Campagne Contre la Négrophobie et l'Islamophobie à Marseille

Houria Bouteldja : « Il est nécessaire de souligner le caractère historique des racismes que l’on vit aujourd’hui »

A un an et demi des élections présidentielles et à une période où la guerre médiatique et langagière est déclarée, le Parti des Indigènes de la République a choisi de lancer une vaste campagne de mobilisation contre l’islamophobie et la négrophobie. Lancée en novembre dernier, elle a aussitôt suscité la curiosité et le débat. Samedi à Marseille, les Etats généraux de l’islamophobie et de la négrophobie, ont en effet attiré la foule, venue témoigner ou débattre autour de ces problématiques. Les intervenants n’étaient autres que Samy Debah, président du collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Houria Bouteldja, porte parole du PIR et Emmanuel Semanou, président de l’association Survie 13. Leurs avis sont unanimes : « décoloniser la République », en dénonçant « le racisme d’Etat » et les discriminations dont sont victimes les citoyens français de couleur noire ou de confession musulmane. En attendant « l’égalité réelle », la lutte se poursuit contre la banalisation de l’islamophobie et de la négrophobie, « devenues des réalités criantes dans notre pays ».

Prendre en main le débat ou ne pas se laisser prendre au leurre d’un certain débat qui ne cesse de prendre de l’ampleur à quelques mois des prochaines élections présidentielles ? Le Parti des Indigènes de la République a choisi d’anticiper la course folle de 2012 dont fait sans cesse écho, l’actualité brûlante de ces derniers mois. Les Assises de l’islamisation en passant par les propos de Marine Le Pen, ayant comparé les prières de rue des musulmans à une forme d’ « occupation » et les incontinences langagières d’un certain nombre de politiques, laissent transparaitre une nouvelle guerre médiatique qui fait l’ « inquiétude » d’Houria Bouteldja, porte parole du PIR. « On devine d’avance que ces questions (islamophobie et négrophobie, ndlr) seront au centre des élections présidentielles. C’est pourquoi on cherche à faire émerger une autre parole. Celle qui ne va pas émaner des grands médias et des partis politiques et qui est une parole de défense préventive des populations qui vivent dans les quartiers populaires et en particulier des populations d’Afrique et du Maghreb qui seront les premières cibles des offensives médiatiques et politiques » a-t-elle résumé.

« La victoire de la justice sur l’arbitraire »

Ces offensives médiatiques et politiques prennent déjà de l’ampleur commente quant à lui, Samy Debah, président du collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui constate une multiplication des blogs racistes et islamophobes qui se font les relais d’« une propagande laïque ». Une propagande qui serait selon lui, soutenue par le gouvernement à l’origine du « vote des lois discriminantes à l’égard des musulmans mais aussi des Rroms et des personnes de couleurs ». Le CCIF a été crée en 2003 au moment des débats autour de la loi interdisant le voile à l’école et de la mise en place de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité. Pour faire reculer l’islamophobie, « devenue une réalité criante dans notre pays », le CCIF a choisi d’engager des requêtes devant les tribunaux. Des tribunaux qui leur ont alors donné raison. « Jusqu’à présent, nous avons eu 100% de réussite pour tous les recours effectués. Ce n’est pas la victoire du CCIF. C’est la victoire de la justice sur l’arbitraire » a-t-il commenté.

Emmanuel Semanou : « Le racisme en France, ce n’est pas le racisme populaire. C’est le racisme de l’Etat et du système »

Un arbitraire dont sont aussi victimes les personnes de couleurs. Pour Emmanuel Semanou, président de l’association Survie 13, la négrophobie est inscrite dans la pensée et dans le système colonial depuis la traite négrière. « On nous a jamais considérés comme des êtres humains. ( …) La marche des noirs en France est par exemple qualifiée de marche tribale » s’est-il indigné, persuadé que les Français ne sont pas racistes contrairement aux élites situées au sommet de l’Etat. Selon lui, « le racisme vient du système à l’image du discours de Dakar qui émane de l’Elysée », alors censée garantir l’égalité pour tous. Le défi est donc de taille. Pour Samy Debah, la France doit faire un choix entre « une société sclérosée d’apartheid à l’image de celle qu’a connue l’Afrique du Sud, ou bien l’idéal républicain où les libertés individuelles sont protégées et où toutes les croyances sont respectées ».(…) La haine de l’autre n’a jamais apporté de prospérité à une société ».

Une affiche de campagne qui divise ?

