La Palestine ne sera vraiment libre que quand l’Afrique le sera

Il y a quelques jours Israël a commémoré le 70e anniversaire de sa création, ce que les Palestiniens nomment la Nakba. Un acte de brigandage international sous l’égide de l’ONU consistant en la tentative de destruction de la Palestine arabe. Une cérémonie qu’Israël a voulu célébrer de façon encore plus sinistre cette année avec un nouveau bain de sang commis à Gaza en même temps que se déroulait l’ouverture glauque de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.

De tout le monde occidental sont parvenus éloges et félicitations pour un anniversaire que tous considèrent comme un exploit historique. Une manière pour l’Occident de se féliciter lui-même car après tout Israël c’est bien son rejeton. Mais regardons y de plus près, de quel genre d’exploit Israël peut-il s’enorgueillir ?

 

Un exploit politique ? 

Plus qu’une simple connivence civilisationnelle, Israël est devenu effectivement ce qu’Herzl proposait d’en faire : la sentinelle avancée de l’Occident en Orient. Et ce sur les décombres de la Palestine arabe mais aussi sur celle du judaïsme traditionnel, après des siècles de pratiques antisémites européennes. Un Etat revêtant tous les attributs de la modernité : une forme d’État-nation à base éthnico-religieuse, un racisme colonial épurateur, un expansionnisme belliqueux, une approche européo-centrée du cadre naturel palestinien transformé en une sorte de Disneyland pour touristes étasuniens en mal d’exotisme.

 

Un exploit militaire ? 

Avoir réussi avec le soutien politique mais aussi militaire des plus grandes puissances impérialistes dominant l’ONU en 1947/48 y compris l’URSS à chasser de sa terre et à écraser militairement au prix d’une violence inouïe un peuple dont il a rasé plus de 500 des villages et quartiers pour l’empêcher de revenir ? Songeons à la résolution 194, dite du droit au retour, jamais respectée par Israël alors qu’elle était une des trois conditions sine qua non de son admission à l’ONU en janvier 1949.

 

Un exploit économique ? 

Une économie de spoliation dopée par les gigantesques subsides accordées chaque année par l’Oncle Sam mais s’appuyant à la base sur tout ce qui a été pillé en Palestine en 47/48, terres, banques, voies ferrées, routes, villes entières construites sous l’empire ottoman puis sous l’occupation britannique, avec le labeur palestinien, la fiscalité palestinienne, bénéficiant de scandaleux accords commerciaux préférentiels avec l’Union européenne ?

Loin des clichés mensongers, l’agriculture israélienne, intensive, polluante, destructrice de la nappe phréatique, contrairement à la ridicule légende des kibboutz a toujours été déficitaire par rapport à l’agriculture palestinienne traditionnelle.

Mais il ne sert à rien de se plaindre à l’infini, qu’Israël viole le droit international, que c’est un Etat illégal, qu’il n’a pas respecté près de 50 résolutions contraignantes de l’ONU et au moins 150 non contraignantes, depuis 1948, que c’est un État criminel, dont tous les dirigeants auraient dû se retrouver depuis longtemps à la cour pénale internationale pour finir leurs jours en prison.

Et puisqu’un hommage appuyé a été rendu lors du Bandung du nord aux martyrs tombés au cours des marches du retour de Gaza, il nous faut en finir avec une approche essentiellement doloriste de la résistance palestinienne. En effet, cessons de voir la Palestine seulement comme une terre de souffrance. Cette terre de lutte et d’espoir est un miracle de résistance qui nous comble de fierté.

Le poète Jean Genet écrivait au début des années 70 parlant de la lutte palestinienne, « d’emblée j’en reconnus la note juste ».

