De quoi Ali Aarrass est-il le nom ?

Ali Aarrass. 54 ans. Belgo-Marocain emprisonné injustement au Maroc, pays où il n’a jamais vécu et dont il ne connaît pas la langue. Le 10 octobre 2016, il est transféré de la prison de Salé 2 vers celle de Tiflet 2 sans avertissement préalable. Les heures qui suivent son transfert sont marquées par l’angoisse et une attente insoutenable pour sa famille résidant en Belgique qui est sans nouvelles de lui. Elle apprend finalement qu’Ali Aarrass a été placé en régime strict dans cette nouvelle prison, sans motif précis et sans que soit notifiée une décision administrative pouvant être contestée. Ses conditions de détention sont particulièrement dures : il est confiné 23h/24h dans une minuscule cellule où il n’y a pas de lit, il est confronté à la malnutrition, il n’a accès aux douches qu’une seule fois par semaine, il ne peut parler avec aucun détenu et les contacts avec sa famille sont limités à un seul appel hebdomadaire d’une durée de 5 minutes.

Ce texte est un nouvel appel aux autorités belges compétentes afin qu’elles assistent effectivement Ali Aarrass dans son combat pour le respect de ses droits fondamentaux.

L’arrestation, la torture, l’emprisonnement

La vie d’Ali Aarrass bascule le 1er avril 2008, lorsqu’il est arrêté à Melilla – enclave espagnole en territoire marocain – et transféré en Espagne, soupçonné d’appartenir à un réseau terroriste. Après une longue et minutieuse enquête, le célèbre juge Baltazar Garzon conclut à un non-lieu en mars 2009. Le Maroc, pourtant, exige de l’Espagne l’extradition d’Ali Aarrass. Celle-ci aura lieu le 14 décembre 2010 malgré l’opposition du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies. Sous les coups de la torture infligés dans le centre de détention de Témara au Maroc, Ali Aarrass finit par avouer un crime qu’il n’a pas commis et signe des aveux en arabe, langue qu’il ne maîtrise pas. Au terme d’un procès inéquitable, il est d’abord condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement, finalement ramenée à 12 ans en appel. Les autorités belges n’ont rien fait pour empêcher cette illégale extradition vers un pays connu pour pratiquer la torture. Elles ont en outre refusé d’apporter volontairement l’aide consulaire à Ali Aarrass. Il a fallu que le Ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, soit condamné par la Cour d’appel de Bruxelles pour qu’enfin il entame de timides démarches en vue de pouvoir rencontrer son ressortissant. Récemment, le Maroc a indiqué son refus d’accorder lesdites visites et Mr Reynders laisse faire, malgré le droit évident du Consul de Belgique au Maroc de pouvoir visiter Ali Aarrass en prison[1].

Un combat universel

En dépit de la torture et des mauvais traitements subis depuis de trop longues années, Ali Aarrass a choisi la voie de la dignité et de la résistance. Les souffrances physiques et morales qu’il endure fondent sa volonté de dénoncer les pratiques inhumaines à l’encontre des prisonniers quels qu’ils soient. C’est pour cela qu’il est devenu l’un des visages de la campagne menée par Amnesty International contre la torture, une pratique attestée par le rapporteur spécial de l’ONU Juan Mendez. Son combat est aussi destiné à pointer du doigt les dérives et les dangers d’une lutte aveugle contre le terrorisme. Ali Aarrass a de fait été sacrifié sur l’autel de la realpolitik au nom des excellentes relations diplomatiques que la Belgique entretient avec le Maroc en matière de lutte contre le fléau terroriste. Si la volonté politique d’assurer la sécurité publique est bien légitime, elle ne peut justifier que les droits fondamentaux soient bafoués. Aujourd’hui Ali, demain peut-être d’autres ? Combien d’innocents encore ?

Une affaire devenue cause

Ali Aarrass. Son nom est aussi devenu celui d’une cause, la lutte pour l’égalité des droits à l’égard des citoyens binationaux. Selon qu’un citoyen soit Belgo-belge ou Belgo-marocain, les autorités belges jugent utile ou non d’intervenir pour préserver ses droits, sa liberté ainsi que son intégrité physique et morale. Voilà ce que nous enseigne aujourd’hui l’affaire Ali Aarrass. Rien d’un point de vue juridique ne justifie une telle distinction entre nationaux et binationaux d’autant qu’un Belgo-Marocain n’a pas la possibilité de renoncer à sa nationalité marocaine. Cependant cette distinction a bien cours, Ali Aarrass nous le rappelle malgré lui depuis sa cellule marocaine. Elle s’inscrit dans le temps long des discriminations raciales qui s’opèrent dans nos sociétés. Ces discriminations sont aujourd’hui renforcées par le contexte fébrile post-attentats qui autorise les suspicions, les amalgames et les jugements hâtifs à l’égard des racisés.

Comment qualifier autrement que par le racisme des pratiques qui permettent un traitement différencié des citoyens de notre pays selon leur origine nationale, des pratiques qui garantissent aux uns la présomption d’innocence quand d’autres apparaissent d’emblée comme des coupables ? Une citoyenneté à deux vitesses prend désormais place avec l’aval des plus hautes autorités de l’Etat. Sans la garantie de l’égalité de droits, comment peut-on rendre crédible le devoir d’intégration auquel les citoyens, encore et toujours qualifiés de deuxième, troisième voire quatrième génération de l’immigration marocaine, sont exhortés depuis des décennies ?