Le Parti des Indigènes de la République pousse l’analyse un peu plus loin et va jusqu’à dénoncer un racisme post-colonial anti-noirs, anti-maghrébins et anti-musulmans. Selon la porte parole du PIR, ce sont « trois évidences » que symbolisent les trois personnages qui illustrent l’affiche et dont le regard est tourné vers l’avenir. « On a choisi les personnes que nous considérons comme les plus discriminées » explique Houria Bouteldja. Parmi elles, c’est « la fille voilée qui va subir le plus d’assauts islamophobes, qui va être montrée du doigt dans la rue, qui sera interdite de plus en plus, d’entrer dans des espaces publics pour accompagner ses enfants, c’est elle qui est accusée par Finkielkraut ou par « Ni Putes, Ni Soumises » d’être une islamo-fasciste etc… ». Puis on a mis deux « hommes basanés » parce que ce sont eux qui sont les plus pointés du doigt par les discours racistes, plus que les filles. Les filles, elles, sont gentilles et sympas quand elles veulent bien s’émanciper quand elles veulent bien enlever leur foulard. Elles sont intégrables mais les mecs ne sont jamais intégrables quand ils sont noirs et arabes. Ils sont sexistes, homophobes, antisémites, ils sont violents etc. (…) » ironise-t-elle. « Il y a tout un discours sur les hommes en particulier qui a fait que nous avons choisi de mettre deux hommes au lieu de deux femmes. Ceux qui sont les plus contrôlés par la police sont les noirs et arabes ».

Si cette affiche suscite autant le débat c’est qu’elle est un détournement de l’ancienne affiche de propagande de l’empire colonial où figurent « un arabe, un noir et un asiatique ». Pourquoi avoir choisi de la détourner ? Pour la porte-parole du PIR, il était nécessaire de « souligner le caractère historique des racismes que l’on vit aujourd’hui. C’est-à-dire que la question coloniale est toujours présente sous d‘autres formes et qu’on en a pas terminé avec l’européocentrisme et l’esprit impérial. Il semblait également qu’il était à la fois important de souligner le caractère et la filiation historique de notre présence et de notre condition en France, tout en soulignant la nécessité de poursuivre ce combat parce qu’il n’est pas terminé ».

« Une communauté de condition, de vécu et d’expérience »

Autre reproche. « On nous a dit : c’est communautariste ». A cela, elle réplique que les trois personnages n’appartiennent à aucune communauté « si ce n’est à une communauté de vécu et d’expérience. A une communauté de condition, de discriminations raciales et sociales en France. Les trois vivent les mêmes expériences sociales » lance-t-elle avant d’appeler à la solidarité et la construction de l’unité des discriminés mais aussi à la responsabilisation du reste de la société. Une société qui « ne doit pas être indifférente à ces racismes spécifiques qui font des discriminés » et qui engendrent : violences physiques, rejet, exclusion, brimades et atteinte à la dignité, « encouragés par un racisme d’Etat ». C’est pourquoi le racisme concerne tout le monde. « Nous disons donc au reste de la société : « Et vous ? Qu’en pensez-vous ? » Etes-vous solidaire de cette question ? ». C’est là que les blancs peuvent intervenir. Comment ? « En touchant à la nation ».

En effet, sur l’affiche, le slogan « Touche à ma nation » est un pied de nez à l’appel « Touche pas à ma nation » lancé par Bernard Henry-lévy et SOS Racisme dans le quotidien Libération où ils reprochaient à Nicolas Sarkozy de détruire la nation et le mythe républicain. « Nous, on dit le contraire. On doit se donner le droit de la transformer dans un sens d’égalité et de justice. La nation telle qu’elle existe est discriminatoire, elle a des privilégiés, des castes » s’indigne la porte parole du Parti des Indigènes de la République.

Samy Debah : En France, « le taux de suicide catastrophique et tout ce qu’on trouve à faire, c’est de taper du musulman (…) »

Les taux d’injustices et de discriminations en France sont entretenus par un certain nombre d’outils médiatiques qui préserve une ambiance électrique, quasi explosive. Pour Samy Debah, les médias ainsi que les instituts de sondage ont une part de responsabilité non négligeable. L’un des derniers sondages est « une honte ». « Pensez-vous que l’islam progresse trop dans notre pays ? ». « Les réponses font froid dans le dos » souligne le président du CCIF consterné d’apprendre que la « la majorité des français pense que l’identité française est en danger ».

L’urne pour sanctionner l’islamophobe ?

En France, « le taux de suicide est catastrophique et tout ce qu’on trouve à faire, c’est de taper du musulman parce qu’on sait que ça rapportera plus le jour des élections » s’est-il indigné car selon lui, ce sont ces types de sondages qui construisent les débats et les projets politiques. Malgré tout, Samy Debah reste persuadé que les discours politiques peuvent changer, seulement si les citoyens des quartiers populaires pèsent dans les urnes. Mais pour qui voter ? C’est la question qui revient souvent chez les jeunes des quartiers populaires « qui vivent la désillusion de la république ». « Ceux qui nous veulent du tord vont changer s’ils voient qu’on pèse » rétorque le président du CCIF.

