Droit de réponse

Lettre ouverte à Eric Besson

Bonjour Eric,

C’est Hanifa Taguelmint qui prend la plume pour t’écrire. J’aurais pu le faire avant, notamment pour te féliciter lors de ta nomination au gouvernement, mais tu comprendras que ma stupéfaction et mes convictions de femme de gauche m’aient empêché de le faire.

Je viens de quitter la Fondation FACE, là où nous sommes connus toi et moi, il y a déjà 16 ans ; Me voilà donc libre de ma parole, trop souvent bridée par des obligations et il faut bien le reconnaitre par un certain opportunisme professionnel. En 16 ans j’en ai entendu des discours, des débats, des idées, des projets qui tournaient autour des personnes fragiles et des quartiers difficiles, ou l’inverse, je ne sais plus trop, tant les mots pour désigner cette partie de la population et ces lieux sont nombreux et finissent par empêcher l’histoire de s’écrire.

Moi, fille d’immigrée née en Algérie française, redevenue algérienne, puis réintégrée à la nationalité française, moi qui à l’âge de 19 ans, me suis retrouvée partie civile dans le procès aux assises concernant l’assassinat de mon jeune frère de 16 ans tué par un « beauf », moi fatiguée et usée par des années de militantisme autour des questions de lutte des immigrées, des femmes, des chibanis, des crimes racistes, des quartiers, bref de ce qui fait ma vie, je pensais me reposer un peu à 48 ans.

Et puis voilà que toi Eric Besson, Ministre de l’immigration, donc Ministre de moi, tu remets ça, sans hésiter, sans consulter, sans prévenir.

Le coup vient d’en haut cette fois, ce n’est pas un beauf à la gâchette trop facile, ce n’est pas un raciste lambda, non c’est un Ministre, toi Eric, qui vient jeter ma communauté, à la vindicte populaire, la remettre encore une fois au centre des enjeux électoraux. Et ce ne n’est que l’élection régionale ! Que nous réservez vous donc pour la présidentielle ?

Tu as permis à certains de libérer leur parole puante. En posant ton p……. de débat, tu savais pertinemment ce que tu allais réveiller des démons.

Douterais-tu de mon identité, alors que la France a violé l’Algérie et ce pendant très longtemps ? Nous, nous n’avons rien demandé en échange, pas de procès pour nos charniers, pour nos torturés, pour nos femmes violées, pas de réparations, pas d’indemnités pour nos parents, nos grands parents, pas de repentance, les phénomènes de modes mémorielles se sont arrêtés devant la porte de nos douleurs. La communauté Arménienne a ses morts et ses dates, La communauté Juive a les siens, et nous ? Dés que nous osons quémander, vous nous répondez systématiquement « COMMUNAUTARISME »

Vous avez dit communautaires ! Oui ! C’est vrai ! Nous nous retrouvons souvent seuls et entre nous comme des orphelins de l’histoire pour honorer nos morts, marquer nos dates. Honorer est un bien grand mot car c’est souvent dans des salles de fêtes des quartiers sans fastes, sans moyens financiers et logistiques, sans élus, rarement la presse, sans relais, sans historiens, et sans reconnaissance.

Il fallait bien que de toutes ces histoires mêlées il sorte des « bâtardises » dont toi comme moi gardons des séquelles ici et là-bas. Ton Maroc n’est pas le même que celui des Marocains. Mon Algérie n’est pas la même que celle des Algériens. Tu vois bien combien mon identité est complexe.

Complexe oui, dangereuse non.

Je pourrais continuer encore longtemps à te conter ma douleur, mes doutes, mais la seule chose qui m’importe c’est comment préparer l’avenir des enfants de ce pays. Le politique peut et doit reprendre en main l’essentiel, tu y as cru un jour et cela t’a même donné la force de quitter ta propre famille politique, ce n’est surement pas pour faire le sale boulot de la droite que tu as fait cela mais bien parce que tu voulais agir. N’est ce pas ? Aussi, je te le demande, en ma qualité de citoyenne française, de mère d’enfants français, retire ce débat de la scène publique, lieu de tous les fantasmes, de toutes les peurs et de tous les dangers.

Certains, boycottent tes débats qui ont pris la forme d’injonction à comparaitre devant les préfets, j’en fais parti. Pour avoir fréquenté beaucoup de ministères et trop de Parisiens, je connais les dessous de ce type de procédé.

Si débat il y a, il doit l’être par et avec les personnes concernées au premier chef. Tu gagnerais à reconnaitre ces errements périlleux pour notre « bien vivre ensemble » en attendant le « mieux vivre ensemble » comme d’autres attendent « Godot »

Cordialement.

Hanifa Taguelmint, née Boudjellal

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