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L’heure de nous-même a sonné : d’Aimé Césaire à Ilham Moussaid

“Ici comment taire notre déception?” C’est le constat désabusé mais lucide d’Aimé Césaire, en forme de question rhétorique adressée à Maurice Thorez, alors secrétaire du Parti Communiste Français dans une lettre de démission datée de 1956. Le poète martiniquais y dénonce sans détour les travers d’un parti qui, en dépit de son masque progressiste, est demeuré perméable au chauvinisme, aux préjugés racistes et à l’alignement sur la politique coloniale de la République française – en votant notamment les pleins pouvoirs au gouvernement Guy Mollet Lacoste pour sa politique en Afrique du Nord. Visionnaire, Aimé Césaire observe que “nous n’avons aucune garantie qu(e cette éventualité) ne puisse se renouveler.”

La gauche qui capitule et qui trahit n’a donc pas épargné ceux que Césaire nomme “les peuples coloniaux”, ni leurs descendants, comme en témoigne la récente démission des membres du presque tous les partis politiques français, comportant une vaste majorité de militants convaincus que l’Islam est une religion homogène, sexiste et violente par essence, dénuée de tout potentiel émancipateur – et ne s’efforçant nullement de dissiper ces idées fausses par un discours rationnel et critique. L’islamophobie, n’en déplaise à ceux qui s’évertuent à rayer ce terme de notre boîte à outils, est la seule expression du racisme que l’opinion tolère. C’est pourquoi il faut défendre l’usage du concept qui traduit cette réalité. Il est constant, écrit Aimé Césaire dans sa Lettre, que “notre lutte, la lutte des peuples coloniaux contre le colonialisme, la lutte contre le racisme est beaucoup plus complexe – que dis-je, d’une tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière, être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte.

L’illusion, pour le lecteur blanc, consisterait désormais à croire que le NPA, comme le PCF avant lui, aurait déçu les non-blancs – basanés, voilées, Indigènes.. Or, nous savons que parfois une chose a l’air bonne pour nous mais qu’elle est mauvaise ; et que parfois une chose a l’air mauvaise pour nous, mais qu’elle est bonne. Autrement dit, nous savons que c’est la blessure qui donne précisément la force de guérir. “L’heure de nous-même a sonné”, comme l’écrivait Aimé Césaire. En définitive, la gauche française se trahit toute seule lorsqu’elle n’assume pas sa propre logique d’émancipation et se fait le porte-voix des discours oppresseurs, auprès des opprimés.

 » Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n’est ni le marxisme ni le communisme que je renie, que c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve. Que ce que je veux, c’est que marxisme et communisme soient mis au service des peuples noirs, et non les peuples noirs au service du marxisme et du communisme. Que la doctrine et le mouvement soient faits pour les hommes, non les hommes pour la doctrine ou pour le mouvement. Et bien entendu cela n’est pas valable pour les seuls communistes. Et si j’étais chrétien ou musulman, je dirais la même chose. Qu’aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous. Cela a l’air d’aller de soi. Et pourtant dans les faits cela ne va pas de soi.
Et c’est ici une véritable révolution copernicienne qu’il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l’extrême droite à l’extrême gauche, l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous, bref l’habitude de nous contester ce droit à l’initiative dont je parlais tout à l’heure et qui est, en définitive, le droit à la personnalité.
C’est sans doute là l’essentiel de l’affaire.
 »
Aimé Césaire

Princesse de Clèves, membre du Parti des indigènes de la république

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