Eclairant

L’étrange islamophilie de Claude Askolovitch

Claude Askolovitch, éditorialiste de renom, bouillant écumeur de la presse française du Nouvel Obs au Journal du Dimanche, en passant par Marianne et l’Événement du Jeudi est au cœur d’une forte polémique qui secoue le landernau médiatique. Son dernier livre « Nos mal-aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas » est l’épicentre d’une secousse de forte intensité. Pourtant, la thèse qu’il défend n’est pas une nouveauté puisque portée depuis de longues années par des militants associatifs ou politiques de terrain dans l’anonymat organisé voire l’opprobre générale. Aujourd’hui, celle-ci fait l’effet d’une véritable provocation dans les milieux auxquels il appartient. Ainsi, selon lui, les musulmans qui pour la plupart sont citoyens français, seraient opprimés par une « laïcité identitaire » qui stigmatise, discrimine l’élément musulman de la société.

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. La première vertu de son ouvrage est de dire le réel, en toute simplicité. Effectivement, il dit vrai lorsqu’il écrit que la France est « aussi, musulmane ». Le réel, c’est aussi d’affirmer comme il le fait qu’il est inadmissible de priver des femmes et des hommes de leur libertés élémentaires (choix vestimentaires, prescriptions alimentaires) qui sont des droits fondamentaux. Loin d’être timoré, il n’hésite pas à croiser le fer avec la planète islamophobe et se faire le porte voix de thèses raillées jadis par lui comme « islamo-gauchistes ». Celle par exemple qui dénonce la construction des musulmans comme « ennemis de l’intérieur ». Il a encore raison de pointer du doigt ces entreprises qui en toute illégalité discriminent des candidates voilées ou portant robes longues. Il est encore plus sympathique quand il dénonce l’humiliation faite à « ces gosses moins heureux à l’école » parce que privés de leur mère lors des sorties scolaires. Et on manque de s’évanouir lorsqu’il déclare : « Allahou akbar est un cri de France ».

On doit lui reconnaître un courage et une audace certains voire même un goût pour la prise de risque face à la meute de ses détracteurs de gauche ou de droite. La plupart des éditocrates, Caroline Fourest dans le Nouvel Obs, Elisabeth Lévy dans Le Point, Maurice Zsafran et Eric Conan dans Marianne, Alain Finkielkraut sur France Culture, ou encore Natacha Polony dans le Figaro ont pris le mors aux dents et à l’unisson crient haro sur le baudet. Askolovitch franchit une ligne rouge. Les chiens de garde aboient. Il y a de quoi. La transgression suprême ne vient pas de ce que le réel soit dit mais que celui-ci soit énoncé par un ponte de l’éditocratie.

Il est rare qu’une cause aussi décriée que celle du racisme anti musulman trouve un avocat aussi prestigieux et produit accrédité de l’establishment. Nous n’allons pas bouder notre plaisir. D’abord pour des raisons de coquetterie militante. Il est jubilatoire de voir les mines défaites et les réactions consternées de la caste éditoriale. La réaction de Polony qui frise l’apoplexie est particulièrement réjouissante. Et ensuite parce que, comme l’aurait dit le vieux Mao : « quand l’ennemi est divisé, c’est une bonne chose ». « Pourvu que ça dure » aurait ajouté, Lætitia, mère de Napoléon.

Mais si nous sommes des militants pragmatiques, nous n’en sommes pas moins lucides et avertis. Aussi, lorsque l’on connaît le passé de ce journaliste-militant, il est plus que légitime de s’interroger sur le repositionnement de celui-ci. Car plus qu’un simple changement de cap, il s’agit d’un virage à 180°. Alors révolution copernicienne ou calcul politique ?

Plusieurs hypothèses s’offrent à nous qui, loin d’être contradictoires, se complètent.

Commençons par dire que l’empathie d’Askolovitch pour les victimes d’islamophobie est sincère. Nous en sommes convaincus, non pas parce qu’il nous aurait maraboutés mais parce que, comme nous, il appartient à une communauté marquée au fer par l’oppression raciale. Claude Askolovitch est issu d’une famille juive. En tant que membre d’une communauté de condition opprimée par la république française, contrainte de « s’intégrer » ou de s’assimiler pour disparaître dans le moule de l’identité blanche, il a vécu en partie ce que nous avons vécu. Il sait ce que nous savons. « Je retrouve chez les musulmans des traits de famille : quelque chose de juif » confesse-t-il. Et il confie cette anecdote où, enfant, et refusant de manger du jambon, il devait batailler contre l’incompréhension des ses moniteurs de classe de mer. Claude Askolovitch connaît la musique. Paraphrasant Aimé Césaire, il pourrait dire « j’ai une spécialité, je suis juif ».

