Non rupture

Bonne année, Bonne laïcité !

2012 va être l’année du quitte ou double, celle où nous mettons fin au règne de Nicolas Sarkozy, ou celle où nous en reprenons pour cinq ans… avec toutes les conséquences que cela implique, notamment au niveau des libertés publiques. La laïcité va constituer un des éléments clefs de la campagne électorale. Jean-François Copé la cite régulièrement comme un des aspects phare du prochain programme de l’UMP. On peut compter sur la « droite populaire » pour le diffuser très à- droite-tement ! Marine Le Pen ne devrait pas être en reste. Dans un ouvrage à paraître le jour même où l’UMP doit présenter le dit programme (le 26 janvier), je démonte en détail les mécanismes de cette Laïcité falsifiée (éd. La Découverte). Mais sans attendre, voici trois règles nécessaires pour ne pas perdre la bataille de la laïcité, face à la droite dure et à l’extrême droite.

D’abord, ne pas hypertrophier un des principes de la laïcité au détriment des autres. La laïcité est la séparation du pouvoir (en premier lieu du pouvoir politique, mais pas seulement : aussi du pouvoir dans l’entreprise, en fait de toute forme de pouvoir) et de la religion. La religion peut avoir autorité sur vous, si vous y consentez. Mais l’adhésion s’effectue de façon libre et volontaire. Elle ne peut donc pas exercer un pouvoir, avec ce que cela suppose de pression et de domination. Elle ne peut s’imposer à la loi commune. Cela implique une exigence de neutralité de ce qui est de l’ordre du pouvoir et de la représentation commune, neutralité qui n’est pas celle de l’ignorant ou de l’hypocrite (« cachez cette religion, que je ne saurais voir »), mais cette de l’arbitre qui veille au respect des règles, à ce que le jeu entre les diverses religions et convictions([Je rappelle que les textes internationaux, comme la Déclaration Universelle des droits de l’homme, relient étroitement religion et conviction (non religieuse). )] s’effectue loyalement.

Mais la séparation et la neutralité ne constituent pas des fins en soi, ce sont des moyens pour atteindre certains objectifs essentiels d’une société démocratique : la liberté de conscience (qui inclut la « liberté religieuse » mais ne s’y limite pas), la non-discrimination en matière de religion et de conviction. Ces deux principes se trouvent garantis de façon précise par les textes internationaux, comme le rappelle d’ailleurs un commentateur de ma dernière Note.

Deuxièmement, la laïcité doit donc arriver à harmoniser ces quatre principes et à réaliser un équilibre entre eux. Cela n’a rien d’évident et il existe plusieurs manières de le faire : donc l’hégémonie donnée, en un temps et en un lieu à une forme de laïcité constitue toujours un enjeu politique et social. Pour avoir ignoré cela, pour avoir cru qu’il ne pouvait légitimement exister qu’un seul et unique contenu de la laïcité (le sien), certaines forces de gauche ont facilité, à leur insu, la dérive de la représentation dominante de la laïcité de la gauche vers la droite et même l’extrême droite. Ils ont refusé tout débat interne à la gauche, et se trouvent fort dépourvu, quand Marine le Pen est venue… invoquer la laïcité. Retrouver une conception de gauche de la laïcité, qui se distingue de celle de la droite dure et de l’extrême droite, suppose que, quand on pense à la laïcité, on pense global et non pas (seulement) islam.

Ainsi, on peut débattre pour savoir si (et quand) la liberté de conscience implique une interprétation plutôt libérale ou une interprétation très stricte de la séparation et de la neutralité, l’essentiel est que l’on ait bien en tête les conséquences que cela doit avoir pour toutes les religions et les convictions, sans dispenser l’une ou l’autre d’entre elles de ces conséquences et avoir une laïcité (concrète) à plusieurs vitesses. Sinon, le principe de non-discrimination est mis à mal. Exemple : si l’on veut constitutionnaliser les deux premiers Articles de la loi de 1905 (et, personnellement, je trouve que c’est une bonne idée), il faut le faire pour tous les départements français (quitte à prévoir un processus pour ceux qui, comme l’Alsace-Moselle, ne sont pas actuellement régis par la loi de 1905. Et si on accommode en prévoyant un processus, il faut aussi avoir la même logique sur d’autres aspects). Sinon, tel M. Jourdain faisant de la prose, on fait de la discrimination sans le savoir.

Troisièmement, il faut analyser la situation actuelle de la laïcité dominante, de la façon la plus rigoureuse possible, pour la remettre sur les rails de la gauche. Mon analyse personnelle est qu’il existe aujourd’hui un profond déséquilibre entre une atrophie du principe de séparation et une hypertrophie du principe de neutralité. Et comme ce principe de neutralité n’est pas pensé globalement, mais essentiellement orienté contre l’islam, la droite apparait forcément plus laïque que la gauche. Tant que ce type de laïcité ne sera pas décrypté pour ce qu’il est, la gauche sera perdante face à la droite et à l’extrême droite. Elle aura beau courir après elles et proposer, de son côté, de durcir la neutralité, elle ne saura jamais faire aussi bien que les islamophobes patentés de la droite dure et du FN.

On peut dire à la gauche ce que l’on a dit à la droite républicaine : si on les place dans cette perspective, si on attise leurs peurs, les gens préfèreront toujours « l’original à la copie ». Il est tout à fait logique que, dans cette situation, le discours de la droite soit devenu offensif et hégémonique en matière de laïcité et que la gauche apparaisse plus molle et sur la défensive. Actuellement (ce sera peut-être différent dans 25 ans, mais nous n’en sommes pas là), il faut repenser la laïcité en terme de séparation, plus qu’en terme de neutralité, pour arriver à rééquilibrer les choses. Et cela aura aussi l’avantage de ne plus faire dire parfois à la loi de 1905 le contraire de ce qu’elle a dit ! Il ne s’agit pas de prôner une pseudo « laïcité ouverte », mais de dire que la séparation induit des libertés laïques possibles pour tous. La laïcité impose aux religions et aux convictions que leurs exigences soient socialement facultatives.

Jean Baubérot

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