Lettre à Bidar, fonctionnaire de la religion d’Etat

Peau blanche, masque indigène

Bidar,

La vacuité, la sottise et la vanité de ta lettre au « monde musulman » (1) ne devraient mériter aucune réponse. De fait, elle est trompeusement adressée. Tu as plutôt écrit un monologue, mis en circulation sur le marché intellectuel, afin bien entendu de renforcer ta position dans le clergé républicain. Et qui sait ? En redoublant de bassesse, peut-être même que le ministère de l’intérieur t’offrira une place d’honneur dans la secte policière et affairiste qu’on appelle l’Islam de France, auprès des grands esprits et personnes hautement recommandables qui y mènent déjà croisade.

Néanmoins, il existe un obstacle de taille à cela, Ô Bidar. Tu ne bénéficies même pas du statut de « supplétif », celui qu’on destine à cette tâche de « représentation ». Bien que tu portes un masque musulman, tu es avant tout un blanc ! C’est pour ça qu’ils t’ont mis dans un observatoire : c’est là qu’on met les blancs.

Par ailleurs, ton spiritualisme de bric-à-brac, tout droit sorti d’un roman de Coelho, n’a l’air d’entretenir qu’un rapport fortuit avec l’Islam. On y devine surtout un symptôme de la crise de l’individualisme et du rationalisme, qui, chez toi, culminent dans un narcissisme bouffon. Tu dis toi-même que la religion n’a rien à voir là-dedans, c’est la « nouvelle » spiritualité, ton Self-Islam : un peu Islam, beaucoup Self ! Et quelle terrible chose que cette religion, ces sociétés et ces « musulmans de France » qui ne sont pas faits à ton image et ne se plient pas à tes désirs intimes ! Que veux-tu ? Ils ont leurs histoires collectives, distinctes de ton histoire individuelle et sociale.

Mais bon, passons ! Il ne me revient pas de juger de cela. Je ne voudrais surtout pas entrer dans ces jeux nauséabonds de définition du « bon » et du « mauvais » musulman, dont tu as fait ta spécialité. En France, l’Islamophobie vise ceux que Sarkozy a qualifiés de « musulmans d’apparences », bref la « racaille de banlieues », les descendants de l’immigration postcoloniale, les indigènes. Bien entendu,  quand on leur offre généreusement de s’intégrer à la République qui les a traités comme un corps d’exception, on les somme aussi de se dissoudre en elle, de renoncer à tel ou tel attribut qui ne colle pas avec l’idée que des gens comme toi se font de la francité, de ses belles valeurs universelles et de sa brillante identité. En ce sens, l’Islam devient évidemment une cible, autour de laquelle il existe tout un imaginaire que tu dois connaître.

Mais toi, si cela te chante, demain tu peux devenir Bouddhiste ou New Age ou n’importe quoi qui soit compatible avec ta « nouvelle » spiritualité, et – eurêka ! – tu es guéri.  D’autant que ta solidarité étant ce qu’elle est, je ne vois vraiment pas ce qui te retient, sinon quelques misérables prétentions, quelques sinistres ambitions.

Tu vois, c’est pour ça que tu ne fais pas l’affaire comme supplétif : c’est un conflit postcolonial de races (où tu as très bien su où était ta place), pas vraiment un problème religieux, même si ça a des rapports.  Ils ont besoin d’arabes et d’africains musulmans – des « vrais » – pour faire le boulot. Et comme ils ne veulent pas les prendre en France, ils vont chercher ailleurs. Toi, tu es à un autre niveau : au bureau de la laïcité, des valeurs républicaines et de la liberté, où ils vont recevoir leurs instructions et d’où tu envoies tes lettres.

Voilà, c’est pour ça que je te réponds, parce que cette petite comédie a trop duré. Nous n’allons pas inlassablement te laisser raconter n’importe quoi quant à toi et quant à nous. Ta lettre, Bidar, elle n’est pas écrite par un musulman, ni par un philosophe : elle est écrite par un commissaire politique de la République ! En outre, tu ne situes pas entre deux mondes  – « l’Occident et l’Orient ! », selon ton imaginaire orientaliste – dans cet « entre-deux » d’où tu essaies de tirer ta légitimité, mais dans un seul monde – certes épris de belles odalisques ! – que je ne m’attarderai même pas à appeler « occidental ». Jusqu’à l‘Occident est imaginaire en toi et ton monde est bien plus étroit encore : il se réduit à ton univers petit-bourgeois et satisfait, à ce Self boursouflé et haïssable (rappelle-toi) qui prétend dicter la norme du religieux, de la spiritualité et de l’émancipation pour tous et partout, au XXIème siècle, avec le concours de l’OTAN !

Dès lors, de quoi donc s’étonner à ton propos !? Faut-il s’étonner que tu reproduises les catégories du néoconservatisme le plus éculé, en parlant de conflit de « civilisations » ? Faut-il s’étonner que tu réduises ton « Ô  (cher) monde musulman » – que tu empruntes avec si peu de style aux vieux orientalistes ! – à tes catégories binaires et essentialisantes. N’as-tu pas lu Saïd ? Faut-il s’étonner que tu sautes comme un éperdu sur le mot « terrorisme », en cautionnant ainsi les dispositifs de guerre qui le produisent, en dehors de toute lecture géopolitique, politique et historique qui les mette en perspective? N’as-tu pas lu Chomsky ? Faut-il s’étonner – Ô toi plus royaliste que le roi ! – que tu veuilles chercher les « racines du mal » dans cet Islam et ces sociétés qui se dérobent à tes catégories, en réduisant le « printemps arabe » et ses déconvenues à tes fantasmes ? Les prétextes « laïcistes » et les connivences géostratégiques qui ont motivé le coup d’Etat contre les Frères Musulmans, en Égypte, sont-ils donc le fait de l’Islam ? Faut-il s’étonner que, dans un continuum colonial flagrant, tu puisses encore fonder ta réflexion sur le contraste entre ton modernisme individualisant et une « religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive » ? N’as-tu pas lu Fanon ? Es-tu donc si aveugle que tu ne puisses même pas observer que ce qui s’épuise, en ce moment-précis, c’est cette antique modernité, ses mythes humanistes et la violence effrénée qu’elle engendre ? Faut-il s’étonner que sous couvert de pluralisme et à partir de ta conception normative de la sécularisation, tu deviennes le prosélyte fanatique d’une religion d’État ? Es-tu donc si stupide que tu ne vois pas que ton récit littéral et idéal sur la sécularisation, la spiritualité et la liberté relève précisément d’un fondamentalisme ?

Non, Bidar, il est inutile de débattre longuement avec toi. On connaît ces refrains par cœur. Dans ton bavardage prétentieux, point de singularité ! Il n’y a qu’à suivre la pente. Elle est toute tracée. Malgré tout, une chose devait être dite : garde tes simagrées, tes bons conseils et tes pâles Lumières, nous savons très bien qui tu es!

 

Malik Tahar-Chaouch, membre du PIR

 

(1) Abdenour Bidar, Lettre ouverte au monde musulman, http://www.marianne.net/Lettre-ouverte-au-monde-musulman_a241765.html

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