Mais Askolovitch n’est pas que juif. Il est aussi et surtout un militant défendant des convictions politiques. Prenons le temps de rappeler son pedigree :

– Il est l’éminent coauteur d’un livre avec Éric Besson, d’un autre avec Rachida Dati et d’un dernier avec Manuel Valls

– Il appartient au groupe « Le Meilleur des mondes », dédié à la revue homonyme du néoconservatisme à la française

– Véritable Mc Carthy de la chasse aux sorcières islamistes, il a été l’organisateur de la démonisation de Tariq Ramadan et s’est brillamment distingué dans la traque des innombrables « critiques-crypto-antisémites-d’Israël » (Edgar Morin, Pascal Boniface, Bernard Langlois, Siné…).

– C’est lui qui, avec BHL, a mis le pied à l’étrier à la toute jeune et ambitieuse Caroline Fourest.

– Il a mené campagne pour la libération de Guilad Shalit, soldat d’une armée d’occupation

Nous n’allons pas citer tous ses faits d’armes car ils sont fort nombreux mais cette liste est déjà édifiante. Claude Askolovitch ne peut pas être un ami. Ni même un allié de circonstance. Il est donc probablement un ennemi intelligent. Peut-être un peu tardivement a-t-il médité le conseil avisé de Pascal Boniface qui, de façon lucide, dans une note interne du PS en 2001[1], appelait celui-ci à faire œuvre de real politik et à prendre en considération le poids électoral des musulmans. Et par conséquent à transférer un peu de ses attentions de la communauté juive à la communauté musulmane. Tout ceci afin d’infléchir le parti pris pro israélien du parti. Nous connaissons le tollé que cela a suscité. Boniface a été contraint d’abandonner ses fonctions au PS.

En vérité, plus qu’une simple hypothèse, pour nous c’est une conviction. C’est bien le chemin qu’il a emprunté. En vieux roublard politique, il est évident qu’il poursuit des objectifs précis. Il ne peut que constater que d’une part, la communauté musulmane est en pleine expansion et qu’en dépit des tentatives d’endiguements bien pitoyables en vérité, elle résiste et s’organise, et que d’autre part, l’attachement de celle-ci à la Palestine ne s’est jamais démenti.

Au PIR, nous avons souvent eu l’occasion de le dire. La France se pense blanche et chrétienne. Les juifs ne font pas partie du corps légitime de la Nation. Et ça Askolovitch le sait. Les juifs ont certes été blanchis depuis la création de l’État d’Israël sans pour autant devenir complètement Blancs. Tout le monde se souvient du lapsus de Raymond Barre suite aux attentats contre une synagogue parisienne le 3 octobre 1980 : « Cet attentat odieux voulait frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ». En revanche, dans les faits, face aux institutions, ils occupent objectivement une place de choix : chouchous de la république. Une place qui peut leur être contestée par d’autres prétendants à la deuxième place sur le podium. Or, c’est précisément ce privilège que le développement de la communauté musulmane menace de façon réelle ou fantasmée. Avec comme corollaire l’infléchissement de la position de la France en défaveur d’Israël. Et ça, Askolovitch le redoute.

Au-delà de la note de Boniface, de nombreux événements peuvent expliquer le cheminement d’Askolovitch. Par exemple, l’offensive « Plomb durci » sur Gaza, en 2008. On imagine sans difficulté sa stupéfaction face à l’ampleur des mobilisations pour Gaza. Qui ne se souvient de ces rangs serrés et compacts de musulmans émergeant des bouches de métro par dizaines de milliers sous la conduite de leurs imams ? Il y a avait là matière à réflexion. C’est sûrement là qu’il a été amené à reconsidérer tout son positionnement passé. De ce point de vue, il rejoint la thèse de Jacques Attali qui depuis longtemps encourage la communauté juive organisée à favoriser l’émergence d’une bourgeoisie musulmane qui, on le devine, aurait suffisamment d’intérêts de classe dans le cadre du capitalisme français pour taire ses sympathies pro-palestiniennes. Nous sommes convaincus que sa prise de conscience vient de Gaza 2008. C’est la raison pour laquelle il signe le « J call »[2] aux côtés de BHL et Finkielkraut. Effrayé par le visage qu’offre alors Israël au monde (notamment l’utilisation du phosphore blanc contre les civils), et par les conséquences sur l’ensemble de la communauté juive rendue à tort co-responsable des crimes de l’armée israélienne, il devenait impérieux de calmer les ardeurs des ultras de là-bas ou d’ici. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cet appel, avait davantage comme objectif la préservation de l’entité israélienne que l’accomplissement des droits nationaux pour les Palestiniens. Notons qu’Askolovitch, tout comme BHL, a su résister à la droitisation du mouvement sioniste français et qu’il a su demeurer un « sioniste de gauche». Ainsi, une ligne de clivage stratégique se dessine au sein du mouvement sioniste jadis homogène entre une aile dure et va-en-guerre et une aile modérée et pragmatique mais non moins amoureuse d’Israël. Heureusement pour lui, Askolovitch est plus malin qu’Enrico Macias. Cela dit, il serait faux de ne le croire mu que par son attachement à Israël. Reconnaissons qu’il a sûrement de vraies convictions de social-démocrate (ce qui n’est pas pour nous rassurer) et une vraie hantise du Front National.

