le combat antiraciste doit être mené côte à côte quelles que soient les orientations stratégiques prises face à un ennemi commun, celui qui veut abattre la dignité des musulmans. Le préalable est de reprendre confiance face à la tétanisation ambiante.

Elias et Taymour concluent les prises de parole en se félicitant du rassemblement s’opposant à la mise en place d’un apartheid visant la communauté musulmane et proclamant la fierté d’être musulman. Ils appellent à de très prochaines mobilisations.

Rédaction

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