Exister, c’est exister politiquement

Loi « sur le voile à l’école » : dix ans de hogra, dix ans de résistance !

Les anniversaires, aussi funestes soient-ils, sont l’occasion de pointer du doigt des grands tournants, de dresser des bilans.

La loi de 2004 fut une offensive médiatique, politique et législative qui n’a pas seulement entraîné la déscolarisation de centaines d’élèves, elle a aussi marqué en France une accentuation du racisme sur le registre de l’islamophobie en donnant libre cours à toutes les interprétations de cette loi. Le moindre prétexte est désormais légitime pour clamer son droit à discriminer, pour suspecter, pour insulter, pour agresser, pour licencier, pour bannir.

Le racisme a désormais amplement droit de cité : « l’islamiste », le « terroriste », les « barbus » et « les voilées » ayant cédé la place aux « bougnoules », aux « bicots » et aux « sales arabes ».

C’est tout un ensemble d’argumentaires à même de gagner plus de terrain encore, et tout un imaginaire rénové qui sont venus nourrir la fièvre législative islamophobe : ces dix années écoulées ont vu apparaître la loi du 11 octobre 2010 dite « antiburqa », la circulaire Chatel qui interdit l’accompagnement des sorties scolaires aux mères portant le hijab, l’offensive contre les nounous voilées, des projets d’interdiction du voile à l’université jusqu’à la volonté d’étendre au secteur privé ces discriminations racistes légales.

Mais ce sont aussi dix années de lutte. Cette loi du 15 mars 2004 et les débats qui l’ont précédé ont grandement marqués les mouvements de l’immigration et des quartiers populaires. La violence de l’offensive, son envergure et le grand isolement dans lequel nous nous sommes retrouvés, nous ont appris à nous battre, à gagner en autonomie et, pour beaucoup, à faire de la politique. C’est dans le sillage de cette loi que les Indigènes de la République sont nés. Ceci n’est pas fortuit.

Faire de la politique dans notre espace/ temps et dans ces années-là, ça a voulu dire établir nos propres priorités, mettre en avant nos préoccupations, inventer notre façon de faire sans tutelle ni autorisation, sans battre en retraite même quand le terrain est miné, et en voyant loin, très loin. Dans le sillage de la lutte contre cette loi on a vu se former une nouvelle recomposition du champ antiraciste qui renonçait doucement à l’idéal républicain et qui osait de plus en plus se fonder sur un référent communautaire et/ ou religieux en aspirant à une libération collective et en ne se contentant pas d’interpeller les normes dominantes mais en interrogeant les principes institutionnels de la République.

Aujourd’hui encore, des collectifs émergent partout en France. Ils apprennent de cette expérience et cèdent toujours de moins en moins au champ politique blanc. Durant ces dix années, il nous a en effet fallu tracer des lignes de démarcation. Il a fallu se défaire de l’idée que Nous, indigènes, aurions des alliés naturels au sein du champ politique, en particulier à gauche. Il a fallu imposer à ce champ politique et à cette gauche de prendre clairement position sur les lois islamophobes, de prendre ses responsabilités. Il a fallu faire le choix de nous adresser prioritairement aux nôtres (associations musulmanes, de l’immigration et des quartiers populaires) mais aussi de constituer des fronts, des alliances.

Aujourd’hui, notre bilan est mitigé : du côté des luttes de l’immigration, nous avançons lentement mais en nous raffermissant, nous grandissons et restons debout.

À gauche, et à gauche de la gauche, des individus, à leur échelle, se mobilisent, parfois des groupes minoritaires, mais quelle grande organisation a-t-elle aujourd’hui inscrit au sein de son programme l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 ainsi que toutes les lois et tous les décrets qui ont suivi ? Aucune. Qu’ont-ils appris pendant ces 10 ans dans ce climat de désertion, de consensus mou ou de mélenchonades laïcardes et républicanistes ?

Aujourd’hui, plutôt que nous lamenter sur la hogra et sur la médiocrité du champ politique, nous préférons rendre hommage à toutes celles et ceux qui ont résisté, parmi lesquels les premiers concernés, parmi lesquels les véritables antiracistes, parmi lesquels celles et ceux qui nous ont rejoints et qui grossissent nos rangs.

Exister, c’est exister politiquement.

 

PIR, vendredi 14 mars 2014.

 

* Dans le cadre de la journée internationale contre les crimes policiers, rassemblement samedi 15 mars 2014, à la Fontaine des Innocents, Paris de 13h à 15h!
Dans la foulée, au même endroit, se tiendra à partir de 15h, un rassemblement pour l’abrogation de la loi islamophobe du 15 mars 2004.

A ce propos, le PIR soutient tous les rassemblements qui se tiendront demain samedi dans toute la France pour l’abrogation de toutes les lois islamophobes.

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