Entretien

Elie Domota : « le LKP est un mouvement anti-raciste »

Chien Créole : Elie, avant toutes choses, où en es-tu avec le procès que le procureur prétend vouloir t’intenter pour « incitation à la haine raciale » ?

Elie Domota : Pour l’instant, je n’ai eu écho d’aucune suite judiciaire, mais ça ne me surprend qu’à moitié : je ne pense pas que le procès soit leur véritable objectif. Comme le LKP est un mouvement extrêmement populaire, le moyen le plus facile qu’ils ont trouvé pour essayer de le décrédibiliser, c’est de diaboliser un de ses représentants. Les journalistes du Figaro peuvent s’en donner à cœur joie, avec Frédéric Lefebvre comme chien de garde. Ça ne mange pas de pain. Ce que je regrette, c’est que pas un politique, en dehors de ceux faisant partie du LKP, n’aie eu le courage et l’honnêteté de prendre ma défense, pas plus que quand on nous a traité de « tontons macoutes ». Les deux seuls à s’être exprimés sur le sujet sont Victorin Lurel et Mme Borel Lincertin,… pour trouver mes propos « inacceptables »… Et pourtant, ils voient bien que ce que nous cherchons à obtenir, c’est la justice sociale. Le LKP est un mouvement anti-raciste : nous dénonçons des discriminations, prônons l’égalité pour tous, cette même égalité que le système actuel bafoue au quotidien en Guadeloupe. Pour certains, ça fait de nous des racistes ! C’est le monde à l’envers, le comble de la manipulation !

Chien Créole : Et où en est-on avec l’accord Bino ?

Elie Domota : Grosso-modo, les grandes entreprises ont presque toutes signé. 43 000 salariés sont d’ores et déjà assurés d’obtenir les avantages de l’accord Bino, aussi bien dans les secteurs de l’agroalimentaire, du bâtiment, que de l’industrie sucrière, ou de l’automobile, en passant par la plupart des grands hôtels, etc. En fait ceux qui ne voulaient pas signer, les gros patrons du MEDEF, signent.

Ceci dit, le 3 avril, le ministère du travail doit proposer un décret pour l’extension de l’accord Bino. On a entendu ce que pense le MEDEF de la version signée le 26 février et on sait l’influence que cette organisation a sur le gouvernement. On s’attend donc à une modification, peut-être vont-ils chercher à supprimer la clause de convertibilité(La clause de convertibilité : clause qui assure la pérennité des 200 euros, qui devront être payés intégralement par les patrons après les trois premières années d’application de l’accord.)].

CC : Si ça se produit, à quoi faut-il s’attendre ? Repartira-t’on dans une grève générale ?

ED : S’ils torpillent l’accord, ça veut dire qu’on aura deux niveaux de salaire, ceux qui toucheront les 200 euros et les autres. Tu penses que les salariés qui seraient concernés par l’extension de l’application de l’accord accepteraient ça ? Si ça arrive, ceux qui n’étaient pas syndiqués vont se syndiquer. Aujourd’hui, il y a une trentaine de grèves en Guadeloupe. C’est beaucoup déjà. S’ils amputent l’accord Bino, il y aura des grèves partout. La seule arme dont nous disposons, nous travailleurs, c’est la grève. On ne veut que l’accord Bino mais tout l’accord Bino.

CC : Oui mais justement, l’accord Bino n’était censé ne concerner que le secteur privé. Or, on voit des conflits se développer dans le secteur public pour demander son application (le port autonome, la poste, etc.) Est-ce que le LKP soutient ces conflits ?

ED : Oui, ces demandes s’inscrivent dans la démarche du LKP et nous les soutenons totalement. Dès le départ, nos revendications concernaient tous les salariés ayant un contrat de droit privé, que leur employeur soit du public ou du privé. Nous n’avons pu négocier que pour ceux du privé, non pas que ça ait été un oubli de notre part, au contraire, on avait demandé que ça concerne aussi ceux du public, mais par faute de représentants des employeurs publics aux négociations. Ceci dit, note bien que les 100 euros de l’Etat pendant trois ans et les 50 euros des collectivités territoriales pendant un an, s’appliquent déjà de fait à ces salariés, du moins ceux qui gagnent moins de 1,4 fois le SMIC. Juridiquement et administrativement, nous n’avons pas pu les inclure dans la première signature de l’accord, mais il est tout à fait légitime qu’ils se battent pour l’obtenir à présent. D’ailleurs, plusieurs organismes publics ont déjà signé, comme la SIRAD, l’ONF ou plus récemment le Port Autonome.

CC : Et les contrats aidés ?

ED : Ils se trouvent dans la même situation. On essaye de trouver des solutions les concernant avec la Région. Il y a déjà eu plusieurs réunions. J’ai bon espoir pour eux.

CC : Et pour ce qui est des minimas sociaux (RMI, chômage, etc) et les retraites, où est-ce qu’on en est ? Parce que eux aussi subissent cruellement la vie chère !

ED : On a fait des propositions à l’Etat mais nous n’avons pas encore de réponse. Nous réaborderons le sujet le 15 avril.

CC : Pourquoi le 15 avril ?

ED : Ce jour-là, nous avons rendez-vous à 15h00 avec le préfet pour une commission de suivi qui se tiendra en présence de quatre délégués du LKP, quatre représentants de l’Etat et quatre autres des collectivités territoriales.

CC : Toute à l’heure, tu disais que la seule arme du LKP, c’est la grève. Mais on a vu que, comme dans l’hexagone d’ailleurs, des actions plus radicales ont été menées. Je pense notamment au patron de la sucrerie Gardel qui a été séquestré par ses employés.

