Courrier

Lettre ouverte à Monsieur Yasmina Khadra

Votre dernier roman, « Ce que le jour doit à la nuit », a rencontré un très vif succès, en particulier en France où il a été couronné du titre de « meilleur livre de l’année » par le magazine littéraire Lire et la station de radio RTL.

Il soulève cependant un paradoxe : Il semble qu’il a surpris une grande partie de vos lecteurs habituels, ceux qui vous suivent depuis la saga du commissaire Llob jusqu’à « l’Attentat« . En revanche, il a séduit un public nouveau constitué notamment de nostalgiques de l’Algérie Française.

Pas question de procès d’intention ici. Nous ne vous ferons pas l’injure de vous compter parmi ces nostalgiques. Votre parcours personnel, votre œuvre littéraire attestent de la profondeur de votre amour pour l’Algérie libre et indépendante. Toutefois, vous ne pouvez manquer de vous interroger sur la faveur que lui accordent bon nombre de « nostalgériques ».

Or vous ne l’avez pas fait. Non seulement, vous ne vous êtes pas interrogé sur la signification de cette adhésion mais encore vous avez confié le soin de porter votre livre à l’écran à un représentant éminent de cette corporation. Nous avons nommé Alexandre Arcady.

Cet homme a fait partie des ardents défenseurs de feu le projet d’article de loi de 2005, relatif aux « aspects positifs de la colonisation ». Il n’a jamais fait mystère de ses convictions. Bien sûr, il ne s’exprime pas avec la brutalité des nervis de l’OAS. Il est un peu plus subtil. En fait, il participe avec d’autres à la réécriture de l’Histoire, via la culture, réécriture dont le but est d’installer une amnésie collective qui engloutirait les crimes de la colonisation. Leur vœu est d’inscrire dans les imaginaires, aussi bien français qu’algérien, le récit que ressasse obstinément le discours pied-noir, récit qui raconte la guerre d’Algérie comme l’histoire d’une terre perdue…

Cela n’a pas empêché l’Algérie officielle de dérouler plus souvent qu’à son tour le tapis rouge à Alexandre Arcady. Mauvaise raisons politiciennes, pensions-nous. Mais nous étions à mille lieues de penser que vous pouviez, vous Yasmina Khadra, vous compromettre dans la compagnie de cet homme ! Comment avez-vous pu penser un seul instant confier votre œuvre à un individu qui ne manque jamais de manifester sa nostalgie pour une époque où il vivait heureux pendant que nos mères et nos pères connaissaient la faim, l’oppression, l’acculturation, l’analphabétisme, la mort violente… ?

Ce n’est pas tout. Vous avez exprimé récemment et à maintes reprises votre sympathie pour les Palestiniens et le sentiment de révolte devant la situation qui leur est faite par Israël. Savez-vous ce que pense Alexandre Arcady d’Israël ? Savez-vous qu’il se proclame sioniste de la première heure et qu’il ne manque jamais de professer son amour pour cet Etat ? Savez-vous que, vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas un mot de sa part sur les injustices subies par les Palestiniens, pas un mot pour condamner le dernier massacre de Gaza ?

De grâce, Yasmina Khadra, revenez sur votre décision. Rompez le contrat qui vous lie à un colonialiste, un sioniste qui n’a même pas l’excuse du talent!

Brahim Senouci, Houria Bouteldja, Cherif Derbal, Betoule Fakar-Lambiotte, Hassan Mézine, Youssef Boussoumah

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