Trio fatal

Le ministre, l’intégration et l’identité française.

Les propos de Brice Hortefeux immortalisés par une caméra de la chaîne Public Sénat et diffusés par Lemonde.fr éclairent la conception de l' »identité nationale » qui prévaut dans l’entourage proche de Nicolas Sarkozy. Derrière une façade politiquement correcte magnifiant la « diversité », ils révèlent à quel point les stéréotypes coloniaux, l’idée d' »inassimilabilité » qui jalonne l’histoire de l’immigration en France et une vision biaisée de la société française, façonnent l’univers du ministre de l’intérieur.

Quiconque a visionné la fameuse séquence a pu se convaincre qu’il ne s’agissait ni d’une conversation privée ni d’un quiproquo. Quant à l’humour, l’intéressé en a balayé lui-même l’hypothèse. « Il n’y avait de ma part aucun humour, ni au premier ni au second degré« , a-t-il déclaré à Libération. Ce sont bien des Français d’origine maghrébine dont parle le ministre de l’intérieur lorsque, à propos d’Amine Benalia-Brouch, un militant de l’UMP qui souhaite être pris en photo à ses côtés, il remarque : « Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. » Quel sens aurait d’ailleurs pareille remarque si elle visait les Auvergnats, comme l’intéressé l’a suggéré ?

Les « regrets » exprimés lundi 14 septembre par M. Hortefeux devant le Conseil français du culte musulman résonnent d’ailleurs comme un aveu pour celui qui, deux jours plus tôt, affirmait que « pas un mot dans (son) propos ne visait une communauté particulière« .

Les paroles lancées à Seignosse, elles, reflètent d’abord la confusion, au sein de l’exécutif, entre apparence physique, patronyme, intégration douteuse et religion. Fût-il militant sarkozyste, un homme prénommé « Amine » et au physique maghrébin est nécessairement perçu comme « musulman ». La toute première question qui se pose quand on l’aperçoit, est celle de son « intégration ». Peu importe si une militante a précisé qu’il « est catholique, mange du porc et boit de la bière » pour le rendre présentable. « Amine » est l’exception qui confirme la règle.

Le ministre semble adhérer à cette conception : « Il correspond pas du tout au prototype« , remarque-t-il avant de prononcer la phrase désormais célèbre. Cette façon de renvoyer l’autre à une différence insurmontable – porter un prénom maghrébin, c’est attirer le soupçon de non-intégration – tout en magnifiant les individus exceptionnels – « un, ça va » – qui ont franchi le pas et vraiment choisi le camp de la France, renvoie au fonctionnement du système colonial.

Si la grande masse des indigènes, anciens combattants compris, n’était pas jugée digne de la pleine nationalité française (« quand il y en a beaucoup…« ), la métropole a toujours distingué une infime minorité d' »assimilés » jouissant de prérogatives étendues et montrés en exemple. Ainsi, dans l’Algérie française, les musulmans formellement français n’avaient pas le droit de voter dans le même « collège » que les colons européens. Entre 1865 et 1962 seule une infime minorité de 7 000 musulmans d’Algérie (ils étaient 9 millions en 1962) bénéficiait intégralement des droits liés à la nationalité française.

Qu’un demi-siècle après les indépendances, des jeunes Français aux prénoms musulmans dont les pères et parfois les grands-pères sont nés en France, soient encore sommés de fournir les preuves de leur allégeance (« manger du cochon« , « boire de la bière« ), que collectivement ils continuent d’être perçus comme « des problèmes » par un ministre de l’intérieur, témoigne du poids d’une histoire coloniale mal assumée.

Mais la phrase de M. Hortefeux renvoie aussi à l’idée d' »inassimilabilité » qui a souvent servi de prétexte à l’exclusion des allogènes, les « bicots » étant, dès les années 1930, en tête de liste, devant les « polacks » (Polonais) et les « macaronis » (Italiens). La figure de l' »Arabe de service » comme celle du « bon Juif » traverse, elle aussi, l’histoire comme pour justifier le racisme à l’égard du plus grand nombre.

Si elle flatte l’extrême droite, cette vision de l’intégration au compte-gouttes mise en oeuvre par M. Hortefeux au « ministère de l’immigration et de l’identité nationale » ne correspond pas à la réalité. En dépit des discriminations, les réussites sociales et professionnelles d’enfants et petits-enfants d’immigrés n’ont plus rien d’exceptionnel dans la société française. Etre musulman et français n’est plus considéré comme une anomalie. Pour sept Français sur dix, « les Français musulmans sont des Français comme les autres » (sondage CSA de 2008). Et 60 % des musulmans français se considèrent « autant comme français que comme musulmans« , taux le plus élevé en Europe.

Mais les responsables politiques de tous bords, à force de répéter depuis deux décennies que « l’intégration est en panne » et de justifier cette fausse évidence par des considérations d’ordre religieux et culturel plutôt que par leurs propres échecs économiques et urbanistiques, ont enclenché une machine infernale. Leur discours encourage le repli identitaire et la marginalisation sociale. Pour les jeunes Maghrébins visés, le « Un ça va. Mais beaucoup, bonjour les dégâts ! » de M. Hortefeux ne résonne-t-il pas d’abord comme un message d’exclusion et de défiance ?

Philippe Bernard

SOURCE : le Monde

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