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«Les Blancs souvent ne voient pas la dimension raciale»

Interview de Ronald W. Walters, professeur et ancien militant des droits civiques :

Professeur émérite de l’université du Maryland, auteur de plusieurs livres, Ronald W. Walters est un observateur engagé de l’histoire et la politique afro-américaine. Ancien militant des droits civiques, il a dirigé la campagne présidentielle de Jesse Jackson en 1984.

L’Amérique aurait-elle finalement du mal à accepter un Président noir?

Oui, je crois que Carter a raison lorsqu’il dit qu’une partie du pays est raciste et ne peut accepter un président afro-américain. Différentes études estiment à 30% environ la part des Blancs qui éprouvent de l’animosité envers les Noirs. Mais cela a beaucoup diminué ces dernières générations. Aujourd’hui il n’est pas à la mode d’être ouvertement raciste.

Craignez-vous que l’élection d’Obama ravive les tensions entre races ?

Oui, il y a des gens mal à l’aise avec le fait d’avoir un Président noir. Ce n’est pas vraiment à cause d’Obama car des incidents racistes, il y en a sans cesse de toute façon: des Noirs tués ou brutalisés par des policiers, des Noirs chassés d’un magasin au seul motif qu’ils sont noirs… Dans le Sud profond, il existe encore des endroits où les Noirs savent qu’ils ne doivent pas aller. Mais Obama offre maintenant un prétexte. Certains Blancs sont vraiment très en colère. Ils n’auraient jamais imaginé vivre ce moment. Ils se sentent dépossédés politiquement et sont pleins de ressentiment. Jamais un Président n’a reçu autant de menaces de mort.

Le racisme américain semble très chargé d’Histoire : l’esclavage, la guerre de Sécession… C’est sa spécificité?

Oui, cela nous distingue des pays européens qui n’ont pas connu l’esclavage. La justification de l’esclavage, c’était la supériorité des Blancs. Et l’esclavage a perduré dans certaines régions jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, si ce n’est les années 1960. A la fin du XIXe siècle, dans le Sud, un tiers des Noirs ont été remis en esclavage : ils étaient attachés à un maître ou un créancier dont ils ne pouvaient se libérer. L’idée principale, c’est l’infériorité du Noir : tu es inférieur à moi et pour cela je ne t’aime pas. Je n’estime pas ce que tu fais, ce que tu donnes à la nation.

Vous qui avez participé au mouvement pour les droits civiques, vous devez sentir que l’Amérique a fait un chemin énorme?

Bien sûr, j’ai 72 ans et une grande expérience du racisme. Quand j’étais enfant, au Kansas, les Noirs ne pouvaient pas manger dans certains restaurants. Nous nous sommes battus pour la déségrégation des chaînes de restaurants. Ensuite, quand j’ai vécu à Nashville, au Tennessee, il y avait encore des distributeurs de boissons ou des toilettes réservés aux Blancs. Tout cela a complètement changé.

L’élection d’Obama fait-elle évoluer les relations entre races aux Etats-Unis ?

Non, on s’est demandé si cette élection marquerait l’avènement d’une Amérique post-raciale. Je pense que non. La race est ancrée dans la culture américaine. L’électorat d’Obama est blanc à 60%. Mais 55% des Blancs ont voté pour Mc Cain, et 45% seulement pour Obama. Les Blancs souvent ne voient pas la dimension raciale, ils ne veulent pas en discuter. Chaque fois qu’on soulève la question de race, les Blancs sentent qu’on les met en accusation, ils ne veulent pas en parler. Mais il faut en parler pour résoudre le problème.

Les démocrates, comme Carter, ne cherchent-ils pas à relancer le débat sur la race pour faire diversion de la passe difficile que traverse l’administration Obama?

Oui, toute critique n’est pas forcément raciste bien sûr. Mais pour moi, le racisme est bien une réalité, que je vis 24 heures sur 24. Même ici à Washington, si je me poste à côté de vous dans la rue pour attraper un taxi, il s’arrêtera pour vous, pas pour moi. Il y a beaucoup de racisme en coulisses, qui n’apparaît guère au grand jour. Les banques par exemple imposent souvent des taux plus élevés aux Noirs qui veulent emprunter. En Virginie occidentale, certains hôtels te donneront une chambre de standard inférieur si tu es noir.

Barack Obama lui-même ne semble guère empressé de parler du problème des races. Pourquoi ?

Il veut tenir le sujet à distance pour ne pas être accusé de favoritisme envers les gens de couleur. Pour cela, il ne sera sans doute pas très utile à la communauté noire. Il a un effet symbolique, il est une inspiration pour les enfants. Les professeurs peuvent dire: regardez jusqu’où vous pouvez aller. Mais les leaders noirs n’osent pas trop pousser en avant leurs revendications, pour ne pas lui nuire. Et les problèmes noirs sont effrayants. D’ici l’an prochain, 20% des Noirs pourraient être au chômage, ce qui signifierait un tiers des Noirs dans la pauvreté. Il faut relancer l’affirmative action (promotion des minorités ou des groupes défavorisés, ndlr). On ne peut pas en rester au niveau du symbole.

Lorraine Millot

SOURCE : Libération

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