Matraque

« On s’en fout, il n’a qu’à pas insulter les flics »

Tout commence par une bonne nouvelle. Mon meilleur ami, Othmane Teguadoni, gagne un voyage à Rio par l’intermédiaire de son entreprise. Il me propose de l’accompagner. Je préfère l’offrir à mon beau-frère Abdelkader Benotmane (le frère de ma femme), qui est plus jeune que moi et serait plus intéressé.
Malheureusement, nous connaissons la suite. L’avion se crashe en mer. Mon meilleur ami Othmane et mon beau-frère Abdelkader sont décédés.
Avec ma famille, nous ferons pendant plusieurs jours un va et vient entre Tours (où je vis) et Châtellerault (où réside la famille de mon beau-frère). Un travail de deuil difficile pour notre famille. Je suis en état de choc. J’ai l’impression d’avoir envoyé mon beau-frère à la mort.
Ma femme est dans un état dépressif grave, elle manque de se suicider. Elle est arrêtée par le médecin pendant un mois pour traumatisme psychologique avancé. Larmes et pleurs sont notre lot quotidien.

« Laissez nous tranquille, je viens de perdre ma famille »

Mais je ne me doutais pas qu’un autre traumatisme allait de nouveau nous accabler. Le dimanche 7 juin, dans la nuit à 1h00, alors que je rentre sur Tours au volant de mon 4×4 noir avec ma femme et mes trois enfants (7, 12 et 14 ans), je remarque une voiture de police qui me suit.
Arrivé à mon domicile, devant mon parking, un policier me demande de m’arrêter. J’obtempère naturellement. Ils me disent : « Vous êtes perdus ? On peut vous renseigner ? ». Je leur réponds « Non merci, je suis chez moi. »
Les policiers me signifient que j’ai grillé un feu rouge, et me demandent mes papiers. Dès que j’ouvre la porte, le policier se rapproche. Ma femme, Zohra, souffle fort. Elle est agacée et épuisée. Elle crie au policier :

« Qu’est-ce qu’il y a ? Laissez nous tranquille, je viens de perdre ma famille. Ça vous gêne un arabe qui gagne bien sa vie ? »

Je m’excuse auprès des policiers. Je souhaite faire rentrer ma femme et mes enfants à l’intérieur de la maison, pour ensuite parler au calme avec les policiers. Les policiers m’attrapent par l’épaule et insistent afin que je leur donne immédiatement mes papiers.
Moi aussi épuisé par ces jours de deuil et le traumatisme de la mort de mon meilleur ami et de mon beau-frère, je crie : « Vous cherchez la merde ou quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? »
« Restez dans le 4×4 ou je vais vous mettre une tarte »
Ni une ni deux, les policiers lâchent le chien sur moi. Je tombe brusquement par terre. Pendant ce temps, un des policiers va voir mes enfants apeurés entrain de crier et leur dit :

« Fermez vos gueules, restez dans le 4×4 ou je vais vous mettre une tarte. »

Les policiers me plaquent au sol en appuyant fortement sur mes membres : mains, thorax, gorge, parties génitales, tête. J’ai très mal, j’ai du mal à respirer. Ils tirent sur ma gorge et mon cou. Méthode qui s’apparente à une clé d’étranglement.
Elle a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 9 octobre 2007 à la suite d’un décès en 1998. Puis, ils me rouent de coups. Ils me frappent à plusieurs reprises. Ils m’insultent et me traitent de « sale arabe ».
Un de mes voisins entend du bruit et vient voir les policiers. Il leur dit d’arrêter : « C’est un homme gentil, il vient de perdre des personnes de sa famille. »
Les policiers lui répondent : « On s’en fout, il n’a qu’à pas insulter les flics. » Le voisin se dirige vers ma femme et mes enfants pour les faire rentrer à la maison.
Un policier de la BAC (brigade anticriminelle) arrive sur les lieux. Il me connaît. En effet, je suis gardien d’immeuble et j’ai de très bonnes relations avec les policiers de la ville. Je les aide souvent et leur facilite l’accès aux immeubles quand ils en ont besoin.
Le policier de la BAC dit alors aux policiers : « Arrêtez, il est cool, je le connais. » Alors ils me serrent très fortement les menottes. Je ressens encore aujourd’hui des douleurs aux poignets.

Un jour d’ITT et six jours d’arrêt maladie

Je suis ensuite conduit au commissariat pour une garde à vue qui durera plus de 16 heures. Je subis un interrogatoire des plus étranges. On me demande combien je gagne, combien je paie de loyer.
Après avoir insisté, un policier accepte que je porte plainte à 10h30 le lendemain (lundi 8 juin). Pendant la garde à vue, je vois un médecin qui me donne un jour d’ITT et 6 jours d’arrêt maladie. Mais aucune copie de la plainte ne me sera remise et on ne me donnera pas non plus de copie du certificat du médecin.
Je suis accusé d’outrage et de coups et blessures sur un policier. Alors que je n’ai pas du tout touché les policiers. Ce sont eux qui m’ont attaqué.
On me remet une convocation au tribunal correctionnel pour le 10 septembre 2009. Document que je signe sans réellement lire avant de partir à 18h00 tellement j’étais bouleversé. Je n’ai qu’une idée en tête, rentrer chez moi.
A mon retour, je reçois le soutien de mes voisins et j’apprends que plusieurs personnes ont vu la scène et sont prêts à témoigner. Bien sûr, je ne vais pas en rester là et j’ai d’ores et déjà pris un avocat pour engager une procédure.
Ces propos ont été recueillis par Jehan Lazrak-Toub, journaliste indépendante.

Miloud Akli

SOURCE : Rue89

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