Autonomie

La nécessité de l’autonomie politique indigène. La preuve par la « gauche enfin à gauche »

Cinquante cinq personnalités politiques et intellectuelles de gauche, pour beaucoup très sympathiques et courageuses, viennent de lancer un appel, intitulé « L’Alternative à gauche, organisons-là ! », dans lequel elles déclarent vouloir s’engager dans la « refondation d’une politique d’émancipation » et « redonner majoritairement le ton à gauche ». Constatant les « volontés hégémoniques » de la « majorité dirigeante du Parti socialiste » et ses « tendances au renoncement social-libéral », les signataires en appellent à « l’affirmation d’une gauche enfin à gauche. »

« Qui n’oublie plus la nécessité de redistribuer les richesses. Qui soit en phase avec les aspirations des salariés, avec ou sans papiers, des quartiers populaires, des jeunes. Qui conjugue urgence sociale, urgence démocratique et urgence écologique. Qui permette au peuple d’exercer sa souveraineté dans tous les domaines. Qui place l’égalité entre hommes et femmes au coeur de son projet. Qui milite pour un nouveau mode de production et de consommation, soutenable et respectueux des équilibres écologiques. Qui promeuve la construction d’une autre Europe et des rapports de codéveloppement avec le Sud. Qui devienne, ce faisant, une véritable force.»

Je me mêle peut-être de ce qui ne me regarde pas mais, quand même !, je m’interroge. Comment cela se fait-il que cet appel ne fasse aucune allusion au racisme ? Pourquoi alors qu’il « place l’égalité entre hommes et femmes au cœur de son projet », n’évoque-t-il pas également la lutte contre les discriminations raciales ? Pourquoi l’immigration n’y apparaît-elle qu’en passant, à travers la question des « salariés, avec ou sans papiers » ? Pourquoi les injustices à l’égard des nouvelles générations issues de l’immigration ne sont-elles pas mentionnées (à moins que ce ne soit de manière subliminale à travers les « quartiers populaires »…) ? Pourquoi cet appel fait-il l’impasse sur la « françafrique » et se contente de parler de promotion des « rapports de codéveloppement avec le Sud» ? Pourquoi n’y-t-il rien sur la politique étrangère de la France, son allégeance croissante aux intérêts américains, son soutien à Israël, etc. ? Pourquoi n’y a-t-il pas un mot sur les actuelles colonies françaises ? Pourquoi la « majorité dirigeante » du PS est-elle critiquée juste sur ses « volontés hégémoniques » et ses « tendances au renoncement social libéral » et non sur l’ensemble de ses politiques sur les questions formulées précédemment ?

On est d’autant plus en droit de s’étonner que les rédacteurs de l’appel ont pris soin de préciser que « faute de prendre en compte l’apport des mouvements sociaux et citoyens ayant émergé depuis plusieurs années, le champ des possibles demeurera inévitablement limité : aucune force constituée ne peut rassembler autour d’elle seule. » On pouvait donc supposer qu’ils n’omettraient pas « l’apport » des mouvements qui se sont mobilisés contre le racisme ; ou ceux de l’immigration et des populations qui en sont issues. La surprise est d’autant plus grande que, parmi les 55 signataires, nombreux ont soutenu ces luttes et ont pris des positions fort justes et audacieuses sur les questions que j’ai soulevées. Certains parmi eux ont même signé l’Appel des indigènes en 2005 et – sauf Clémentine Autain – ont résisté aux multiples pressions qui se sont exercées sur eux.

Alors que s’est-il passé depuis ? Le racisme aurait-il diminué au point de n’être plus une question fondamentale de la politique française ? Les immigrés se seraient-ils vu reconnaître le droit à ne plus vivre dans la crainte, la précarité et la privation de leurs droits ? Leurs enfants auraient-ils enfin conquis l’égalité réelle qu’ils revendiquent ? Ben non, on s’en doute. Bien au contraire. Sarkozy a été élu pour faire de leurs vies un enfer et il tient ses promesses. Alors ? Alors, on se dit que, décidément, pour s’unifier, la gauche ou la « gauche enfin à gauche » doit s’interdire de soulever les problèmes qui nous concernent au premier chef. Si on avait encore des doutes sur le fait qu’il fallait nous défendre nous-mêmes et constituer notre propre parti politique, eh bien, cet appel conçu par des militants souvent très proches de nous, est là pour nous enlever toute hésitation.

