Une "image grossie" du spectacle colonialiste : "On n'est pas couché"

Ils se sont couchés

Disons-le tout de suite: nous n’attendions rien d’une telle émission bien sûr ! Nous savions bien que Natacha Polony (du Figaro) et Audrey Pulvar (de France télévision) adoptent toujours, certes en variant le ton, le même point de vue en faveur de tous les dominants. Nous n’étions pas dupes au point de croire que leur patron, l’animateur-producteur Laurent Ruquier, pouvait ne pas être systématiquement du même côté.

Une seule question peut éventuellement se poser: pourquoi voir une telle émission ? Pourquoi un Indigène, un pauvre, une femme, un-e quelconque dominé-e, peut-il perdre son temps et s’infliger un spectacle si pourri, où forcément, à un moment ou un autre, un-e des invité-e-s, un des présentateurs finira toujours par nous insulter, nous, notre famille ou notre peuple ?
Masochisme ? Perversité ? Curiosité malsaine ?

Non, pour ceux qui en ont la curiosité, ce type de spectacle, parfaitement archétypal, est aussi (comme Michel Onfray pour la « philosophie télévisuelle » par exemple) une véritable « image grossie » rendant parfaitement ostensible la vérité de la pensée dominante. Même si les dominés en ont déjà souvent parfaitement conscience (sachant bien que ces gens des médias et du show-business nous détestent), il peut être néanmoins intéressant d’en suivre les évolutions, dans la mesure où le degré de bêtise, de saloperie, de larbinerie qu’on s’y permet, varie tout de même en fonction du contexte socio-économique et culturel: le diagnostique, l’état des lieux qu’on peut y établir sont de bons indicateurs de l’état d’avancement de la contre-révolution coloniale – exactement comme l’analyse des pourritures racistes des années 1930 en Europe, pouvait en effet rendre compte de l’état de perméabilité des sociétés de l’époque, aux politiques et aux propagandes les plus inhumaines.

Nouveaux avatars, vieilles rengaines

Qu’à-t-on vu, qu’à-t-on entendu ce jour-là dans une émission du service public français ? A quelques mois des élections présidentielles, où l’UMP au pouvoir, le PS et le FN – auxquels se soumettent presque tous les autres partis sur ce point – semblent tout à fait d’accord pour mettre « la question musulmane » au centre des débats racistes.
Rien de neuf ?
Si: le degré d’avancement des procédés colonialistes !

Face au candidat d’un parti anti-capitaliste (M. Poutou du NPA), la journaliste du Figaro, Natacha Polony voulut à tout prix revenir sur une question cruciale à ses yeux: l’islam, la laïcité, le foulard, Ilham Moussaïd etc – bref, elle avait visiblement très envie de parler des immigrés, des Arabes, des Musulmans, des Indigènes… Dans un laïus débile, elle répéta encore une fois toujours les mêmes clichés sur le « vrai sens du foulard », l’islamisme et compagnie.
Rien de neuf en effet à ce stade.
Aidée de sa collègue noire qui cherche parfois à se faire passer pour une personne consciente des rapports de domination structurant l’ordre social, on n’entendit rien de plus que d’habitude.

Qu’en est-il du candidat anticapitaliste ?
Un monsieur ressemblant à un canular, se laissant donner la leçon islamophobe par les chroniqueuses de l’émission…assistées ce jour-là du plus grand philosophe de la télé, j’ai cité: Michel Onfray !

Pourtant monsieur Poutou, comme un gentil élève en échec scolaire, a fourni tous les efforts possibles: il a lu des livres ! Il les a même appréciés. Et en a été convaincu ! Et qu’a-t-il lu ? Chahdortt Djavann ! Vous savez cette militante iranienne anti-islam que les médias adoraient (elle a été à l’automne 2003 une des personnalités les plus souvent invitées à la télévision) et dont presque tous les journalistes dominants vantaient les mérites: puisque c’est une femme iranienne, elle sait de quoi elle parle lorsqu’elle nous faisait tous passer pour des professionnels de la lapidation. C’est donc ça la grande référence es islam de Monsieur Poutou…

S’il n’avait rien lu, ç’aurait été mieux.
Et au fond, si ce qu’il exprima sur le voile ce jour-là était certes très mal dit et qu’en effet, le personnage ne semble pas très à l’aise à la télé, ça n’avait objectivement rien de plus bête que ce que disent presque tous ses collègues politiciens plus aguerris au discours médiatique: c’était certes très très bête, mais franchement pas plus ! Peut-on lui en vouloir ? Il n’a même pas su défendre les prolétaires blancs, comment aurait-il pu défendre les indigènes ?

