Pub

De l’antiracisme raciste

Ceci est une pub antiraciste. Elle est accueillie à coups de « génial! », « trop fort », « bien fait pour elle », « classe ». Son succès sur la toile me déprime tellement il reflète la puissance et la prégnance de l’antiracisme moral.

Description :

Les personnages sont une Blanche raciste, un Noir victime, une hôtesse de l’air et un commandant (supposé blanc) antiracistes. La Blanche demande à changer de place car dit-elle, elle ne peut pas s’assoir « à côté d’un nègre ». Le Noir reste impassible. Il subit l’affront sans mot dire. En revanche, le commandant, lui, agit, puisque, profondément choqué, il propose au Noir de changer de place car on ne peut pas rester assis à côté d’une femme si « abjecte ».
Cette campagne « antiraciste » est une campagne raciste. Désolée.

Explication :

1/ Seuls les Blancs existent comme acteurs : l’une est raciste et affirme son dégoût du Noir ouvertement. Les autres aussi existent car ce sont eux qui proposent la solution. Le Noir n’est qu’un simple figurant. On voit, là, reproduite la fonction de la main jaune de SOS racisme et son fameux « touche pas à mon pote ». Un Blanc antiraciste, défend son « pote » noir ou arabe contre le Blanc raciste. En fait, c’est une histoire entre Blancs, pleinement existant, pleinement humains qui règlent entre eux leurs problèmes existentiels.
2/ Le racisme exprimé ouvertement par cette femme est rare. L’individu raciste est en général bien plus lâche et hypocrite que ça. Il peut parfaitement s’assoir à côté d’un Noir dans un avion et voter FN aux élections, comme il peut même avoir un gendre ou une belle fille arabe et défendre la loi contre le voile à l’école.
3/ Le racisme n’est pas une question individuelle. En focalisant sur la responsabilité de l’individu blanc raciste, cette pub innocente les structures sociales, politiques et économiques du racisme. En d’autres termes, le racisme n’est pas réductible à un cri lancé dans la rue genre « sale noir ». Pour prendre une image, le racisme pourrait être illustré comme suit : deux trains sont dans une gare. Le premier est un TER avec des Arabes et des Noirs à l’intérieur, le deuxième est un TGV avec des Blancs. Ils partent en même temps mais ils ne vont pas à la même vitesse. Le TGV arrivera toujours le premier. C’est un système. La Blanche assise à côté du Noir pouvait parfaitement être antiraciste, anti-impérialiste et même militer au PIR, elle restera – à l’insu de son plein gré –  avantagée de fait par un système racial qu’elle peut choisir de combattre ou de pérenniser.
4/ Dans l’histoire, les Blancs n’ont jamais spontanément aidé les victimes du racisme.  Il aura toujours fallu attendre que les victimes du racisme s’organisent pour que leurs droits et leur dignité soient défendus et pour arracher leurs alliés au champ politique blanc. C’est ce qui s’est passé dans les plantations pendant la traite négrière, pendant le mouvements des droits civiques aux USA, pendant l’apartheid en Afrique du sud ou en France en 1983 lors de la Marche pour l’égalité… Les Blancs n’ont fait que suivre pour, soit soutenir, soit se restructurer pour empêcher les indigènes de remettre en cause leurs privilèges de manière radicale.
5/ Cette pub n’a qu’un seul but : rassurer une partie des Blancs et leur assurer que leur humanité est intacte. Ils peuvent continuer à se regarder dans la glace et bomber leur torse de fierté. On n’exige d’eux que des actes symboliques – qui ne leur coûtent rien mais valorisent leur générosité – pendant que les Noirs, Arabes, Rroms et Musulmans se feront contrôler dix fois par jours, discriminer au boulot ou interdire les manifs pro-palestiniennes… En d’autres termes, il s’agit de sauver la bonne conscience blanche et invisibiliser les luttes indigènes qui menacent la suprématie blanche.
Conclusion : cette pub nous prend pour des cons.

 

Houria Bouteldja, membre du PIR

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