ED : Ecoute, on n’arrête pas d’entendre Fillon ou Parisot s’égosiller qu’ils trouvent les méthodes du patronat inacceptables (stocks options, licenciements alors que l’entreprise fait de juteux bénéfices, etc). Que ceux qui reprochent aux ouvriers leurs méthodes demandent déjà aux patrons de faire le ménage chez eux. Je trouve que les travailleurs sont trop gentils. Trop c’est trop ! Depuis quelques temps, j’entends parler de capitalisme à visage humain. L’autre jour, Sarkozy a parlé de capitalisme moral. Mais ça ne peut pas aller ensemble ! Pas plus tard qu’hier, j’écoutais à la télévision un dirigeant dire que pour lui, la crise était une aubaine. Quand une entreprise s’effondre, il la rachète et il revend les parts ou les actions quand ça repart. Ce sont les mêmes qui spéculent sur le prix du blé ou du riz et ne vendent que lorsque la pénurie a fait monter les prix de façon exorbitante. Qu’importe si des millions de personnes doivent crever de faim… Le capitalisme est un système basé sur l’exploitation et la barbarie. Ce n’est pas avec des commentaires ou des mesurettes qu’on arrêtera l’exploitation et le vol des travailleurs.

CC : Dans la présentation par la presse des participants aux Etats-Généraux, je n’ai pas trouvé trace de membres du LKP. Comment est-ce possible ?

ED : L’UGTG a reçu un courrier par fax très bref, envoyé par le préfet Samuel, pour nous inviter à une réunion le surlendemain « dans le cadre des Etats Généraux ». Aucun ordre du jour, aucune mention des autres organisations invitées, rien. Je sais que certains sont adeptes de la réunionite mais moi, une convocation comme ça, ça ne me paraît ni clair, ni important. Nous avons choisi de ne pas nous y rendre. Par la suite, nous avons appris que cinq syndicats avaient été invités ce jour à des horaires différents afin de nous consulter. Le préfet Samuel, dêpéché par Sarkozy m’a appelé. Je lui ai demandé : « Pourquoi voulez-vous dépecer le LKP, en ne convoquant que quelques organisations ? Si il y a des Etats Généraux, c’est bien parce qu’il y a eu le LKP… » Il m’a assuré qu’il ne l’avait pas fait dans cet esprit.

CC : Mais concrètement, qui a décidé du thème de chacun des huit ateliers de travail qui ont été annoncés dans la presse ?

ED : Lors de sa conférence de presse du 18 février, Nicolas Sarkozy avait déjà annoncé cinq des huit thèmes retenus. C’est ça qui est formidable. Il prétend nous préparer une autonomie (que le LKP n’a jamais demandée) mais c’est depuis Paris que sont décidés les points qui soit disant nous intéressent. Il y a là une contradiction évidente : on est toujours dans la logique coloniale, paternaliste. En réalité, c’est surtout l’occasion pour l’Etat de faire passer un certain nombre de mesures qu’il essaye de nous imposer depuis quelques années.

CC : Comme ?

ED : Comme l’Association de Promotion du Dialogue Social, par exemple, avec tout un système de médiation avant le déclenchement des grèves, pour tâcher de trouver un accord à l’amiable entre patrons et salariés.

CC : Ça me paraît plutôt pas mal.

ED : Oui, sauf que depuis qu’il existe en Martinique, on a jamais vu autant de licenciements. Ils vont essayer aussi de nous caser plusieurs choses comme l’Institut Régional du Travail par exemple.

CC : Selon toi, qu’est-ce qu’il y aurait lieu de faire ?

ED : Avant de parler de « rénovation du dialogue social », nous, tout ce qu’on demande à l’Etat s’il veut éviter les conflits au sein des entreprises, c’est tout simplement de faire respecter le code du travail en Guadeloupe !

CC : Le LKP ne va donc pas participer aux Etats généraux ?

ED : Vendredi et samedi, on va en débattre et on prendra une position officielle sur cette question ; mais mon sentiment, c’est que c’est un attrape-nigaud : tout est plié d’avance. Ou ils n’ont pas entendu, ou ils font mine de ne pas avoir entendu ce que le peuple guadeloupéen a demandé pendant 44 jours… C’est comme si ttu as besoin de chaussures. Tu chausses du 44 et on te donne du 42. Comme c’est trop petit, on coupe deux centimètres au bout. Tu as les orteils à l’air mais tu peux dire qu’on t’a donné des chaussures… Il faut arrêter d’adapter des politiques pour au contraire proposer des politiques adaptées. Si on veut répondre aux attentes de la population, il faut se placer avec les deux pieds bien posés en Guadeloupe, voir quels sont nos potentiels, nos faiblesses et de là proposer quelque chose de constructif.

CC : Pour conclure, comment vois-tu l’avenir du LKP ?

ED : Le LKP a été une expérience concluante. Il faut à présent que les guadeloupéens s’organisent là où ils sont, dans les communes ; qu’ils se regroupent en associations et s’impliquent dans la résolution des problèmes qu’ils rencontrent, sans peur de parler et de faire des propositions. En tant que LKP, nous pouvons accompagner cet effort. Et puis il nous faut aussi continuer à expliquer que les 200 euros, c’est pas pour aller pousser des caddies ou acheter de grosses voitures. Il faut s’orienter vers les productions locales et faire preuve d’audace au niveau de la création si on veut un vrai développement de la Guadeloupe. Aujourd’hui, la Guadeloupe est une terre de consommation. Nous devons maintenant porter nos efforts sur la production. Les banques et les collectivités territoriales peuvent permettre ce nouvel essor. Le LKP accompagnera les projets qui verront le jour.

FRédéric Gircour

SOURCE : [Chien Créole

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