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Le masque noir de Barack Obama ne fait plus illusion pour Tariq Ali

Obama se présente comme la figure du Noir sympa affecté par la discrimination raciale – telle qu’il la raconte dans les souvenirs d’une enfance habilement mise en scène – mais trop ambitieux pour pouvoir saisir le mal à la racine : encore doit-il plaire et emporter l’adhésion de la majorité, ce qui implique évidemment quelques compromissions avec le pouvoir.

Tariq Ali souligne notamment le fait qu’Obama ne remet nullement en cause l’alliance de la politique et de l’argent qui innerve complètement la démocratie américaine : c’est l’argent des grandes entreprises – et non le suffrage des électeurs – qui permet l’accession à la présidence. Obama se contente de suivre. Il n’est que la “forme la plus inventive que l’empire ait su donner de lui-même” comme l’écrit Tariq Ali dans une phrase saisissante.
De la même façon, la First Lady Michelle Obama impute aux pauvres la responsabilité de leur obésité : c’est selon elle la négligence parentale des parents noirs et non pas l’entreprise des géants de l’industrie alimentaire, la vraie responsable de cette maladie qui frappe les plus démunis. Pourtant, le chercheur Thomas Robinson, directeur d’un pôle de l’école de médecine de Stanford a prouvé l’effet dévastateur de la publicité, une propagande déployée à vaste échelle pour écouler des stocks de junk-food et faire de juteux profits aux dépens de la santé publique : “Les gens veulent accuser les parents mais les parents n’ont pas des milliards de dollars à dépenser en contre-publicité” conclut le chercheur dans un propos rapporté par Tariq Ali.

La deuxième partie de l’essai aborde notamment la position d’Obama vis-à-vis d’Israël, dans la droite lignée de ses prédecesseurs :

La position d’Obama à l’égard d’Israël était claire avant même sa prise de fonction. Le 27 décembre 2008, l’armée israélienne lança une attaque aérienne et terrestre massive contre la population de Gaza. Bombardements, incendies et meurtres se succédèrent sans interruption pendant 22 jours sans que le président désigné ne prononce la moindre syllabe de reproche. Tel-Aviv mit fin à l’attaque quelques heures avant la cérémonie d’investiture le 20 janvier 2009 pour ne pas gâcher la fête. Obama avait alors déjà mis Rahm Emanuel, doberman ultra-sioniste de Chicago, ancien volontaire de l’armée israélienne, au poste de secrétaire général de la Maison Blanche”.

Après avoir mentionné le massacre des humanitaires sur la flottille Mavi-Marmara, Tariq Ali conclut que les “objectifs israéliens ont été (…) bien intégrés depuis longtemps comme une seconde nature” par l’administration américaine. Il aborde ensuite les zones de guerre qui constituent le front principal de l’Empire : l’Irak notamment et l’Afghanistan. Il consacre quelques pages à déconstruire le discours pseudo-féministe de la gouvernance américaine, soulignant – preuves à l’appui – la stratégie d’instrumentalisation des femmes en vue du projet colonial. L’auteur cite ainsi un mémorandum confidentiel rédigé pour la CIA : “Les femmes afghanes pourraient être les messagères idéales pour humaniser le rôle de la FIAS (Force Internationale d’Assistance de Sécurité)”. Sihem Habchi, si elle n’avait pas mis toute son intelligence dans sa jupe, tirerait profit à se référer à cette page 91 – elle qui pourrait être la messagère idéale pour humaniser le rôle du sarkozysme!

Tariq Ali montre également que le sort de l’Afghanistan est lié à celui du Pakistan puisque ces deux Etats constituent une zone de guerre unique pour les Américains – l’Afpak. Il analyse la position du Pakistan étranglé par la puissance impérialiste qui se flatte du soutien d’autres pays : “Comme Obama aime à le répéter, il n’y a pas moins de quarante-deux pays qui lui prêtent main forte pour que sa minable marionnette continue de danser à Kaboul” – allusion à Hamid Karzaï. Alors que sur le terrain, se multiplient les dommages collatéraux, Obama brasse de l’air avec sa bouche et continue de vendre du rêve aux plus crédules :

Au Caire, à West Point, à Oslo, le monde a eu droit à une série d’homélies exaltantes, chaque discours étant truffé des euphémismes les plus énormes que les plumes de la Maison Blanche aient pu réunir pour décrire la mission rayonnante de l’Amérique dans le monde et avouer modestement l’humilité et le sens du respect et de la responsabilité avec lesquels elle la mène à bien.

Vu de France, on ne peut qu’être surprise et déçue par la façon dont des Noirs, des Musulmans, des personnes issues des quartiers populaires, ont succombé à cette entreprise de charme impérial en acceptant l’invitation de l’ambassade américaine à Paris et souvent, en saluant même cette initiative. Est-ce la preuve d’un aveuglement naïf frôlant la bêtise ou d’une ambition aussi dévorante que mal assumée ? Ces individus, s’ils sont de bonne foi, doivent lire le texte de Tariq Ali et tirer les conclusions qui s’imposent. Si en revanche, ils ne sont pas de bonne foi, qu’ils prennent clairement conscience que nous ne sommes pas dupes de leurs manoeuvres et que nous y résisterons.

La troisième partie du livre aborde enfin le “front intérieur”, soulignant le contraste entre l’absence de volonté politique réelle et la présence de petits gestes spectaculaires compatissants. Ali rappelle le taux disproportionné d’incarcération des Afro-américains et observe la soumission d’Obama aux intérêts économiques privés, notamment dans le domaine de la santé publique.

La loi sur la santé qui fut finalement adoptée est une capitulation totale devant le ‘caractère américain’ et les compagnies d’assurance, les géants de la pharmacie, les hôpitaux à but lucratif et les spécialistes de soin de luxe. Les lobbies pour tous ces secteurs avaient beaucoup d’amis – républicains et démocrates – au Capitole, où la corruption est légale.

Et ce n’était pas faute en 2003, d’avoir prononcé des discours plus radicaux que jamais devant un parterre de syndicalistes. La privatisation des profits des entreprises crée ainsi une jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est en effet le jackpot assuré aux deux niveaux – que l’on reconstruise Bagdad ou la Nouvelle-Orléans : exit le bien public !
Pour clore sa démonstration, Tariq Ali cite la formule élégante du sioniste de Chicago, Rahm Emanuel : les critiques de gauche d’Obama seraient, tout simplement, de fucking attarded – “une bande de putain d’attardés”. La finesse de l’argument est ici comparable à celle déployée par l’armée israélienne dans le dialogue par plomb durci interposé.

En conclusion, ce court essai très documenté offre des pistes d’analyse pour saisir les mensonges de l’administration américaine et son instrumentalisation de la race qui lui permettent de poursuivre son projet impérialiste par d’autres moyens. Le produit reste le même, seul l’emballage a changé. La démonstration d’Ali nous prémunit également contre les tentatives françaises calquées sur les fausses promesses d’Obama – qui sacrifient le bien commun et la solidarité aux paillettes entrepreunariales et à la réussite individuelle.
Au final, comme Paul Nizan, Tariq Ali est un trouble-fête lucide qui nous dit : “Ne croyez pas au Père Noël” – fut-il Noir comme vous l’êtes.

Princesse de Clèves, membre du PIR

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