Combattre l’islamophobie c’est combattre pour notre Dignité, pour la Justice (Rassemblement #StopLoiSeparatisme, 14/03/21)

Discours du PIR prononcé Place de la République le Dimanche 14 Mars, à l’occasion du Rassemblement #StopLoiSéparatisme à l’initiative de la Coordination Contre la Loi Séparatisme (Vidéos live du rassemblement ici et ).

Comme cela a été amplement dit depuis le début du rassemblement, la lutte contre l’islamophobie n’est pas nouvelle ; elle est aussi longue que la présence des musulmans en France, même si elle n’a pas toujours pris des formes identifiables et conventionnelles. Rendons hommage à nos anciens qui ont obtenu, dans les années 70 et 80, des lieux de prière dans les usines automobile et les foyers. Mais cette lutte connaît à présent une autre étape, répondant plus particulièrement au nouveau visage de l’islamophobie française. Notre lutte doit à la fois reposer sur les expériences passées (ses succès, ses échecs, ses impasses, ses inachèvements, et ses avancées) et faire preuve d’innovations dictées par les défis du présent.

Le combat contre l’islamophobie fait partie intégrante de l’histoire du PIR. Ses fondateurs ont participé aux mobilisations contre la loi de 2004 ; il s’est trouvé aux côtés des bagagistes de Roissy, des mères portant le hijab privées de sorties scolaires, et du collectif des Jeunes du Mantois qui avait organisé un rassemblement très important ici même en octobre 2019, si vous vous en souvenez, en réaction à l’humiliation d’une mère par un élu RN. Le PIR a contribué aux bases d’une lutte internationale en organisant des forums contre l’islamophobie qui ont permis de révéler combien la France était devenue un des phares de l’islamophobie mondiale. Et c’est tout naturellement qu’il a pris part à la Coordination sitôt l’appel lancé.

Nous affirmons la centralité de la loi de 2004 dont nous nous souvenons du sinistre anniversaire aujourd’hui. Cette loi continue encore à humilier nos sœurs aux entrées des collèges et des lycées. Elle doit être considérée comme la matrice de l’islamophobie législative, et c’est à ce titre qu’exiger son abrogation doit redevenir la boussole de toute lutte contre l’islamophobie. Comment pourrait-il en être autrement, au regard de son extension qui semble aujourd’hui illimitée. Elle autorise les menaces régulières contre les filles et les femmes qui portent le hijab, que ce soit lors des accompagnements scolaires, à l’Université, ou dans tous les lieux publics. Elle autorise les menaces contre les écoles musulmanes, et même les écoles non musulmanes qui ont l’audace d’ouvrir leurs portes à des élèves voilées. Cette même loi inspire les interdictions de ce que l’État nomme « les signes religieux » au travail, prévues par la loi « Séparatisme ».

Si la loi du 15 mars 2004 constitue le pivot incontestable du consensus islamophobe politique, médiatique et social, elle commence à apparaître comme la brèche de ce même consensus. Et nous pouvons l’ouvrir davantage. Les jeunes générations manifestent leur désaccord idéologique à cette interdiction d’être soi-même à l’école, et affirment leur soustraction à l’emprise de l’idéologie islamophobe. Ceci doit nous encourager à affirmer que l’abrogation de la loi de 2004 est un horizon atteignable.

Nous sommes également rassemblés aujourd’hui pour commémorer nos 51 frères et sœurs assassinés un 15 mars dans deux mosquées à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Cette attaque meurtrière contre la présence musulmane, au nom du maintien de la suprématie blanche chrétienne, très peu de médias ont accepté de la qualifier de « terrorisme ». Certains d’entre nous s’offusquent que les tueurs ne soient pas aussi facilement qualifiés de terroristes. Pour notre part, il n’y a rien d’étonnant. L’Etat qualifie de terroristes ou de complices du terrorisme ceux qui menacent son ordre. Or, les suprémacistes et les islamophobes violents défendent cet ordre, ils font partie de ce que nous pourrions appeler les forces de l’ordre. C’est pour cela que cet acte meurtrier contre des musulmans ne peut pas et ne doit pas être séparé de tous les dispositifs politiques et législatifs islamophobes car ils forment un continuum qui vise à la mort sociale, politique et parfois même physique des musulmans. Autrement dit, la violence meurtrière des suprémacistes blancs n’est que le prolongement de la violence des lois islamophobes et de leurs promoteurs politiques. Il existe bel et bien un continuum entre la loi de 2004 contre le port du voile à l’école, l’ensemble des dispositifs islamophobes, le climat médiatique raciste légitimant la peur des musulmans et les passages à l’acte meurtriers tels que celui de Chistchurch.

L’un des enseignements que nous tirons de nos années de lutte contre l’islamophobie, c’est qu’elle n’est pas une diversion qui ferait des musulmans des bouc-émissaires ou des épouvantails jetés à l’opinion publique. Comprendre cela, c’est comprendre les ressorts de l’islamophobie, et pouvoir mieux la combattre. Si l’État français vise les musulmans et les musulmanes, leur restreint leurs libertés, les humilie, les intimide, les contrôle, les surveille, les réprime, et cela à tous les âges et dans tous les espaces de vie, c’est qu’ils constituent une menace subversive et une puissance révolutionnaire.

Commençons par la menace. La simple présence des musulmans constitue une menace subversive à l’ordre national-impérialiste républicain, et cela pour plusieurs raisons.