Indéniablement, il y a depuis quelque temps comme une fébrilité dans l’air. Que penser de l’étrange sollicitude de ces militants sionistes à l’égard des musulmans au nom d’une bien opportune fraternité d’Abraham ? Ainsi Marek Halter va à Rome il y a quelques jours, flanqué d’une dizaine d’imams conduits pas l’inénarrable Chalghoumi [3]. Pensons aussi à l’irruption surprise d’Habib Meyer, ami de Netanyahaou, à la soirée fondatrice de la toute nouvelle LDJM. On pourrait aussi rappeler les liens tissés par Sami Gozlan avec le président de l’UAM 93, Mohamed Henniche. Et, cerise sur la gâteau, l’UEJF vient de porter plainte contre le magazine Valeurs Actuelles et sa une islamophobe. La déclaration de Jonathan Hayoun, son président laisse rêveur :« Il est inacceptable que, demain, dans n’importe quel kiosque, l’achat d’un magazine avec une ‘une’ raciste soit banalisé. (…) Il devient urgent de mettre un coup d’arrêt à cette banalisation du racisme à l’égard des musulmans. »

Ces faits sont parlants et ne sont pas sans nous rappeler la douloureuse création de SOS Racisme. En effet, il est de notoriété publique, qu’au lendemain de la Marche pour l’égalité dont nous allons fêter les trente ans au mois de décembre, le PS et les milieux sionistes pour des raisons différentes mais convergentes ont été catastrophés à l’idée que puisse se constituer une force politique issue de l’immigration et de surcroît pro-palestinienne. Par ailleurs, il est non moins confidentiel que parmi les fondateurs de SOS racisme, se trouvait toute la direction de l’UEJF. SOS qui allait imposer pour prix de sa généreuse protection des « potes » un silence radio sur la Palestine avec cette fabuleuse formule : « Nous n’allons pas régler les problèmes du Moyen Orient sur les rives de la Seine ».

Trente ans plus tard, le parallèle s’impose. La main que tu ne peux pas mordre caresse-la. Considérant que le premier principe organisateur de la communauté musulmane est la lutte contre l’islamophobie, il coule de source qu’enrayer la poussée islamophobe est le moyen le plus efficace d’enrayer l’organisation de ladite communauté. Ou, en raccourci, il faut priver le moteur de son carburant. N’est-ce pas là le chemin qu’emprunte Askolovitch non sans un certain talent ? Il le fait avec d’autant plus de zèle que cette stratégie est expérimentée au niveau géopolitique par les impérialistes américains qui, digérant la déconfiture du néoconservatisme bushien, lui oppose le visage avenant et séducteur d’un Obama qui espère reconquérir le cœur des Arabes en distribuant  des « salam aleykoum ».

Qu’on ne se méprenne pas sur nos intentions. Il ne nous appartient pas de reprocher à Askolovitch ses amours politiques. Il a parfaitement le droit d’être sioniste et parfaitement le droit d’être attaché aux privilèges – relatifs – de sa communauté comme nous nous honorons de combattre le sionisme ainsi que la hiérarchisation communautaire pour une égale dignité de toutes les composantes de la société. En revanche, ce qui nous importe en tant que militants décoloniaux, c’est de comprendre et d’analyser les mouvements et les restructurations du discours politique et médiatique pour à la fois évaluer nos conquêtes mais également identifier nos alliés potentiels (ceux avec lesquels nous pouvons développer des alliances durables, voire nous engager dans des fronts communs). A l’évidence, Claude Askolovitch n’en fait pas partie mais il est un symptôme intéressant. Il nous enseigne qu’un système fragilisé sait lâcher du lest pour peu que les intérêts essentiels soient protégés. Aussi, cela nous interroge sur les limites voire la fragilité d’une lutte orientée contre la seule islamophobie qui peut potentiellement et au moins partiellement être absorbée. S’il faut penser une alternative politique, elle doit nécessairement être globale : à la fois antiraciste et anti-impérialiste car demain au nom de la stricte lutte contre l’islamophobie, pourquoi refuser la main tendue du pouvoir, voire de collaborer avec lui dans l’oppression d’autres peuples ou d’autres minorités présentes en France ?

En tant qu’héritiers de luttes qui nous ont façonnés, notre devoir est de poursuivre nos combats dans cette jungle politique où amis et ennemis parfois se confondent sauf si nous parvenons à sauver nos boussoles. Aussi, à la question, de quoi l’islamophilie d’Askolovitch est-elle le nom ?, nous répondons sans hésitation qu’elle est le visage soft de la contre-révolution coloniale.


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