Michel Onfray fut égal à lui-même. Même discours anti-islam que d’habitude. Avec toujours autant de bêtises, de mensonges et de sophismes. Mais avec une variante tout de même. Pour éviter de paraître raciste, il a toujours cherché à faire croire aux naïfs (ou aux vicieux en quête de stratégie de camouflage) que sa détestation de l’islam s’incorporait à un rejet global de toutes les religions au même titre etc.
Notre religion, quand même, avait toujours une mention spéciale dans l’expression de ce qu’il abhorre, ne vous inquiétez pas, ne soyez pas déstabilisés hein, histoire de bien donner des gages à ses lecteurs islamophobes.
Là, la stratégie de brouillage des pistes (genre « je ne suis pas spécialement raciste-islamophobe, je suis opposé à toutes les religions… ») s’est exprimée de manière bien plus lâche que d’habitude. Lui le partisan d’un « soutien sans réserve » à Redecker (le philosophe islamophobe que toute la France a soutenu lorsqu’il a répandu sur nous les pires insultes racistes), lui qui se prétend défenseur de la liberté d’expression etc, pense quand même que la pièce de théâtre manquant de respect au dieu des chrétiens n’est pas du meilleur goût – et que c’est pas bien de faire des choses comme ça…bref, comme un bon soldat de l’ordre blanc, tant qu’on s’en prend à l’Islam, Michel Onfray n’aime pas les religions et milite pour qu’on ait le droit d’insulter les croyants. Mais quand c’est des chrétiens, là c’est pas bien.
Là encore, rien d’étonnant: ce que l’on note tout de même, c’est le degré de relâchement de l’expression de la haine, son caractère de plus en plus décomplexé.

Exposition coloniale

Non, le plus triste pour moi fut de voir mobilisée ce soir-là toute une équipe d’indigènes bien soumis, histoire de bien valider les horreurs qu’on débitait sur eux, sur leurs parents et sur tout leur peuple. Une actrice arabe très jolie, très polie, qui a un peu protesté lorsqu’on a stigmatisé les femmes voilées, s’est très vite corrigée, elle s’est tue, elle a bien regagné la place qu’on lui avait assignée: « sois belle et tais toi, joue dans des films colonialistes, prend ce qu’on te donne et laisse les hommes blancs parler, c’est eux qui savent »: Michel Onfray a pu nous assommer avec ses poncifs islamophobes sans que personne ne puisse lui signaler les débilités qu’il crachait sans honte.
Puis ce fut le tour du beau et sympathique Omar Sy, tout fier du rôle qu’on venait de lui attribuer dans un film grand public promis à un certain succès populaire: il n’a pas arrêté de remercier tout le monde, comme un miséreux à qui l’on vient de sauver la vie en lui octroyant l’aumône. Quel honneur ! Un premier rôle aux côtés de François Cluzet, vous vous rendez compte ? Ça mérite bien quelques compromissions, non ?
Alors lui aussi, après avoir dit merci à tout le monde, a bien fini par se plaindre, très poliment, vous inquiétez pas, mais quand même, en face, là, ils exagéraient avec leur conception de ce qu’ils appellent « la laïcité » qui signifie trop clairement « rentrez chez vous les Musulmans: cachez cette altérité que nous créons mais que ne saurions voir ».
Il s’est donc plaint Omar. Il a dû se rappeler que dans sa famille, parmi ses amis etc, y a sûrement des Musulmans qui ne méritent pas le traitement indigne que cette émission, devant lui, leur réservait. Mais que faire ? Ces dominants qu’il venait de remercier pour tous leurs bienfaits, risquaient de le punir,de lui retirer tout ce qu’ils lui avaient donné si généreusement.
Alors il ne poussa pas plus loin, et à lui aussi, Michel Onfray fit un cours, en lui expliquant bien doctement que lui, Michel Onfray, est un vrai philosophe antiraciste etc
Etait-il nécessaire Omar d’aller jusqu’à ajouter que le problème de l’éducation nationale, c’est qu’il n’y a pas assez de Michel Onfray ? Quand même…
Non, je t’assure, c’était pas la peine d’aller jusque là: déjà, parce que quitte à se soumettre, autant se taire, ne rien dire…aller jusqu’à affirmer l’inverse du réel, c’est trop ! Moi aussi, visiblement comme toi, j’ai étudié en ZEP, et je sais bien qu’un des problèmes de l’Education Nationale, en plus du manque de moyens, de la casse du service public etc, c’est précisément l’inverse: non pas qu’il n’y aurait pas assez de Michel Onfray, mais bien au contraire, un des problèmes majeurs de l’Education Nationale, une des catastrophes de ce ministère, c’est qu’il y a trop de Michel Onfray, beaucoup trop de cuistres islamophobes sexistes pédants nullards et prétentieux.

Mais là où tu aurais dû spécialement faire un effort Omar, c’était lorsque la chroniqueuse du Figaro, Natacha Polony, qui venait de nous humilier, t’a demandé de danser.
Tu te rends compte ? Toi, le comique noir. Qui a essayé de répondre quand on a insulté la religion de ta famille, la religion de ton peuple ? Quand les autres ont eu le temps, le loisir de bien parler de nous… À quoi t’ont-ils assigné ?
« Danse ».
Et tu as dansé pour elle. Le sourire aux lèvres.
Franchement, j’avais honte.
Je pensais à ces mots du poète:

« Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.
Il était COMIQUE ET LAID,
COMIQUE ET LAID pour sûr. » (Aimé Césaire)

Oui, j’avais honte, car tu étais comique et laid, toi qui en temps normal n’es pourtant pas moche du tout. Le regard colonialiste sur toi…t’a enlaidi. Le spectacle colonial t’a enlaidi.
Il nous enlaidit tous.

Lalla Fatma M’semeur

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