Les musulmans viennent rappeler à la République son passé colonial et raciste qui continue à infuser au présent. Comme le font les Noirs, les Rroms, les Asiatiques et les Juifs.

L’État les perçoit comme une menace par l’existence, même minimale, de quelques espaces qui échappent à son contrôle : ce qui relève de la foi et de sa transmission, l’éducation, les loisirs, l’humanitaire, l’organisation sous forme associative ou politique, tant au niveau local que national.

Cette menace subversive se trouve également dans sa jeunesse. Les musulmans constituent une part importante de la jeunesse de ce pays, et donc de son avenir. Plus qu’une peur démographique, les jeunes musulmans se sont révélés être un véritable sujet politique, grâce à leurs luttes que l’État nomme « émeutes ». Des sujets politiques capables de combattre par leurs corps et leur intelligence la répression policière, et plus largement la hogra qu’eux et leurs parents subissent. Inutile de rappeler que 2005 est devenue une date historique.

Enfin, cette menace est liée à l’internationalisme que les musulmans mettent en œuvre par l’obligation de la sadaqa, en faveur des opprimés et des pauvres, aussi bien dans le monde que dans le pays. L’aide humanitaire assurée par des associations, des ONG et même des particuliers est impressionnante. L’État ne peut accepter de voir ces manifestations de solidarité, et donc d’échanges, avec les réfugiés en France et avec les peuples du Sud. Sans parler des manifestations en soutien aux Ouïghours, aux Rohingyas, aux luttes panafricaines et bien sûr aux Palestiniens.

Il se trouve que ces raisons constituent non seulement l’identité des musulmans, mais aussi leur dignité. Et dans ces conditions, être une telle menace aux yeux de l’État est un honneur.

L’islamophobie de l’État français se comprend aussi par le fait que les musulmans et l’Islam constituent une puissance révolutionnaire, une puissance décoloniale : les musulmans et l’Islam fissurent et remettent en cause les fondements de ce qui est nommé République, autrement dit, son ordre racial, impérialiste, capitaliste reposant sur une suprématie blanche qui ne dit pas son nom.

Qui peut mieux que les musulmans se battre contre la politique impérialiste de l’État français qui détruit et pille les pays desquels ils sont originaires, comme le Mali ou le Niger, et bombarde des pays desquels ils se sentent proches comme la Syrie et l’Irak. Qui peut mieux comprendre qu’eux que cette guerre menée au nom de la lutte contre le terrorisme est une guerre érigeant les musulmans comme ennemi extérieur et intérieur, qui détruit là-bas et brise des vies ici. Qui lutte contre toute possibilité pour les peuples du Sud de définir leur propre projet social et politique, et qui retire aux musulmans ici tout espace autonome nécessaire à leur dignité. Les musulmans, et avec d’autres communautés luttant contre le racisme, sont ceux qui peuvent contester jusqu’à l’idée même d’une distinction entre un ici et un là-bas, idée qui structure les frontières de l’Etat-Nation.

La puissance musulmane vient également contester l’idéologie séculariste qui sous-tend la laïcité, qui se dit protectrice des libertés religieuses, mais qui les ampute en tentant de les enfermer dans la sphère privée, en laissant l’ordre public à un matérialisme meurtrier, destructeur de la vie, et pilleur.

Alors, oui, se battre contre l’islamophobie, c’est se battre contre l’ordre racial et impérialiste. Comme le font les luttes contre la négrophobie, la rromophobie, le racisme antiasiatique et l’antisémitisme.

Notre lutte ici en France, comme le choix de la journée pour ce rassemblement le rappelle, doit s’inscrire résolument dans une lutte mondiale contre l’islamophobie, contre les régimes antiterroristes islamophobes qui, des Etats-Unis, de la Chine, à la Russie et à la France en passant par l’Inde et l’État colonial d’Israël deviennent le modèle des États autoritaires contemporains, qui mènent des politiques de guerre contre le terrorisme qui, du Nord au Sud en passant par nos propres territoires en France, n’apportent qu’injustices et dévastations.

Notre lutte en France peut également compter sur toutes les résistances des pays du Sud qui viennent affaiblir l’État français et contribuer à notre renforcement. Pour ne citer qu’elles, nous tenons à saluer les résistances en Kanaky, en Martinique, en Algérie, et au Sénégal.

Face aux défenseurs d’une islamophobie française qui s’internationalise, nous appelons à internationaliser nos résistances, pour faire face aux derniers assauts de ce vieux monde qui refuse de laisser place au nouveau.

Souvenons-nous de ce que Malcolm X disait : « La seule façon dont nous nous libérerons passe par notre identification avec les peuples opprimés du tiers monde.(…) Quand les 22 millions d’Américains noirs s’apercevront que nous avons le même problème que les opprimés du Vietnam du Sud, du Congo et de l’Amérique Latine – étant donné que les opprimés constituent la majorité et non la minorité sur cette terre – nous serons amenés à envisager notre problème en majorité capable de revendiquer et non plus en minorité réduite à la mendicité. » (Meeting à New-York, salle Audubon, le 20 décembre 1964)

Terminons par un hommage à tous nos frères, à tous les prisonniers musulmans, à Guantanamo, en Syrie, au Cachemire, en Palestine, en France, à notre frère Mumia Abu Jamal, en danger de mort actuellement. Soyez forts, nous sommes unis et nous vaincrons, inshallah.

PIR

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