Par souci d’honnêteté, j’ai voulu en savoir plus et, comme si j’étais un bon journaliste, j’ai réalisé un entretien imaginaire avec un signataire imaginaire et néanmoins représentatif. Je vous livre, sans modifications aucunes, ses réponses pour que vous vous fassiez une opinion en toute objectivité.

Question : Je trouve votre critique du PS plutôt prudente. Qu’en pensez-vous ?

Réponse : Il faut bien que la gauche s’unisse ! Et l’unité de la gauche vaut bien quelques sacrifices. D’abord, il faut pas taper trop fort sur le PS parce que, quand même, on fait partie du même camp et, en face, y a Sarko. Il faut juste dénoncer sa volonté « d’hégémonie », c’est-à-dire que le PS, il tienne pas compte de nous, les antilibéraux. Et puis, on doit cibler seulement sa « majorité », c’est-à-dire sa direction actuelle. Ya plusieurs dizaines milliers d’élus socialistes, s’agirait pas de les effrayer ! De toutes façons, on pourra jamais gouverner sans eux et qui ne gouverne pas – même avec le PS – n’obtient rien, c’est bien connu.

Question : J’ai remarqué quelques lacunes dans votre appel concernant, par exemple, le racisme, l’immigration et les populations qui en sont issues. Comment expliquez-vous cela ?

Réponse : Ah, je suis pas étonné. Vous, les Indigènes de la République, vous voyez que la moitié du verre qu’est vide. Mais je vais vous répondre franchement. Pour rassembler les gens, il faut mettre de côté les problèmes qui fâchent. Le racisme, on aurait pu le mettre, on a juste oublié. C’est pas grave, on le mettra plus tard. Vous devriez, d’ailleurs, être plutôt contents ; on n’a pas cédé à ceux qui voulaient qu’on introduise dans l’appel la défense de la laïcité parce qu’on sait qu’aujourd’hui celle-ci est toujours invoquée contre l’islam. On n’a pas non plus célébré les « valeurs de la République » parce que ça fait trop chevènementiste. Les autres questions, c’est trop délicat, ça fait pas consensus, on peut même pas les évoquer avec des formules creuses parce que y a trop de divergences. Mais, moi aussi, j’aurais voulu qu’on en parle, sauf qu’on peut pas ; y en a que ça gêne. Si c’était moi, on aurait même dénoncé l’héritage colonial. Eh, pas comme vous, bien sûr ! Pour vous, même quand y pleut, c’est colonial ! Mais, c’est vrai qu’y a encore des images qui traînent dans nos têtes qui datent de l’époque coloniale. Blanchard, il l’a dit… C’est votre référence ?

Question : Pas que je sache… Mais, maintenant, c’est nous qui posons les questions. Vous prévoyez un « grand rendez-vous » en septembre. Vous auriez peut-être pu décaler de quelques mois votre calendrier et lancer l’appel plus tard pour avoir le temps d’en discuter plus, non ?

Réponse : Non. Parce qu’y a plein de mobilisations sociales, ces temps-ci. Des luttes, des grèves, et tout. C’est le bon moment pour dire qu’il faut une alternative antilibérale à gauche. On sait pas de quoi demain sera fait. Et puis, il nous fallait lancer vite notre appel, parce que Besancenot, il est passé chez Drucker et son projet risque de capter des gens sur qui on compte. On n’avait pas le temps de poser les problèmes qui posent problème… De toutes façons, un appel ça doit être court, on peut pas tout mettre, on a mis juste ce qui concerne tous les Français sans exception ! Ce qui est fondamental, quoi !…

Question : Le racisme ne concerne-t-il pas tous les Français ?

Réponse : Si, si, bien sûr ! Mais vous savez bien qu’on est contre le racisme. On est de gauche donc on est anti-racistes, non !?

Question : Vous dites vouloir constituer une nouvelle force de gauche capable de rassembler autour d’elle. Pensez-vous qu’il est possible de rassembler les populations issues de l’immigration autour d’une force qui occulte les problèmes du racisme ?

Réponse : On les occulte pas, on n’en parle pas, c’est tout ! Et puis je vous ai déjà dit : on est antiraciste, on a même marché avec les sans pap ! Et les Français issus de l’immigration, d’ailleurs, ils sont français, ce qui les intéresse d’abord, c’est le chômage, les salaires, le démantèlement des acquis sociaux et nous on est antilibéraux, c’est pour ça qu’il faut qu’ils nous fassent confiance. De toutes façons, c’est la gauche ou Sarkozy, c’est vite vu ! C’est pas le moment de se diviser ! Le principal, c’est la dynamique…

Question : Et la dignité ?

Réponse : ???

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