En attendant, la mobilisation des citoyens musulmans de France n’est pas à la hauteur des espérances. Houria Bouteldja se dit même déçue du manque d’implication de ceux qui sont censés être les premiers concernés. Les Assises sur l’islamisation en ont mobilisé seulement 300 d’entre eux dans une salle qui comptait en tout, 1000 personnes. Dans le public, les avis divergent. Mourad Goual, ancien élu UMP préfère, « avant d’aller taper chez les autres, régler, nos problèmes entre nous (entre la communauté, ndlr). Qui n’a pas connu le kabyle qui ne veut pas d’un oranais, d’un tunisien ou d’un marocain. Y’a pas de mal à se dire que nous aussi on est négrophobe, islamophobe, raciste. C’est un signe d’émancipation si on le reconnait. » (…) résume-t-il, provoquant immédiatement l’opposition de certains auditeurs.

« Nous avons droit de prétendre à l’égalité. On est comme tout le monde. La communauté n’est pas homogène. Pourquoi faire ce mea-culpa. Je ne vois pas pourquoi on devrait essayer d’atteindre cet idéal. On a le droit d’être comme nous sommes et de revendiquer le droit à l’égalité » souligne une militante du PIR-Marseille. Haouaria Hadj-Chikh, conseillère d’arrondissement (PCF) à Marseille trouve à son tour, le discours de Mourad Goaul « pénible à entendre ». « Penser d’abord qu’il faille, pour avoir la liberté, faire son mea-culpa et dire regardez : je suis un bon français dans le critère que vous avez établi aujourd’hui, je trouve ça pénible à faire vivre aux gens. C’est inacceptable. L’action doit forcément arriver de nous. Il faut utiliser toutes ces maltraitances pour pouvoir réveiller les gens sur la question sociale. Si on arrive à faire ça, je pense, que la garantie de culte ou toutes initiatives quelconques, passeront normalement. »

« Il faut du racisme pour justifier la françafrique, la colonisation de la Palestine et le quadrillage des banlieues (…) »

A cette critique s’ajoute celle d’Houria Bouteldja qui affirme que « ça n’est pas une question de racisme. On ne se situe pas au niveau des individus qui ne s’aiment pas les uns, les autres. C’est du chauvinisme, c’est du provincialisme, c’est tout ce qu’on veut, mais ça n’est pas du racisme. Le racisme est un système de domination » à l’image du code noir et du code de l’indigénat. « C’est une histoire dont on ne sortira pas en faisant simplement des campagnes sur les changements de mentalités » de la communauté, réplique-telle à Mourad Goual. (…)

« Le problème c’est : « quels sont le moyens que l’Etat met à sa disposition pour réprimer des populations entières et habituer l’opinion publique à la répression à venir ? La conditionner pour accepter notre situation. « Ni Putes Ni Soumises » est un outil à la solde de l’Etat pour habiter l’opinion française à comprendre que les mecs de quartiers sont violents, sont sexistes (…) pour que la bonne opinion respectable considère « normal », le jour où ils seront réprimés, le jour où on passera à la répression lourde. ( …) Il faut du racisme pour justifier la françafrique, la colonisation en Palestine et il faut aussi du racisme pour justifier le quadrillage du ministère de l’intérieur autour des banlieues. Ce sont des politiques d’Etat » insiste la porte parole du PIR.

Ce sont autant de politiques qui s’éloignent des principes fondateurs de la république, a notamment souligné un membre du public qui n’attend rien de « l’égalité des chances ». C’est « l’égalité réelle » que les citoyens français aimeraient voir appliquer dans le pays des Droits de l’Homme. C’est pourquoi les prochaines élections cantonales et présidentielles seront « déterminantes pour l’avenir des musulmans dans notre pays » a notamment insisté le président du CCIF qui conseillent aux « musulmans d’intervenir lors des débats à venir afin qu’ils rappellent que les principes fondants notre pays, doivent aussi s’appliquer lorsqu’il s’agit des musulmans. »

N’acceptez jamais qu’on pense à votre place » ajoute Emmanuel Semanou. « J’aime cette France qui vient de parler » conclu une auditrice.

L’un des moments forts de cette campagne de mobilisation contre l’islamophobie et la négrophobie sera la marche des indigènes de la république le 8 mai 2011. Le départ se fera à 15h, Métro Barbès à Paris.

Henda Bouhalli

Med’in Marseille

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