En effet dans une lisibilité politique parfaite sans jamais céder sur ses principes et sa dignité, le peuple palestinien, depuis le début du colonialisme sioniste a résisté et survécu à tous les massacres, à toutes les guerres impérialistes et régionales, à la destruction des deux 1ères générations de ses cadres. En dépit de 3000 opérations extérieures dont se vante le Mossad, qui ont abouties à l’assassinat par Israël depuis 1948 de milliers de militants et à la perte de la 3e génération de dirigeants palestiniens, Arafat, Abou Iyad, Abou Jihad, Fathi Chaqaqi, Cheikh Yassin, malgré le maintien en prison sur sa terre ou en exil, d’un peuple de 10 millions de personnes, dont 5 millions d’exilés ou de réfugiés dans des camps à l’intérieur et à l’extérieur, Israël est toujours aussi impuissant à étrangler sa résistance qui narguant l’adversité, vit, étudie, travaille, meurt mais se bat toujours.

Et il se bat avec de plus en plus de conviction de génération en génération. Avec tout ce qu’il trouve, des balles, des couteaux, des pierres et même maintenant des cerfs-volants d’attaque porteurs de cocktails molotov. Et puis aussi des gifles quand il le faut. Songeons à celle que la jeune Ahed a administrée à un soldat israélien, en fait une gifle bien méritée infligée par là même à la totalité de cet État ! Un acte courageux payé de plusieurs mois de prison pour une jeune fille de 15 ans. Mais une petite avance, un tout petit avant-goût de ce qui attend Israël, nous l’espérons.

Toujours est-il que ce peuple sait admirablement panser ses plaies, renouveler sans cesse ses cadres tombés martyrs et ses méthodes. La résistance palestinienne aujourd’hui, malgré les assassinats de nombre de ses ingénieurs et techniciens est en mesure pour se défendre de fabriquer des drones, des missiles dont la portée ne cesse de croître. En dépit de tous ses moyens scientifiques Israël n’arrive pas à venir à bout des tunnels de Gaza, toujours plus perfectionnés. Et chaque vendredi les snipers israéliens qui distribuent la mort, certes, font de nombreuses victimes mais voient à travers les lunettes de leur fusil de précision l’amertume de leur défaite inscrite en lettres de feu dans le regard de ces jeunes garçons et filles désarmés mais indomptables. Préfiguration de la défaite finale d’Israël et de tout le système impérialiste.

En effet, depuis près d’un siècle, ce n’est pas un simple colonialisme qu’affrontent les Palestiniens mais l’impérialisme dans toutes ses dimensions. C’est cela que l’Occident veut lui faire payer, son refus de disparaître.  Le peuple palestinien est un peuple qui aurait dû être anéanti mille fois comme les Tasmaniens, les Araucans, les Arawaks, les Héréros de Namibie, etc. Tous quasi génocidés.

La Palestine libre ennemie absolue de l’impérialisme car rebelle absolue, est pour une bonne partie de l’humanité, une métaphore pour dire résistance. Si sa lutte est radicale c’est par nature. Non pas par l’importance de ses moyens, dérisoires en comparaison mais par sa détermination, sa justesse, sa clarté, sa dignité.

De cette lutte palestinienne, le poète Kateb Yacine a écrit : « Il faut que notre sang s’allume. Et que nous prenions feu. Pour que s’émeuvent les spectateurs. Et pour que le monde ouvre enfin les yeux. Non pas sur les dépouilles. Mais sur les plaies des vivants ».

De fait c’est par effraction que le peuple palestinien est entré sur la scène internationale et qu’il a osé défié l’impérialisme. John Foster Dulles, secrétaire d’Etats-Unis, disait après 1948, en parlant des réfugiés palestiniens, « les vieux mourront, les jeunes oublieront ».

C’est pourquoi pour ne pas disparaître ce peuple a dû recourir à des moyens inédits. Des détournements d’avions, des prises d’otages afin de secouer la complicité du monde occidental dans son drame. Ils avaient un but, rappeler au monde que se débarrasser de ce peuple ne serait pas si facile.

Pour comprendre l’implication d’une telle résilience il nous faut revenir sur ce qu’est l’impérialisme.

