En défense du MRAP

Le mauvais procès fait au Mrap, réponse à Hugues Serraf

« Le Mrap dérape ! », clamait il y a quelques jours le « vaticinateur » de Rue89, Hugues Serraf. Magie du slogan, miracle de la rime. A quoi s’ajoute le pouvoir métaphorique du verbe déraper, dont la tonalité « involontaire » (en général, on dérape sans le faire exprès) évoque paradoxalement l’idée d’une faute majeure : c’est en franchissant la ligne jaune ou en sortant des clous que certains irresponsables se rendent coupable des pires catastrophes…

Mais qu’a donc fait le Mrap ? Son crime : avoir ajouté Causeur.fr à la liste noire des sites recensés dans son rapport sur Internet et le racisme.
Autre expression forte et lourdement chargée de sens : reprocher à quelqu’un de « faire des listes » ou de « dresser des listes » suffit aujourd’hui pour charrier tout un cortège d’images : délation, rafles, Papon, Vel d’hiv, etc.
Le Mrap n’en serait d’ailleurs pas à son premier forfait, ce dernier dérapage n’étant que l’ultime épisode d’une longue série de précédents que ses contempteurs se sont fait fort de dénoncer de longue date.

Le Mrap « pro-arabe » vs la Licra « pro-israélienne »

Le contentieux est né dans les années 70, lorsque le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix s’est transformé en Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples. Les décennies ont pourtant vu le Mrap réputé « pro-arabe », et la Licra « pro-israélienne » continuer à faire cause commune.
Ce conflit qui couvait a éclaté au grand jour à l’automne 2000, lors du déclenchement de la seconde intifada. Le 7 octobre, à Paris, des cris de « morts aux juifs » sont lancés lors d’une manifestation pro-palestinienne.
Peu importe que les auteurs de ces cris n’aient été qu’une poignée, ni que le Mrap ait immédiatement condamné ces débordement ; le refrain a depuis été repris en boucle : le Mrap participe à des manifestations où l’on crie « morts aux juifs ». Il a valu à Arno Klarsfeld et à Gilles-William Goldnadel d’être condamnés pour diffamation.
Aggravant son cas, le Mrap entend également combattre l’islamophobie, concept récusé en tant que tel par une cohorte d’intellectuels (Taguieff, Fourest, Rioufol, Redeker…). Le Crif s’est joint à ce procès à charge en publiant sur son site un « dossier » prouvant que le Mrap trahirait désormais la cause de l’antiracisme, notamment par ses critiques trop vives de la politique israélienne…

Pas une liste noire, mais un document précis et prudent

C’est dans ce contexte lourdement plombé que le Mrap a mis en ligne au mois de novembre dernier un épais rapport de 155 pages intitulé « Internet, enjeu de la lutte contre le racisme ».
La lecture de ce document un peu indigeste peu s’avérer fastidieuse ; mais qu’il soit tout de même permis de louer le travail du Mrap qui s’est attaché à recenser non pas seulement des sites (d’extrême droite ou d’ailleurs), mais l’ensemble des mouvances et des courants de pensée susceptibles de favoriser un éventuel discours raciste, quelle qu’en soit la forme (anti-noir, anti-juif, anti-arabe) et le discours-alibi avancé.
C’est à ce titre que le Mrap, qui a pris soin de préciser d’emblée que la mention d’un site dans cette étude n’impliquait pas forcément qu’il soit raciste, a ajouté à cette recension qui se veut la plus large possible (on y trouve effectivement des sites d’extrême droite classique racistes et antisémites, mais aussi des sites islamistes et « antisionistes ») une analyse serrée du sens précis de certains mots parfois délicats à manier : sionisme, antisionisme, islamophobie, communautarisme, néo-conservatisme, etc.
Et partant donc de la possibilité que le courant néo-conservateur puisse, dans certains cas, favoriser un éventuel discours raciste, le Mrap a effectivement mentionné Causeur.fr pour dire seulement que le contenu de ce site, contrairement à d’autres mentionnés dans le même chapitre, n’appelait aucune observation particulière.
En quoi le Mrap aurait-il dérapé ? La mention de Causeur.fr n’était peut-être pas absolument nécessaire. De là à la considérer comme une mise à l’index sur une liste noire ou une délation…

Contre Boniface et Enderlin, Causeur n’a pas retenu ses coups

D’autant que le Mrap s’est en réalité montré plutôt gentil avec Causeur.fr, évitant d’appuyer là où ça pouvait faire mal ; probablement parce que certains des dérapages les plus graves commis par le site d’Elisabeth Lévy risquaient d’être un peu hors-sujet dans une étude consacrée au racisme.
Encore que l’instrumentalisation d’un pseudo-antisémitisme, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une chasse à l’homme, pourrait fort bien y avoir sa place. Il y a un peu plus d’un an, Causeur.fr ne négligea en effet aucun effort pour prendre sa part dans la campagne haineuse et diffamatoire contre Pascal Boniface (blogueur sur Rue89, ndlr), en le faisant passer pour antisémite tout en refusant de lui accorder un droit de réponse.
Je sais gré à Rue89 de m’avoir ouvert ses colonnes pour me permettre de prendre sa défense. Voilà par ailleurs bientôt deux ans que Causeur.fr s’est joint à la meute de ceux qui trainent France 2 et Charles Enderlin dans la boue en les accusant d’avoir participé à une mise en scène en diffusant, en septembre 2000, le reportage de la mort d’un enfant palestinien.
Elisabeth Lévy s’est catégoriquement refusée -je peux en témoigner- à ouvrir les colonnes de son site à ceux qui souhaitait faire valoir un point de vue contraire à celui des accusateurs de France 2 et Enderlin.
Le Mrap aurait donc pu avoir de très bonnes raisons de souligner que Causeur.fr n’est pas un site toujours respectable. En se contentant de dire que son contenu n’appelait pas d’observations particulières, il aurait donc « dérapé » ?
On a du mal à comprendre. A moins que cette sentence lapidaire n’ait eu pour dessein que de masquer l’essentiel : en recensant comme antisémites des sites islamistes ou se réclamant de l’antisionisme, le rapport du Mrap apportait un démenti cinglant au mauvais procès en « islamo-gauchisme » qui lui est fait depuis des années.

par Guillaume Weill-Raynal

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