Berlin

« Décoloniser l’université » : les points de vue d’Houria Bouteldja et de Ramon Grosfoguel développés à la Humbolt Universität, Berlin

Le 26 Octobre 2011, le Georg Simmel Zentrum et l’Institut d’Ethnologie Européenne de l’Université Humboldt de Berlin ont invité la militante Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR) pour entamer une discussion à partir de son texte « Au delà de la frontière BBF ». Ce texte avait été le point de départ de débats intéressants dans des groupes de recherche et des séminaires à l’université Humboldt, ce qui donna naissance à l’idée d’organiser une rencontre intitulée « Décoloniser l’université occidentalisée ».

Dans cet objectif, le professeur Ramon Grosfoguel de l’université de Californie-Berkeley (qui était déjà venu à l’Institut européen d’ethnologie en mai 2011 pour discuter de la colonialité du pouvoir) et Houria Bouteldja (porte-parole du Parti des Indigènes de la République) ont été invités en tant qu’orateurs principaux. Deux événements supplémentaires eurent lieu dans les jours suivants, dans le contexte de la Ringvorlesung/conference « Qui fait la démocratie? », organisée par Netzwerk Mira à l’Institut des Sciences Sociales de l’Université Humboldt de Berlin : le 27 Octobre, une conférence intitulée « Décoloniser la démocratie occidentale » ; une autre le lendemain : « Le féminisme décolonial /la lutte anti-raciste ». Etudiants, chercheurs, professeurs et militants (de la Humboldt Universität, la Freie Universität et de la Technische Universität) ont participé aux discussions.

Dans « Décoloniser l’université », le Professeur Ramon Grosfoguel a ouvert la séance en proposant un débat historique sur le sexisme/racisme épistémiques. Il a souligné que la théorie critique en sciences sociales est produite par des hommes de cinq pays (Italie, France, Allemagne, Royaume-Uni et les Etats-Unis) qui représentent six pour cent de la population mondiale. Cela signifie qu’une théorie élaborée à partir de l’expérience sociale/historique d’hommes de ces cinq pays a la prétention de produire les concepts scientifiques et les catégories essentielles pour expliquer l’expérience sociale/historique du monde entier. Il a critiqué l’universalisme occidental et celui de l’université occidentalisée en tant qu’institution cartésienne eurocentrique masculino-centrée. Après avoir fait une description des principaux aspects du système universitaire français, il a dénoncé l’exclusion des débats postcoloniaux et décoloniaux. Il a aussi souligné que, bien que dans le champ académique français un débat postcolonial soit progressivement apparu, ces nouveaux intellectuels excluent les interventions politiques et épistémologiques de groupes militants comme le Parti des Indigènes de la République.
Durant son intervention, Houria Bouteldja a décrit le champ politique blanc en France. Elle a soigneusement défini les catégories politiques qu’elle employées durant son discours : « Blancs », « indigènes » et  » champ politique blanc ».

Houria Bouteldja a situé son discours dans le contexte des débats de l’après 11 septembre et de l’élaboration de la loi contre le voile islamique en France. Elle a souligné combien le langage politique utilisé par le PIR, en rupture avec le mythe républicain et avec le champ politique blanc, est un point de départ pour développer une politique autonome. Après avoir résisté au discours du PIR pendant près de six ans, une frange du champ académique blanc a finalement reconnu la pertinence de ce discours. La question postcoloniale a surgi en France après la loi sur le voile de 2004, la loi du 23 Février de 2005 sur l’enseignement du « côté positif » du colonialisme français dans les cours d’histoire, après les émeutes dans les banlieues en Novembre 2005, le mouvement LKP et la grève générale aux Antilles (en Guadeloupe), mais, selon Houria Bouteldja, les champs politiques et académiques blancs n’avaient pas anticipé ces questions. Après ces événements, la question raciale/coloniale est progressivement devenue un enjeu au sein de l’université française et les points soulevés par le discours des « Indigènes » ont été en partie intégrés.

Bien que ce soit une avancée positive, Houria Bouteldja explique que, dans le même temps, le champ académique prend ses distances avec les luttes sociales. Elle décrit ces universitaires comme étant des intellectuels du champ politique blanc, à la différence des militants qui dénoncent le clivage racial à partir de leur expérience quotidienne. De cette façon, les universitaires se sont imposés comme les « voix » de l’expérience « indigène ». Idéalement, l’université devrait soutenir les luttes politiques et s’engager en faveur de la transformation sociale, mais en réalité, elle ne le fait pas parce qu’elle est une institution d’État. En raison de cette division, Bouteldja a souligné que les « Indigènes » ont développé des façons de travailler autonomes tout en construisant des alliances avec des organisations et des acteurs blancs de gauche.

Houria Bouteldja a terminé son exposé avec l’exemple des troisièmes Rencontres de l’immigration qui auront lieu en Novembre 2011 à Paris. Cet événement est organisé par plusieurs organisations, parmi lesquelles le PIR. Elle a souligné que si des groupes et acteurs de la gauche blanche sont invités à soutenir cet événement, ils ne pourront pas prétendre à une quelconque centralité, respectant ainsi l’autonomie de ceux qui parlent contre le racisme et le colonialisme depuis une expérience racialisée.

Les événements auxquels le Professeur Ramon Grosfoguel et Houria Bouteldja ont participé ont été financés par le Georg Simmel Zentrum et l’Asta de l’Université Humboldt de Berlin, la Fondation Rosa Luxembourg Stiftung, l’organisation turque Allmende et le réseau de recherché critique sur la migration Netzwerk MIRA. La discussion se poursuit à l’Université Humboldt à travers le « Groupe décolonial Berlin » (un groupe d’étudiants, chercheurs, artistes et activistes) et au séminaire « Decolonial Turn and Ethnographic Writing  » à l’Institut d’ethnologie européenne, HU-Berlin.

Andrea Meza Torres

(Doctorante, Institute for European Ethnologie, Université Humboldt de Berlin)

Lien vers « Au-delà de la frontières BBF (Benbassa-Blanchard-Fassin (s)) »:

http://www.decolonialtranslation.com/english/beyond-the-bbf-border.html

Version originale française « Au-delà de la Frontière BBF (Benbassa-Blanchard-Fassin (s)) »:

http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=1367

Ramon Grosfoguel: « Les dilemmes des études ethniques aux États-Unis. Entre multiculturalisme libéral, politique identitaire, la colonisation disciplinaire, et épistémologies décoloniales ».
http://www.okcir.com/WEB 20Pdfs 20IX% 20Special 20/Grosfoguel.pdf 2011

Ramon Grosfoguel : « islamophobie epistémique et sciences sociales coloniales ».
http://www.okcir.com/Articles 202/Grosfoguel-FM.pdf 20VIII

Ce contenu a été publié dans Actualités, Actus PIR. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.