L’impérialisme n’est pas qu’une politique expansionniste, c’est le système de domination hégémonique qui s’étend à l’entièreté de la planète ayant à sa tête les États-Unis et l’UE. Ce système a sa cohérence, il comprend un certain nombre de chaînons principaux et d’autres secondaires. Chacun ayant une fonction particulière. Toute remise en cause de son hégémonie sur un de ses chaînons risque d’ébranler la cohérence et la discipline générale de tout le système.

C’est pourquoi cette mise en échec permanente d’Israël par la simple existence et la lutte du peuple palestinien aussi peu armé qu’il soit est dangereuse et inadmissible pour l’impérialisme. Israël qui détient la force brutale, n’a pas et n’aura jamais la légitimité tant que le peuple palestinien résistera. D’où son acharnement.

Si l’impérialisme forme une chaîne, les résistants du monde entier également forment une longue chaîne de solidarité. En attendant que les temps changent et qu’évoluent les rapports de force mondiaux, il est de la plus grande importance, pour tous les peuples en lutte, que résiste le peuple palestinien. Dans une dialectique magnifique, les peuples en lutte, même sans le savoir portent un fardeau collectif. Tant que tient le peuple palestinien d’autres peuples sont encouragés à tenir. Et réciproquement, s’il y a d’autres peuples en lutte, le fardeau du peuple palestinien, ce peuple témoin de la faillibilité impérialiste, s’en trouve allégé et du coup la perspective de la libération pour tous se précise.

Le peuple palestinien a ainsi un besoin vital qu’aboutissent les autres révoltes contre le système impérialiste, particulièrement en Afrique, terre d’exploitation essentielle aux pillards impérialiste, eux-mêmes en concurrence.

Mandela a dit, « la libération de l’Afrique ne sera pas totale sans la libération de la Palestine ». Nous pouvons lui retourner le compliment, la lutte palestinienne ne saurait se passer de la libération de l’Afrique du joug des puissances qui l’oppriment. Compte tenu de la nature commune des ennemis de l’Afrique et de la Palestine. Ce n’est pas un hasard si dès le début du xxe siècle le mouvement sioniste eut des relations intimes avec le mouvement colonial qui allait donner l’apartheid en Afrique du sud. Le dirigeant sioniste historique Chaïm Wezmann éprouvait beaucoup de sympathie pour le général Smurt et Cecil Rhodes lui-même. Israël a contribué à maintenir au pouvoir nombre de dictatures pro-occidentales d’Afrique. C’est pourquoi, l’ONU dans les années 70 a condamné plus d’une fois conjointement le racisme sioniste et le racisme d’apartheid, ces frères jumeaux. C’est pourquoi ANC et OLP ont multiplié leurs marques d’amitié mutuelles.

C’est pourquoi encore la victoire pour la Palestine résultant d’un affaiblissement général de l’impérialisme dans la région de l’orient arabe ne peut qu’être que concomitante à celle de l’Afrique.

Le peuple palestinien est un aigle qui refuse d’abdiquer de son envergure, nul ne pourra jamais le contraindre à une vie de reptation. Dans cette longue guerre d’attrition, c’est celui des deux, Israël ou la Palestine, qui aura le souffle le plus long, qui l’emportera, pas nécessairement celui qui aura la force brutale. Les Palestiniens comme la plupart des peuples du tiers monde, sont taillés pour la course de fond, il y a bon espoir.

Mahmoud Darwish à propos du massacre du village de Kafr Kassem par l’armée israélienne en 1956 a écrit, « les coups de mon ennemi m’ont appris que je pouvais marcher sur mes blessures et je marche et je marche ».

Marchons aux côtés du peuple palestinien, jusqu’à Jérusalem, pour sa libération et pour celle de l’Afrique aussi. L’apartheid d’Afrique du sud est tombé, l’apartheid sioniste tombera !

 

Youssef Boussoumah, membre du PIR

Intervention prononcée le 5 Mai 2018 au Bandung du Nord, lors de la plénière « Combattre l’impérialisme ».

 

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