Nous adressons au Ministre des Affaires étrangères une nouvelle requête afin qu’il intervienne à l’égard d’Ali Aarrass, en détention préventive depuis plus de 8 ans et toujours en attente d’une réponse à son recours en cassation. Ali Aarrass, ce citoyen belge oublié de son propre pays, est devenu l’emblème de débats cruciaux qui agitent nos sociétés. Son sort ne peut définitivement plus être ignoré par les autorités belges, comme cela a été le cas jusqu’à aujourd’hui. Mr Reynders se réjouissait l’an dernier que la Belgique soit élue au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Nous attendons dès lors qu’il agisse enfin face à la terrible injustice subie par Ali Aarrass pour montrer que notre pays est digne d’une telle nomination.

 

Plus d’informations sur l’affaire Ali Aarrass : www.freeali.eu

 

[1] Art. 36, c, de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires : « Les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi, qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. Ils ont également le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu en exécution d’un jugement. Néanmoins, les fonctionnaires consulaires doivent s’abstenir d’intervenir en faveur d’un ressortissant incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention lorsque l’intéressé s’y oppose expressément ».

Premiers signataires

Isabelle Stengers, Philosophe, professeure Université Libre de Bruxelles ; Christine Delphy, Sociologue, chercheuse CNRS ; Paul Lowenthal, Professeur émérite Université Catholique de Louvain ; Alexis Deswaef, Avocat au Barreau de Bruxelles et président de la Ligue des droits de l’Homme ; Carlos Javier Crespo Garcia, Président MRAX ; Pierre Galand, Président de l’Organisation mondiale contre la Torture (Europe) et Président de la Fédération humaniste européenne ; Nouria Ouali, Chargée de cours Université Libre de Bruxelles ; Sonia Dayan-Herzbrun, Sociologue, professeure émérite Université Paris Diderot ; Zoé Genot, Députée régionale Ecolo ; Jamal Ikazban, Député régional PS ; Véronique Clette-Gakuba, Chercheuse Université Libre de Bruxelles ; Jean-Marie Dermagne, Avocat, ancien bâtonnier ; David Jamar, Sociologue, chargé de cours Université de Mons ; Laure Rosier-Van Ooteghem, Professeure Université Libre de Bruxelles ; Ralph Coeckelberghs, ancien Secrétaire général des asbl de Solidarité socialiste retraité ; Zoubida Jellab, Conseillère communale ; Pierre Piccinin da Prata, Rédacteur en Chef du Courrier du Maghreb et de l’Orient ; Barbara Delcourt, Professeure Université Libre de Bruxelles ; Éric David, Professeur émérite en droit international Université Libre de Bruxelles ; Pierre Tevanian, Philosophe ; Rokhaya Diallo, Journaliste et militante associative ; Maboula Soumahoro, Docteure en civilisations du monde anglophone ; Zahra Ali, Sociologue, School of oriental and african studies (Londres) ; Josy Dubié, Sénateur honoraire ; William Henne, Auteur, éditeur, réalisateur ; Elli Medeiros, Chanteuse, comédienne ; Patrick Worms, Conseiller en communication scientifique ; Jérémie Piolat, Auteur ; Malika Hamidi, Sociologue, Directrice générale de European Muslim Network ; Youri Lou Vertongen, doctorant Université Saint Louis Bruxelles/MLS ; Olivier Mukuna, Journaliste et essayiste ; Aurore Van Opstal, Journaliste, réalisatrice indépendante ; Dyab Abou Jahjah, Ecrivain et chroniqueur à « De Standaard » ; Marianne Sluszny, Philosophe, écrivain, scénariste ; Chris Den Hond, Vidéo-cinéaste ; Xavier Lowenthal, Auteur, éditeur ; Céline Delforge, Députée bruxelloise Ecolo ; Farida Tahar, Conseillère communale et militante antiraciste ; Christophe Oberlin, Médecin Paris ; Gilles Martin, Editeur Editions Aden ; Mohamed Ouachen, Artiste bruxellois ; Rachida Aziz, Entrepreneuse, activiste ; Saïd Bouamama, Sociologue ; Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires ; Vincent Cornil, Directeur MRAX ; Collectif contre l’Islamophobie en Belgique asbl (CCIB) ; Eric Hulsens, Editions Antidote ; Lieven De Cauter, Philosophe ; Sfia Bouarfa ; Pauline Fonsny, Cinéaste ; Sophie Delacollette, Comédienne et chroniqueuse RTBF ; Robin Delobel, Permanent CADTM Belgique ; Gia Abrassart, Journaliste indépendante, Café Congo ; Parti des Indigènes de la République ; Monique Mbeka, Cinéaste ; Manu Scordia, Dessinateur ; Le chœur d’Ali Aarrass ; Julie Jaroszewski, Actrice et chanteuse ; Sarah Klenes, Chanteuse et professeure de chant ; Célia Tranchant ; Nordine Saïdi, Militant décolonial ; Bruxelles Panthères ; Nadine Rosa-Rosso, Enseignante et militante antiraciste ; Luk Vervaet, Comité Free Ali ; Khadija Senhadji, Anthropologue.

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